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— Messieurs, messieurs, s’écria Nicolas, vous parlez d’or, mais vos connaissances ne sont pas les miennes ! Simplifiez, de grâce, votre propos pour le pauvre auditoire que je suis.

— Voyez-vous, Nicolas, dit Semacgus, les poumons respirant prennent du volume. Ils changent de situation et de couleur et repoussent le diaphragme. Leur poids se trouve augmenté par le sang qui les parcourt et leur pesanteur spécifique est moindre, parce qu’ils sont dilatés par l’air. Je vous passe les détails et l’étude approfondie du phénomène. Nous allons procéder. Ma trousse étant à Vaugirard, j’ai emprunté celle du chirurgien de quartier au Châtelet. Bon gré, mal gré, il me l’a prêtée, l’évocation du nom du commissaire Le Floch ayant fait merveille !

Il désigna un coffret de cuir qui, ouvert, scintilla à la lumière des flambeaux. D’un sac en tissu noir, il sortit un récipient en verre gradué sur le côté. Puis il mit bas son habit tandis que Sanson retirait son bicorne et sa veste d’apparat et que Bourdeau allumait sa pipe. Nicolas, presque instinctivement, sortit de sa poche une petite tabatière et assista avec horreur au début de l’ouverture. Quiconque l’eut observé n’aurait pu manquer de noter l’émotion qui le poignait. Ces deux hommes, qu’il connaissait trop bien, avec leurs qualités, leurs travers et même leurs vices, s’agitaient au centre de ce caveau sordide, penchés sur une pauvre chose pourrissante, en murmurant des paroles incompréhensibles. Il ferma les yeux quand de minuscules organes furent extraits, pesés, disséqués et examinés. Enfin, au terme d’une recherche qui lui parut interminable, et après que les poumons de l’enfantelet eurent été plongés dans le récipient rempli d’eau, les deux hommes se lavèrent les mains et échangèrent encore quelques remarques à mi-voix, avant de se tourner vers le commissaire.

— Alors, messieurs, dit Nicolas, que concluez-vous, si toutefois l’examen autorise une conclusion ?

Semacgus répondit :

— Le fœtus a respiré, nous en sommes convaincus.

— Nous écartons, poursuivit Sanson, la possibilité qu’il soit mort en naissant.

— Les poumons dans leur totalité sont d’un rouge peu foncé, mais plus léger que l’eau.

— Bien, je vous entends tous les deux. Mais si tout porte à croire que le fœtus a vécu après la délivrance de la mère, pouvez-vous déterminer si la mort est naturelle ou si elle peut être attribuée à quelque violence et, dans ce cas, quelle en est l’espèce ?

Après un long silence, Sanson croisa les mains.

— Nous avons écarté la monstruosité, source fréquente de décès, car l’enfant était normal et même bien constitué. Nous ignorons les conditions et la difficulté de l’accouchement, mais il n’y paraît rien sur un corps dont l’état n’est pas parfait. Il n’y a pas non plus présomption d’asphyxie.

— Alors ?

— Alors... Nous présumons une hémorragie ombilicale. On ne ligature pas le cordon et cela entraîne la mort La jurisprudence considère que celui qui s’y risque encourt l’accusation d’infanticide. Nous croyons même que la ligature a été pratiquée par l’assassin, après avoir laissé couler le sang pour mieux donner le change. Ainsi s’expliquerait que vous n’ayez pas découvert de linges ensanglantés ni de traces de ce fluide dans la terre où le corps reposait et dans laquelle vous l’avez retrouvé.

— Tout cela est horrible, dit Nicolas.

Semacgus hocha la tête.

— Certes, oui. Mais, dans un esprit dérangé, c’est n’être point coupable que de laisser le nouveau-né se vider de son sang. Le criminel a le sentiment de laisser faire la nature et non pas d’effectuer un geste atroce. Pour notre part, nous estimons qu’un infanticide a bien été commis sur un nouveau-né qui avait respiré.

— Messieurs, je vous remercie encore une fois. Avant de nous quitter, un dernier service. Bourdeau, avez-vous apporté le flacon d’apothicaire retrouvé chez le fripier ?

