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L’information surprit Nicolas.

— Charles Henri Sanson, l’exécuteur des hautes œuvres ?

— Soi-même ! s’écria maître Vachon, ravi de pouvoir apprendre quelque chose à un homme réputé et redouté du Grand Châtelet. Il courait le beau monde et se faisait appeler « chevalier de Longval », du nom d’une terre que possédait sa famille. Il nourrissait un goût effréné pour la chasse. Non content d’usurper un nom et un titre incertain, il portait l’épée et se vêtait d’un habit bleu, apanage de la noblesse. On raconte même qu’il aurait été rappelé à l’ordre par le procureur du roi qui lui aurait tympanisé sa condition très subalterne en tant que bourreau. Après cette algarade, Sanson aurait adopté le vert comme couleur et fait tailler ses habits selon une coupe particulière, si étrange qu’elle attira l’attention du marquis de Lestorières qui se panadait[47] d’être à Versailles l’arbitre des élégances. La mode se répandit de s’habiller « à la Sanson ». L’histoire n’est-elle pas plaisante ?

Il ploya son long corps en riant et s’approcha de Nicolas après avoir jeté un regard furibond sur les apprentis qui dressaient l’oreille.

— On dit même qu’il aurait eu un faible pour Jeanne Becu, l’actuelle sultane[48]. L’oncle de la belle, abbé de Picpus, était proche de la famille. Sanson soignait ses rhumatismes avec de la graisse de pendu ! Mais je vous entête avec mes radotages. Que puis-je pour vous ?

Il se précipita vers un de ses aides à qui il tordit une oreille.

— Heu ! Heu ! Je t’y prends, à travailler à grands points. Recommence et tu verras. À l’amende ! À l’amende !

Nicolas sortit un petit objet brillant de sa poche et le tendit à maître Vachon.

— Que vous semble de cet objet ?

L’autre ajusta ses besicles, retourna la chose, l’approcha d’une chandelle et la fit miroiter plusieurs fois.

— Peuh ! dit-il. Un ferret de cuivre destiné à terminer une torsade. Objet de fantaisie pour uniforme du même acabit. D’ailleurs, je parierais...

Il se dirigea vers un meuble composé de tiroirs juxtaposés et fouilla dans l’un d’eux. Il ne fut pas long à en tirer une poignée d’objets semblables.

— J’étais sûr les avoir vus quelque part. Vous êtes bien placé pour savoir que j’ai des pratiques, et des plus huppées, à la cour et à la ville. Eh bien, ce petit article de laiton appartient à une babiole de fantaisie ajoutée, je dirais surajoutée, au nouvel uniforme des gardes de la Ville, si malheureusement porté pour la première fois lors de la fête que le prévôt offrit aux Parisiens, place Louis-XV.

— Voilà qui me satisfait. Pousseriez-vous la complaisance jusqu’à me confier le nom de vos clients pour cet article ?

— Je ne peux rien vous refuser. Voyons, il y avait Barboteux, Rabourdin...

Il consulta un registre écorné.

— Tirart et... Langlumé. Lui, c’était le major, le plus exigeant et le plus... arrogant, je dois le dire.

Nicolas dut encore palper quelques tissus qui venaient d’entrer en boutique et recevoir les offres du maître artisan avant de prendre congé. Puis il marcha, pensif, dans ce quartier qu’il connaissait bien pour y avoir vécu lors de son arrivée à Paris. Il passa devant la maison des Blancs-Manteaux, théâtre de ses premiers exploits. Dieu que cela était loin ! Mais le présent multipliait les surprises. Maître Vachon venait de lui dévoiler un pan ignoré de la vie de Sanson. La police de M. de Sartine ignorait-elle ces choses ou lui-même n’avait-il pas cherché à les connaître ? Les êtres étaient si divers dans l’image qu’ils offraient aux autres. Ils ouvraient des tiroirs différents selon leurs interlocuteurs ; ou, comme des miroirs, reflétaient ce que l’on attendait d’eux. Ainsi, cet homme effacé, aux qualités prouvées, savant et même érudit, pieux, sinon dévot, sensible et pitoyable, cherchant toujours à tirer bénéfice des apports d’une science acquise dans la souffrance des torturés et des condamnés, pouvait aussi se montrer léger et soucieux de son apparence, à l’opposé de l’homme timide en habit puce qui officiait dans la pénombre de la Basse-Geôle. Après tout, chacun avait droit à sa liberté, et Sanson exorcisait peut-être ainsi l’horreur quotidienne de sa tâche. Nicolas s’en voulut soudain de son jugement. Il devait faire crédit à quelqu’un qu’il considérait comme un ami. Ceux qui bénéficiaient de ce qualificatif n’appelaient pas de jugement, il fallait les prendre comme ils étaient, avec leurs lumières et leurs ombres.

Nicolas monta dans un fiacre rue Saint-Antoine. Ainsi, il ne s’était pas trompé ; la petite pièce qui avait bloqué la porte menant aux terrasses de l’hôtel des Ambassadeurs Extraordinaires provenait bien de l’uniforme d’un garde de la Ville. Or, qui d’autre que le major Langlumé pouvait avoir accès à ce bâtiment réservé aux invités de marque du prévôt des marchands ? Lui seul, pour des raisons à éclaircir, aurait pu nourrir le dessein d’enfermer un commissaire dans les combles. Ce n’était pas Nicolas personnellement qui était visé, même si un incident les avait opposés quelques heures plus tôt, mais bien l’envoyé de M. de Sartine, l’œil du lieutenant général de police sur la fête. Entraver le cours normal de la mission d’un magistrat, tel était, simplement énoncé, le résumé de l’acte du major. Il conviendrait d’en découvrir les mobiles, qui n’étaient pas sans rapports avec la suite de la catastrophe. Peut-être les choses auraient-elles tourné différemment si Nicolas, ayant perdu de longs moments à s’évader par la cheminée, n’avait pas été empêché d’agir.

Mais une autre curiosité titillait Nicolas, qui se promit de consulter les archives du Châtelet. Leur collection ne laissait pas de surprendre ses rares lecteurs par la variété de ses informations, les unes colportées par les mouches, les autres extraites des opérations du cabinet noir. Cette idée le tarauda jusqu’à son bureau. À peine arrivé, il alla consulter les vieux registres. Aidé par un antique greffier conservateur des lieux, il tomba rapidement sur une liasse imposante consacrée à la famille Sanson. Documents, extraits et fiches se superposaient en un amas informe et néanmoins chronologique. Il finit par trouver un papier récent qui paraissait résumer l’ensemble :

Charles Henri Sanson, né à Paris le 15 février 1739 de Charles Jean-Baptiste Sanson et de Madeleine Tronson, exécuteur des hautes œuvres. Courtise des femmes et voit des filles. Marque ses prétentions en portant l’épée sous le nom de chevalier de Longval. S’est rangé depuis son mariage. Passe pour sorcier et rebouteux. A rencontré sa femme, Marie-Jeanne Jugier, fille d’un maraîcher du faubourg Montmartre, en allant à la chasse, dont il raffole. Un de ses témoins est Martin Séguin, artificier chargé des fêtes du roi, rue Dauphine, paroisse Saint-Sulpice. Il possède une maison à l’angle de la rue Poissonnière et de la rue d’Enfer et une ferme à Brie-Comte-Robert. A connu J. B. G. D. D. L. d. B. qu’il aurait eue. Très introduit auprès du commissaire Le Floch qui lui réserve ses ouvertures clandestines au grand détriment des médecins en quartier (plaintes jointes au dossier).

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47

Forme première du verbe pavaner.

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48

La comtesse du Barry.