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Il avait craché au bassinet avec une facilité déconcertante. Étions-nous riches ? Ce ne serait peut-être pas si mal de vivre dans cette Amérique de Peacock Inns, de pères fortunés et de chiens appelés Bella.

Mais il y avait quelque chose… une atmosphère ambiante qui ne me plaisait pas. En partie, ça venait de ce qu’ils avaient dit sur Steve, en partie de ce que j’avais la sensation, quasiment depuis le début, qu’il manquait quelque chose ici. Pas seulement le fait que le rock’n’roll paraissait avoir oublié de passer ici. Les choses étaient chouettes et épatantes, il n’y avait pas de mecs, et rien n’était cool. Il y avait beaucoup de Mince, de flûte et de saperlipopette, ce qui ne cadrait pas avec ce que je connaissais des États-Unis par le cinéma. Mais après tout, on s’exprimait peut-être ainsi, dans les grandes universités. Mais autre chose clochait.

J’entendis un bruit de moteur derrière moi et m’écartai pour laisser passer un tracteur de pelouse. Le chauffeur, un homme d’un certain âge, me remercia d’un salut et descendit pour charger une longueur de tuyau sur sa remorque.

« Salut, Mikey ! » Une main s’abattit sur mon épaule.

« Oh, salut ! » répondis-je. C’était Scott. À moins que ce ne soit Todd. Voire Ronnie. Un des trois.

« Comment va le rosbif ?

— Bah, ça va. Je me sens bien. Tout commence à me revenir. Retour à ma bonne vieille identité américaine.

— Ah ouais ? Tu continues à parler comme le roi d’Angleterre.

— Ouais, je sais. » Je soupirai. « Mais la mémoire me revient. Le doc Ballinger a dit que ça prendrait quelques jours.

— Donc, on va pas te voir sur le tertre ?

— Pardon ? Oh, le tertre ! Non, je crois qu’il ne faut pas compter sur le base-ball pour le moment. » Je frissonnai à cette perspective. « C’est moche, je sais, mais que veux-tu ?

— Mince, Mikey. T’as vraiment mal choisi ton moment… hé, attention ! » Scott, ou Todd, enfin, peu importe, s’écarta d’un bond tandis que le tracteur de pelouse nous dépassait en toussotant. Je n’avais pas l’impression qu’il ait risqué d’être renversé, mais cela ne l’empêchait pas d’être furieux. « Hé là, toi ! » lança-t-il.

Le chauffeur arrêta le tracteur et jeta à Todd/Scott/Ronnie un coup d’œil craintif par-dessus son épaule. « Moi, monsieur ?

— Oui, toi, le boy ! Pourquoi tu ne regardes pas où tu vas, bon sang ?

— Pardon, monsieur. J’ai cru qu’il y avait largement la place.

— Hé bien, la prochaine fois, ouvre bien tes yeux de nègre, le boy, compris ?

— Oui, monsieur. Pardon, monsieur. »

J’observai, pulvérisé par le choc. D’un seul coup, je savais ce qui manquait à ces lieux, et je me sentis sot et coupable de ne pas l’avoir remarqué tout de suite.

Tous les étudiants que j’avais vus étaient blancs. Tous, sans exception. Blancs comme une honte.

Le tracteur s’en fut.

« Moricauds ! » Scott/Ronnie/Todd cracha sur l’allée. « Ils ont aucun respect.

— Tu es complètement…

— Hein, quoi ?

— Complètement digne de respect, dis-je, tu es très digne de respect.

— Oh, bien sûr. » Il hocha la tête. « Bien sûr, j’en suis digne. Bon, alors, Mikey, qu’est-ce que tu fabriques, aujourd’hui ?

— Oh, j’ai du travail à rattraper », répondis-je, la gorge sèche. « On se verra plus tard, peut-être.

— Sûrement. À plus tard, mon pote.

— Oh, au fait », lançai-je après lui, sachant désormais que j’avais besoin de retrouver Steve, un besoin sérieux, que cela plaise ou non à Steve. « J’ai totalement oublié où se trouvait la résidence universitaire de Steve.

