Le 10 août, il avait quitté Paris en compagnie de Nicolas. Sartine avait dûment pourvu son adjoint de lettres et d’ordres du duc de Praslin, ministre de la Marine, destinés à faire reconnaître l’Indien par le commandant du navire. Ils avaient gagné Nantes dans une berline louée, en longeant la Loire par petites étapes. Naganda n’avait cessé de s’extasier devant la beauté des villes traversées et la prospérité des campagnes. De longues conversations les avaient rapprochés et Nicolas demeurait surpris de la culture et de la curiosité de son compagnon. Interrogé, celui-ci ne répondit pas sur la vision qu’il avait eue du meurtrier d’Élodie. Nicolas eut l’intuition que sa réponse se serait apparentée à la remarque du père Raccard à l’issue de la séance extraordinaire d’enquête. Il n’insista pas.
Dès l’entrée dans Nantes, Naganda s’étonna de la vétusté des quartiers les plus anciens où les rues étaient si étroites que la berline dut, à plusieurs reprises, reculer pour chercher une voie plus large. De hautes maisons rapprochées, aux fenêtres à croisillons, dominaient les chaussées. Ils descendirent à l’hôtel Saint-Julien, place Saint-Nicolas. Il se révéla vieux, malpropre et plein de vermine, comme la plupart de ceux où ils avaient couché depuis Paris. Une auberge au bord de l’Erdre les réconforta par la tendresse d’un canard local rôti, arrosé d’un vin d’Ancenis. Le lendemain, ils montèrent à bord d’un vaisseau à deux ponts dont l’apparence avait été transformée afin de pouvoir passer pour un navire de traite partant pour la côte d’Afrique et tromper ainsi la croisière anglaise. Le chargement de ses cinquante canons s’était effectué secrètement à La Rochelle. Ils reçurent un accueil courtois du commandant. Les adieux furent écourtés. L’Indien remercia Nicolas de son appui et souhaita le recevoir un jour parmi les siens.
À présent, depuis le jardin des Capucins situé sur une haute roche surplombant la ville et ses environs, Nicolas contemplait le paysage. Le fleuve élargi se divisait en plusieurs bras avec de petites îles, les unes désertes, les autres couvertes de masures. Entre elles émergeaient çà et là les mâts d’une multitude de vaisseaux. En face de lui s’étendait une campagne monotone avec des champs, des troupeaux, des moulins, des marais et les masses sombres des forêts lointaines. À sa gauche, la ville se présentait avec ses nombreux clochers, les riches quartiers des négociants et la silhouette imposante du château des ducs de Bretagne, dominé par la cathédrale. Il songea avec émotion à Guérande, si proche, où s’était déroulée son enfance, et cette réflexion le conduisit à revenir sur son passé.
Il se dit que trop de ses amis le quittaient pour partir au-delà des mers. Pigneau poursuivait sa mission au Siam et maintenant Naganda rejoignait les siens. Il chercha des yeux L’Orion ; ce n’était plus qu’un jouet dans le lointain. Nicolas emplit ses poumons de l’air marin venu du large, imagina qu’un jour, lui aussi, prendrait la mer et redescendit lentement vers la ville. Paris l’attendait avec ses foules et ses crimes.
Carthage, La Marsa, avril-novembre 2000
REMERCIEMENTS
Ma gratitude va d’abord à Marie-Claude Ober qui a déployé compétence, vigilance et patience pour la mise au point du texte. Elle s’adresse aussi à Monique Constant, conservateur général du Patrimoine pour ses encouragements et son aide permanente. Ma reconnaissance est encore une fois acquise à Maurice Roisse pour sa précise et intelligente relecture du manuscrit. Enfin, je remercie mon éditeur pour la confiance manifestée à l’occasion de ce troisième ouvrage de la collection.