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À ce moment, la pendule, sur la cheminée, fit entendre son déclenchement et le premier coup de minuit sonna.

Les deux directeurs frissonnèrent. Une angoisse les étreignait, dont ils n’eussent pu dire la cause et qu’ils essayaient en vain de combattre. La sueur coulait sur leurs fronts. Et le douzième coup résonna singulièrement à leurs oreilles.

Quand la pendule se fut tue, ils poussèrent un soupir et se levèrent.

«Je crois que nous pouvons nous en aller, fit Moncharmin.

– Je le crois, obtempéra Richard.

– Avant de partir, tu permets que je regarde dans ta poche?

– Mais comment donc! Moncharmin! il le faut!

– Eh bien? demanda Richard à Moncharmin, qui tâtait.

– Eh bien, je sens toujours l’épingle.

– Évidemment, comme tu le disais fort bien, on ne peut plus nous voler sans que je m’en aperçoive.»

Mais Moncharmin, dont les mains étaient toujours occupées autour de la poche, hurla:

«Je sens toujours l’épingle, mais je ne sens plus les billets.

– Non! ne plaisante pas, Moncharmin!… Ça n’est pas le moment.

– Mais, tâte toi-même.»

D’un geste, Richard s’est défait de son habit. Les deux directeurs s’arrachent la poche!… La poche est vide.

Le plus curieux est que l’épingle est restée piquée à la même place.

Richard et Moncharmin pâlissaient. Il n’y avait plus à douter du sortilège.

«Le fantôme», murmure Moncharmin.

Mais Richard bondit soudain sur son collègue.

«Il n’y a que toi qui as touché à ma poche!… Rends-moi mes vingt mille francs!… Rends-moi mes vingt mille francs!…

– Sur mon âme, soupire Moncharmin qui semble prêt à se pâmer… je te jure que je ne les ai pas…»

Et comme on frappait encore à la porte, il alla l’ouvrir marchant d’un pas quasi automatique, semblant à peine reconnaître l’administrateur Mercier, échangeant avec lui des propos quelconques, ne comprenant rien à ce que l’autre lui disait; et déposant, d’un geste inconscient, dans la main de ce fidèle serviteur complètement ahuri, l’épingle de nourrice qui ne pouvait plus lui servir de rien…

XIX Le commissaire de police, le vicomte et le Persan

La première parole de M. le commissaire de police, en pénétrant dans le bureau directorial, fut pour demander des nouvelles de la chanteuse.

«Christine Daaé n’est pas ici?»

Il était suivi, comme je l’ai dit, d’une foule compacte.

«Christine Daaé? Non, répondit Richard, pourquoi?»

Quant à Moncharmin, il n’a plus la force de prononcer un mot… Son état d’esprit est beaucoup plus grave que celui de Richard, car Richard peut encore soupçonner Moncharmin, mais Moncharmin, lui, se trouve en face du grand mystère… celui qui fait frissonner l’humanité depuis sa naissance: l’Inconnu.

Richard reprit, car la foule autour des directeurs et du commissaire observait un impressionnant silence:

«Pourquoi me demandez-vous, monsieur le commissaire, si Christine Daaé n’est pas ici?

– Parce qu’il faut qu’on la retrouve, messieurs les directeurs de l’Académie nationale de musique, déclare solennellement M. le commissaire de police.

– Comment! Il faut qu’on la retrouve! Elle a donc disparu?

– En pleine représentation!

– En pleine représentation! C’est extraordinaire!

– N’est-ce pas? Et, ce qui est tout aussi extraordinaire que cette disparition, c’est que ce soit moi qui vous l’apprenne!

– En effet…», acquiesce Richard, qui se prend la tête dans les mains et murmure: «Quelle est cette nouvelle histoire? Oh! décidément, il y a de quoi donner sa démission!…»

Et il s’arrache quelques poils de sa moustache sans même s’en apercevoir:

«Alors, fait-il comme en un rêve… elle a disparu en pleine représentation.

– Oui, elle a été enlevée à l’acte de la prison, dans le moment où elle invoquait l’aide du Ciel, mais je doute qu’elle ait été enlevée par les anges.

– Et moi j’en suis sûr!»

Tout le monde se retourne. Un jeune homme, pâle et tremblant d’émotion, répète:

«J’en suis sûr!

– Vous êtes sûr de quoi? interroge Mifroid.

– Que Christine Daaé a été enlevée par un ange, monsieur le commissaire, et je pourrais vous dire son nom…

– Ah! ah! monsieur le vicomte de Chagny, vous prétendez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un ange, par un ange de l’Opéra, sans doute?»

Raoul regarde autour de lui. Évidemment, il cherche quelqu’un. À cette minute où il lui semble si nécessaire d’appeler à l’aide de sa fiancée le secours de la police, il ne serait pas fâché de revoir ce mystérieux inconnu qui, tout à l’heure, lui recommandait la discrétion. Mais il ne le découvre nulle part. Allons! il faut qu’il parle!… Il ne saurait toutefois s’expliquer devant cette foule qui le dévisage avec une curiosité indiscrète.

«Oui, monsieur, par un ange de l’Opéra, répondit-il à M. Mifroid, et je vous dirai où il habite quand nous serons seuls…

– Vous avez raison, monsieur.»

Et le commissaire de police, faisant asseoir Raoul près de lui, met tout le monde à la porte, excepté naturellement les directeurs, qui, cependant, n’eussent point protesté, tant ils paraissaient au-dessus de toutes les contingences.

Alors Raoul se décide:

«Monsieur le commissaire, cet ange s’appelle Érik, il habite l’Opéra et c’est l’Ange de la musique!

– L’Ange de la musique! En vérité!! Voilà qui est fort curieux!… L’Ange de la musique!»

Et, tourné vers les directeurs, M. le commissaire de police Mifroid demande:

«Messieurs, avez-vous cet ange-là chez vous?»

MM. Richard et Moncharmin secouèrent la tête sans même sourire.

«Oh! fit le vicomte, ces messieurs ont bien entendu parler du Fantôme de l’Opéra. Eh bien, je puis leur affirmer que le Fantôme de l’Opéra et l’Ange de la musique, c’est la même chose. Et son vrai nom est Érik.»

M. Mifroid s’était levé et regardait Raoul avec attention. «Pardon, monsieur, est-ce que vous avez l’intention de vous moquer de la justice?

– Moi!» protesta Raoul, qui pensa douloureusement: «Encore un qui ne va pas vouloir m’entendre.»

«Alors, qu’est-ce que vous me chantez avec votre Fantôme de l’Opéra?

– Je dis que ces messieurs en ont entendu parler.

– Messieurs, il paraît que vous connaissez le Fantôme de l’Opéra?»

Richard se leva, les derniers poils de sa moustache dans la main.

«Non! monsieur le commissaire, non, nous ne le connaissons pas! mais nous voudrions bien le connaître! car, pas plus tard que ce soir, il nous a volé vingt mille francs!…»

Et Richard tourna vers Moncharmin un regard terrible qui semblait dire: «Rends-moi les vingt mille francs ou je dis tout.» Moncharmin le comprit si bien qu’il fit un geste éperdu: «Ah! dis tout! dis tout!…»