— Burns ? Il est à Dickinson.

— Dickinson, c’est ça. Bien sûr.

— Mais fais gaffe à lui, Mikey. Tu connais les rumeurs. » Scott/Todd/Ronnie laissa pendre sa main à son poignet et rejeta sa tête en arrière dans la pose d’un lys courbé.

« Oh, c’est des conneries, tout ça, répondis-je. Il sort avec Jo-Beth. Tu sais, la serveuse de chez PJ ?

— C’est vrai ? Punaise, elle est gironde. See you later, vieille branche, vieille canaille. »

Il en fallait beaucoup pour que je n’aime pas quelqu’un. Mais Ronnie/Todd/Scott, décidai-je, était un vrai connard.

Mais qui sait. Qui sait, me dis-je en suivant les trois itinéraires différents qu’on m’indiqua jusqu’à Dickinson Hall, si ce n’était pas moi, le connard. Si l’Amérique n’avait pas dû affronter l’Europe tant d’années durant, peut-être Todd/Ronnie/Scott serait-il quelqu’un d’autre. C’était moi qui lui avais fait ça.

Qu’est-ce que je racontais ? C’étaient les gènes, les gènes, rien d’autre. Je veux dire, prenez le père de Leo, Dietrich Bauer. Un salopard qui va à Auschwitz pour aider à éliminer les Juifs dans un monde, et un salopard qui va à Auschwitz pour aider à éliminer les Juifs dans un autre. Et son fils, un type bien dans les deux mondes, un peu enclin à prendre la culpabilité sur sa personne, tout de même.

Cependant, c’était de la prédétermination, quel que soit l’angle sous lequel on abordait ça. La volonté de l’histoire ou celle de l’ADN. Que devenait la volonté de l’homme ? Peut-être trouverais-je des notes de philosophie dans ma chambre à Henry Hall qui m’aideraient à négocier ce labyrinthe particulier. Pour l’instant, Dickinson se trouvait devant moi.

Un étudiant rouquin étreignant une pile de livres venait d’en émerger.

« Burns ? Au fond du couloir, porte 105. Là-bas, sur la gauche.

— Ouah, muchas gracias, mec.

— Hein ?

— Rien, rien, juste une expression de gratitude venue d’une autre époque.

— Ah. D’accord. De rien. »

Steve ouvrit la porte en se frottant des yeux pleins de sommeil.

« Hé bien ? dis-je. Tu ne m’invites pas à entrer ?

— Bon Dieu ! dit-il en s’effaçant pour me laisser passer. J’espérais avoir rêvé tout ça. »

Les murs de Steve étaient tapissés de posters. Un portrait de Duke Ellington – donc, lui, il avait survécu aux courants contraires de l’histoire, pensai-je avec satisfaction, c’était déjà quelque chose – et des tas d’images de filles. Le genre Pamela Anderson, grandes, mamelues, blondes avec des yeux froids et mi-clos et assez de blush pour repeindre la Maison-Blanche en rouge brique.

« Hum ? dis-je en les inspectant. La dame proteste trop, me semble-t-il.

— Écoute, Mike, dit Steve en serrant la ceinture de sa robe de chambre, réglons une chose tout de suite. Arrête ce genre de trucs, tu veux ? J’ai déjà assez d’ennuis comme ça.

— Des ennuis ? Comment ça, des ennuis ? »

Il secoua la tête.

« Qu’est-ce qu’on t’a raconté, la nuit dernière ?

— Rien. » Il alla en traînant des pieds vers une machine à café. « Ils n’ont rien dit. Ils se sont contentés de sous-entendus. Ils avaient entendu dire que j’avais des “problèmes psychologiques” et des “amitiés singulières”. C’était leur façon de me mettre en garde à titre amical, je suppose.

— Je regrette, dis-je. Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas t’entraîner dans tout ce bazar. Je n’avais aucune idée… aucune idée que l’Amérique était ainsi.

— Hé bien, si. Le monde est comme ça. Tu prends un café ?