L’inspecteur fouilla la poche de son habit et en tira l’objet.

— Vous serait-il possible, demanda Nicolas, de me dire ce qu’il a bien pu contenir ?

Semacgus se saisit du flacon, en ôta le bouchon de verre, le porta à ses narines. Son grand nez se fronça d’attention tandis qu’il le respirait. Il le tendit à Sanson, qui fit de même.

— C’est évident, murmura le bourreau.

— Des cristaux subsistent, imperceptibles. Avec un peu d’eau, peut-être...

Semacgus se dirigea vers la fontaine et fît couler un mince filet d’eau sur un doigt. Quand il n’en demeura plus que quelques gouttes, il les fit descendre le long de la paroi de verre. Il agita le flacon et le referma. Il demanda alors à Bourdeau d’activer le fourneau de sa pipe. Quand le tabac fut rouge, il y plaqua le fond du flacon pendant quelques instants.

— Cela va activer la décoction et l’amalgame.

Il rouvrit le flacon, le respira, le passa à Sanson qui hocha la tête affirmativement.

— Laudanum.

— Suc du pavot blanc, narcotique et soporatif, fit Semacgus en écho.

— Les risques ? demanda Nicolas.

— Divers. Sommeil profond de durée variable selon la quantité absorbée. Un excès peut conduire à la mort. Tout abus répété, à l’abrutissement.

Semacgus consultait du regard Sanson, qui opinait du chef. Il poursuivit :

— Tout dépend évidemment de l’âge et de l’état de santé de la personne qui en use.

— Tout est très clair, mes amis. Vos conclusions et vos dernières précisions éclairent ma lanterne. Je vais devoir vous quitter, la suite de l’enquête m’appelle sur d’autres terrains. Bourdeau, demain à cinq heures de relevée, comparution générale à huis clos dans la salle d’audience de M. de Sartine en présence du lieutenant criminel. Qu’on y transporte Naganda et la Miette. Il serait bon aussi que Marie Chaffoureau, la cuisinière, y comparût.

— Nicolas, suggéra Semacgus, si nous allions nous restaurer dans une de ces gargotes qu’affectionne notre bon Bourdeau ?

— Gargotes, peut-être, répondit Bourdeau, piqué, mais on y dîne proprement et agréablement. Vous en fîtes souvent l’expérience, docteur.

— Certes ! Ne prenez pas mon propos en mauvaise part. Je vous en sais gré, ayant la reconnaissance du ventre. Alors, Nicolas ?

— Je vous reconnais bien là, mon cher Semacgus, mais le temps me presse. Il me faut coincer un quidam avant la chute du jour. Après, ce serait le diable pour le retrouver avant l’aube.

Nicolas tendit la main à Sanson qui, cette fois, la lui serra sans réticence. Sur le seuil, il se retourna pour rappeler à Semacgus et à Bourdeau qu’il comptait sur eux le lendemain, lors de la grande séance. Il eut quelques difficultés à retrouver son cocher, parti se restaurer et qui, fatigué, s’était endormi le nez dans son plat. Le gamin de service alla le quérir et le ramena en profitant de l’occasion pour le houspiller. Il se vit aussitôt promettre quelques cinglants coups de fouet comme châtiment de son insolence. La présence silencieuse et sereine de Nicolas ramena le calme. La voiture prit la direction de la rue Saint-Honoré.

Nicolas voulait vérifier un point auprès de la cuisinière des Galaine. La confirmation de l’infanticide ne le surprenait guère. Quant au flacon qu’il sentait dans sa poche, sa dissimulation et sa mise en gage chez un fripier disaient assez son importance. Il crevait les yeux que cet indice était à mettre en relation avec l’état étrange dont Naganda s’était plaint. Quelle vérité, cependant, pouvait-on retenir des propos d’un témoin dont tout conduisait à penser qu’il mentait, dissimulant des faits et travestissant ses actions sans rendre un compte exact de son emploi du temps ? La boutique à l’enseigne des Deux Castors fut bientôt en vue. La cuisinière vint lui ouvrir et, sans doute privée d’interlocuteurs depuis l’aube, donna libre cours à son bavardage.