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En même temps que je tâtais les panneaux avec le plus grand soin, je m’efforçais de ne point perdre une minute car la chaleur me gagnait de plus en plus et nous cuisions littéralement dans cette forêt enflammée.

Je travaillais ainsi depuis une demi-heure et j’en avais déjà fini avec trois panneaux quand notre mauvais sort voulut que je me retournasse à une sourde exclamation poussée par le vicomte.

«J’étouffe! disait-il… Toutes ces glaces se renvoient une chaleur infernale!… Est-ce que vous allez bientôt trouver votre ressort?… Pour peu que vous tardiez, nous allons rôtir ici!»

Je ne fus point mécontent de l’entendre parler ainsi. Il n’avait pas dit un mot de la forêt et j’espérai que la raison de mon compagnon pourrait lutter assez longtemps encore contre le supplice. Mais il ajouta:

«Ce qui me console, c’est que le monstre a donné jusqu’à demain soir onze heures à Christine: si nous ne pouvons sortir de là et lui porter secours, au moins nous serons morts avant elle! La messe d’Érik pourra servir pour tout le monde!»

Et il aspira une bouffée d’air chaud qui le fit presque défaillir…

Comme je n’avais point les mêmes désespérées raisons que M. le vicomte de Chagny pour accepter le trépas, je me retournai, après quelques paroles d’encouragement, vers mon panneau, mais j’avais eu tort, en parlant de faire quelques pas; si bien que dans l’enchevêtrement inouï de la forêt illusoire, je ne retrouvai plus, à coup sûr, mon panneau! Je me voyais obligé de tout recommencer, au hasard… Aussi je ne pus m’empêcher de manifester ma déconvenue et le vicomte comprit que tout était à refaire. Cela lui donna un nouveau coup.

«Nous ne sortirons jamais de cette forêt!» gémit-il.

Et son désespoir ne fit plus que grandir. Et, en grandissant, son désespoir lui faisait de plus en plus oublier qu’il n’avait affaire qu’à des glaces et de plus en plus croire qu’il était aux prises avec une forêt véritable.

Moi, je m’étais remis à chercher… à tâter… La fièvre, à mon tour, me gagnait… car je ne trouvais rien… absolument rien… Dans la chambre à côté c’était toujours le même silence. Nous étions bien perdus dans la forêt… sans issue… sans boussole… sans guide… sans rien. Oh! je savais ce qui nous attendait si personne ne venait à notre secours… ou si je ne trouvais pas le ressort… Mais j’avais beau chercher le ressort, je ne trouvais que des branches… d’admirables belles branches qui se dressaient toutes droites devant moi ou s’arrondissaient précieusement au-dessus de ma tête… Mais elles ne donnaient point d’ombre! C’était assez naturel, du reste, puisque nous étions dans une forêt équatoriale avec le soleil juste au-dessus de nos têtes… une forêt du Congo…

À plusieurs reprises, M. de Chagny et moi, nous avions retiré et remis notre habit, trouvant tantôt qu’il nous donnait plus de chaleur et tantôt qu’il nous garantissait, au contraire, de cette chaleur.

Moi, je résistais encore moralement, mais M. de Chagny me parut tout à fait «parti». Il prétendait qu’il y avait bien trois jours et trois nuits qu’il marchait sans s’arrêter dans cette forêt, à la recherche de Christine Daaé. De temps en temps, il croyait l’apercevoir derrière un tronc d’arbre ou glissant à travers les branches, et il l’appelait avec des mots suppliants qui me faisaient venir les larmes aux yeux. «Christine! Christine! disait-il, pourquoi me fuis-tu? ne m’aimes-tu pas?… Ne sommes-nous pas fiancés?… Christine, arrête-toi!… Tu vois bien que je suis épuisé!… Christine, aie pitié!… Je vais mourir dans la forêt… loin de toi!…»

«Oh! j’ai soif!» dit-il enfin avec un accent délirant. Moi aussi j’avais soif… j’avais la gorge en feu…

Et cependant, accroupi maintenant sur le parquet, cela ne m’empêchait pas de chercher… chercher… chercher le ressort de la porte invisible… d’autant plus que le séjour dans la forêt devenait dangereux à l’approche du soir… Déjà l’ombre de la nuit commençait à nous envelopper… cela était venu très vite, comme tombe la nuit dans les pays équatoriaux… subitement, avec à peine de crépuscule…

