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Tout à coup une voix retentissante les cloua sur place. Quelqu’un, au-dessus d’eux, hurlait.

«Sur le plateau tous les “fermeurs de portes”! Le commissaire de police les demande.»

… On entendit des pas, et des ombres glissèrent dans l’ombre. Le Persan avait attiré Raoul derrière un portant… Ils virent passer près d’eux, au-dessus d’eux, des vieillards courbés par les ans et le fardeau ancien des décors d’opéra. Certains pouvaient à peine se traîner…; d’autres, par habitude, l’échine basse et les mains en avant, cherchaient des portes à fermer.

Car c’étaient les fermeurs de portes… Les anciens machinistes épuisés et dont une charitable direction avait eu pitié. Elle les avait faits fermeurs de portes dans les dessous, dans les dessus. Ils allaient et venaient sans cesse du haut en bas de la scène pour fermer les portes – et ils étaient aussi appelés en ce temps-là, car depuis, je crois bien qu’ils sont tous morts: «les chasseurs de courants d’air.»

Les courants d’air, d’où qu’ils viennent, sont très mauvais pour la voix. [4]

Le Persan et Raoul se félicitèrent en a parte de cet incident qui les débarrassait de témoins gênants, car quelques-uns des fermeurs de portes, n’ayant plus rien à faire et n’ayant guère de domicile, restaient par paresse ou par besoin, à l’Opéra, où ils passaient la nuit. On pouvait se heurter à eux, les réveiller, s’attirer une demande d’explications. L’enquête de M. Mifroid gardait momentanément nos deux compagnons de ces mauvaises rencontres.

Mais ils ne furent point longtemps à jouir de leur solitude… D’autres ombres, maintenant, descendaient le même chemin par où les «fermeurs de portes» avaient monté. Ces ombres avaient chacune devant elle une petite lanterne… qu’elles agitaient fort, la portant en haut, en bas, examinant tout autour d’elles et semblant, de toute évidence, chercher quelque chose ou quelqu’un.

«Diable! murmura le Persan… je ne sais pas ce qu’ils cherchent, mais ils pourraient bien nous trouver… fuyons!… vite!… La main en garde, monsieur, toujours prête à tirer!… Ployons le bras, davantage, là!… la main à hauteur de l’œil, comme si vous vous battiez en duel et que vous attendiez le commandant de «feu!…» Laissez donc votre pistolet dans votre poche!… Vite, descendons! (Il entraînait Raoul dans le quatrième dessous)… à hauteur de l’œil question de vie ou de mort!… Là, par ici, cet escalier! (ils arrivaient au cinquième dessous)… Ah! quel duel, monsieur, quel duel!…»

Le Persan étant arrivé en bas du cinquième dessous, souffla… Il paraissait jouir d’un peu plus de sécurité qu’il n’en avait montré tout à l’heure quand tous deux s’étaient arrêtés au troisième, mais cependant il ne se départait pas de l’attitude de la main!…

Raoul eut le temps de s’étonner une fois de plus – sans, du reste, faire aucune nouvelle observation, aucune! car en vérité, ce n’était pas le moment – de s’étonner, dis-je, en silence, de cette extraordinaire conception de la défense personnelle qui consistait à garder son pistolet dans sa poche pendant que la main restait toute prête à s’en servir comme si le pistolet était encore dans la main, à hauteur de l’œil; position d’attente du commandant de «feu!» dans le duel de cette époque.

Et, à ce propos Raoul croyait pouvoir penser encore ceci:

«Je me rappelle fort bien qu’il m’a dit: Ce sont des pistolets dont je suis sûr.»

D’où il lui semblait logique de tirer cette conclusion interrogative: «Qu’est-ce que ça peut bien lui faire d’être sûr d’un pistolet dont il trouve inutile de se servir?»

Mais le Persan l’arrêta dans ses vagues essais de cogitation. Lui faisant signe de se tenir en place, il remonta de quelques degrés l’escalier qu’ils venaient de quitter. Puis rapidement, il revint auprès de Raoul.

«Nous sommes stupides, lui souffla-t-il, nous allons être bientôt débarrassés des ombres aux lanternes… Ce sont les pompiers qui font leur ronde.» [5]

Les deux hommes restèrent alors sur la défensive pendant au moins cinq longues minutes, puis le Persan entraîna à nouveau Raoul vers l’escalier qu’ils venaient de descendre; mais, tout à coup, son geste lui ordonna à nouveau l’immobilité.

… Devant eux, la nuit remuait.

«À plat ventre!» souffla le Persan.

Les deux hommes s’allongèrent sur le sol. Il n’était que temps.

… Une ombre qui ne portait cette fois aucune lanterne,… une ombre simplement dans l’ombre passait.

Elle passa près d’eux à les toucher.

Ils sentirent, sur leurs visages, le souffle chaud de son manteau…

Car ils purent suffisamment la distinguer pour voir que l’ombre avait un manteau qui l’enveloppait de la tête aux pieds. Sur la tête, un chapeau de feutre mou.

… Elle s’éloigna, rasant les murs du pied et quelquefois, donnant, dans les coins, des coups de pied aux murs.

– C’est quelqu’un de la police du théâtre? demanda Raoul.

– C’est quelqu’un de bien pis! répondit sans autre explication le Persan. [6]

«Ouf! fit le Persan… nous l’avons échappé belle… Cette ombre me connaît et m’a déjà ramené deux fois dans le bureau directorial.

– Ce n’est pas… lui?

– Lui?… s’il n’arrive pas par-derrière, nous verrons toujours les yeux d’or!… C’est un peu notre force dans la nuit. Mais il peut arriver par-derrière… à pas de loup… et nous sommes morts si nous ne tenons pas toujours nos mains comme si elles allaient tirer, à hauteur de l’œil, par-devant!»

Le Persan n’avait pas fini de formuler à nouveau cette «ligne d’attitude» que, devant les deux hommes, une figure fantastique apparut.

… Une figure tout entière… un visage; non point seulement deux yeux d’or.

… Mais tout un visage lumineux… toute une figure en feu!

Oui, une figure en feu qui s’avançait à hauteur d’homme, mais sans corps!

Cette figure dégageait du feu.

Elle paraissait, dans la nuit, comme une flamme à forme de figure d’homme.

«Oh! fit le Persan dans ses dents, c’est la première fois que je la vois!… Le lieutenant de pompiers n’était pas fou! Il l’avait bien vue, lui!… Qu’est-ce que c’est que cette flamme-là? Ce n’est pas lui! mais c’est peut-être lui qui nous l’envoie!… Attention!… Attention!… Votre main à hauteur de l’œil, au nom du Ciel!… à hauteur de l’œil!»

La figure en feu, qui paraissait une figure d’enfer – de démon embrasé – s’avançait toujours à hauteur d’homme, sans corps, au-devant des deux hommes effarés…

«Il nous envoie peut-être cette figure-là par-devant, pour mieux nous surprendre par-derrière… ou sur les côtés… on ne sait jamais avec lui!… Je connais beaucoup de ses trucs!… mais celui-là!… celui-là… je ne le connais pas encore!… Fuyons!… par prudence!… n’est-ce pas?… par prudence!… la main à hauteur de l’œil.»

Et ils s’enfuirent, tous les deux, tout au long du long corridor souterrain qui s’ouvrait devant eux.