Or la nuit dans les forêts de l’équateur est toujours dangereuse, surtout lorsque, comme nous, on n’a pas de quoi allumer du feu pour éloigner les bêtes féroces. J’avais bien tenté, délaissant un instant la recherche de mon ressort, de briser des branches que j’aurais allumées avec ma lanterne sourde, mais je m’étais heurté, moi aussi, aux fameuses glaces, et cela m’avait rappelé à temps que nous n’avions affaire qu’à des images de branches…

Avec le jour, la chaleur n’était pas partie, au contraire… Il faisait maintenant encore plus chaud sous la lueur bleue de la lune. Je recommandai au vicomte de tenir nos armes prêtes à faire feu et de ne point s’écarter du lieu de notre campement, cependant que je cherchais toujours mon ressort.

Tout à coup le rugissement du lion se fit entendre, à quelques pas. Nous en eûmes les oreilles déchirées.

«Oh! fit le vicomte à voix basse, il n’est pas loin!… Vous ne le voyez pas?… là… à travers les arbres! dans ce fourré… S’il rugit encore, je tire!…»

Et le rugissement recommença, plus formidable. Et le vicomte tira, mais je ne pense pas qu’il atteignit le lion; seulement, il cassa une glace; je le constatai le lendemain matin à l’aurore. Pendant la nuit, nous avions dû faire un bon chemin, car nous nous trouvâmes soudain au bord du désert, d’un immense désert de sable, de pierres et de rochers. Ce n’était vraiment point la peine de sortir de la forêt pour tomber dans le désert. De guerre lasse, je m’étais étendu à côté du vicomte, personnellement fatigué de chercher des ressorts que je ne trouvais pas.

J’étais tout à fait étonné (et je le dis au vicomte) que nous n’ayons point fait d’autres mauvaises rencontres, pendant la nuit. Ordinairement, après le lion, il y avait le léopard, et puis quelquefois le bourdonnement de la mouche tsé-tsé. C’étaient là des effets très faciles à obtenir, et j’expliquai à M. de Chagny, pendant que nous nous reposions avant de traverser le désert, qu’Érik obtenait le rugissement du lion avec un long tambourin, terminé par une peau d’âne à une seule de ses extrémités. Sur cette peau est bandée une corde à boyau attachée par son centre à une autre corde du même genre qui traverse le tambour dans toute sa hauteur. Érik n’a alors qu’à frotter cette corde avec un gant enduit de colophane et, par la façon dont il frotte, il imite à s’y méprendre la voix du lion ou du léopard, ou même le bourdonnement de la mouche tsé-tsé. Cette idée qu’Érik pouvait être dans la chambre, à coté, avec ses trucs, me jeta soudain dans la résolution d’entrer en pourparlers avec lui, car, évidemment, il fallait renoncer à l’idée de le surprendre. Et maintenant, il devait savoir à quoi s’en tenir sur les habitants de la chambre des supplices. Je l’appelai: Érik! Érik!… Je criai le plus fort que je pus à travers le désert, mais nul ne répondit à ma voix… Partout autour de nous, le silence et l’immensité nue de ce désert pétré… Qu’allions-nous devenir au milieu de cette affreuse solitude?…

Littéralement, nous commencions à mourir de chaleur, de faim et de soif… de soif surtout… Enfin, je vis M. de Chagny se soulever sur son coude et me désigner un point de l’horizon… Il venait de découvrir l’oasis!…

Oui, tout là-bas, là-bas, le désert faisait place à l’oasis… une oasis avec de l’eau… de l’eau limpide comme une glace… de l’eau qui reflétait l’arbre de fer!… Ah ça… c’était le tableau du mirage… je le reconnus tout de suite… le plus terrible… Aucun n’avait pu y résister… aucun… Je m’efforçais de retenir toute ma raison… et de ne pas espérer l’eau… parce que je savais que si l’on espérait l’eau, l’eau qui reflétait l’arbre de fer et que si, après avoir espéré l’eau, on se heurtait à la glace, il n’y avait plus qu’une chose à faire: se pendre à l’arbre de fer!…