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Ces braves gens s’approchèrent d’un monsieur qui avait deux grosses valises posées devant lui et lui mirent sous le nez un carton tricolore, en le priant, s’il vous plaît, de déballer sa came, qu’on voye un peu de quoi il s’agissait.

Le monsieur dut ouvrir tour à tour ses deux valoches, pleines de linge, dans lesquelles les deux zazous fouillèrent effrontément. Avec eux, personne n’était blanc. La France n’était plus qu’un peuple de trafiquants, il n’y avait plus de gens honorables, ce en quoi ils ne se trompaient guère, d’ailleurs.

Enfin, convaincus de la bonne foi du monsieur, ils l’abandonnèrent à regret, le laissant se débattre avec les difficultés que l’on éprouve toujours à remettre dans une mallette un pyjama qui, dès le départ, s’était déjà refusé à y entrer.

Le monsieur semblait fort ennuyé par ce déballage de lingerie intime.

Les deux contrôleurs poursuivirent leur ronde.

Dès la première expérience, quelques citoyens avaient compris et n’ayant pas la conscience virginale, ils avaient saisi leurs bagages et gagné la sortie aussi vite que si leur train eût été au bord du quai. D’autres étaient restés, par résignation.

Certains, d’ailleurs, dormaient.

C’est précisément à un dormeur qu’ils s’adressèrent cette fois. Ils le secouèrent sans vergogne. Le type sauta sur ses pieds, se frotta les yeux.

— C’est à vous, ces valises ?

— Heu… je… Non.

— Vous êtes sûr ?

— Un peu, oui.

Les deux ostrogoths se tournèrent vers l’assistance.

— À qui sont ces valises ?

Un silence de tombeau, avec de petits yeux, noirs de haine, qui les dévisageaient.

— Personne ne répond ? Alors tant pis, on va les ouvrir.

Ils se penchèrent sur les valises et, à l’aide d’un couteau, se mirent en devoir de forcer la serrure.

— Si je ne me retenais pas, gronda Bams, j’irais leur botter les fesses, moi, à ces deux pédales, ce serait vite fait.

Un des jeunes gens se tourna vers nous et nous lança un regard mauvais. Son compagnon ayant réussi enfin à ouvrir la première valtouse, son attention fut attirée par les débris d’un magnifique cochon.

— Ah ! ah ! dit le zazou en se relevant, voilà de la belle camelote. Vous persistez à affirmer qu’elle ne vous appartient pas ?

— Puisque je vous le dis, grogna le dormeur.

Ça ne faisait pas de doute, au contraire, que tout ça était bien à lui. Et quand on savait le pognon que coûtait le porc, en ces temps bénis, les difficultés qu’on éprouvait pour se le procurer et la peine physique qu’il fallait fournir, on comprenait que le gars ne soit pas à la noce.

En outre, s’il avait avoué que le porc lui appartenait, outre la saisie, inévitable, il n’y coupait pas d’une contredanse.

— Nous saisissons contenant et contenu, déclara un des poulets.

— Vous en faites pas, ils auront de la viande à manger demain, ces salauds, dit quelqu’un à côté de nous.

— Vous croyez qu’ils vont le garder pour eux ?

— Naturellement ! Vous pensiez qu’ils en faisaient cadeau aux hôpitaux ?

— On le dit.

— « Eux » le disent. Mais ils bouffent tout ce qui leur tombe sous la patte. Si mes moyens me le permettaient, j’irais chercher de la viande quelque part, je la saupoudrerais de strychnine et je me la ferais saisir. Ça ferait toujours quelques salauds de moins.

Un vieux type haussa les épaules.

— On ne trouve même plus de strychnine.

C’était vrai. D’ailleurs, en définitive, je me demande vraiment ce qu’on trouvait encore.

— Et moi, éclata Bams, si jamais il y en a un qui vient me chercher des crosses, je lui esquinte tellement le derrière, qui semble être son principal gagne-pain, que je le réduis à la mendicité.

Ce coup-ci l’inspecteur, qui avait sans doute déjà entendu la première réflexion de Bams, marcha droit sur nous.

— Monsieur, dit-il, j’ai parfaitement entendu vos insultes. Je n’ai rien dit, la première fois, parce que j’ai fait la part de la nervosité générale. Mais maintenant c’est trop. Montrez-moi vos papiers.

Une fois de plus nous étions embringués dans une drôle de combine.

CHAPITRE 4

Bams regarda le type et se mit à rire. Les inspecteurs du Contrôle Économique froncèrent les sourcils.

— Mes papiers ? dit mon copain. Est-ce que vous croyez que je montre mes papiers à n’importe qui ? En Argentine, la plus grosse injure que l’on puisse faire à quelqu’un, c’est de lui demander ses papiers, précisément.

— Nous ne sommes pas en Argentine, objecta l’un des types.

— Peut-être, mais c’est dommage. Et, en tout cas, pour moi, vous êtes quand même n’importe qui. Je vous montrerai peau de balle.

Le second poulet en perdit d’abord la voix. Puis il se mit à enfler en devenant écarlate au fur et à mesure. On aurait dit qu’on le faisait cuire à petit feu, par le dedans.

— Nous sommes inspecteurs du Contrôle Économique ! explosa-t-il.

— Hé bien, messieurs, contrôlez, contrôlez, dit Bams sans perdre son sourire. Mais comme je ne transporte rien, que je n’ai aucun bagage, je me demande bien ce que vous pourrez me faire ouvrir, à moi.

— On va vous fouiller, dit le plus jeune des deux flics. On ne sait jamais. On a volé pas mal de tickets dans les mairies, ces derniers temps. Et le trafic des faux titres porte sur plusieurs centaines de mille.

— Allons, dis-je, ne nous frappons pas. Si le gouvernement honore de telles quantités de faux ticsons, ça prouve qu’il y a encore de quoi bouffer en France et qu’avec un peu de bonne volonté on arriverait sûrement à faire bouffer le pays d’une manière normale.

— Je ne suis pas là pour critiquer le gouvernement, répliqua cette petite salope à mon adresse. Montrez-moi aussi vos papiers. Et je vous conseille d’y adjoindre votre certificat de travail. Parce que sans ça…

— Sans ça quoi ? demandai-je. Ce coup-ci, c’était mon tour de me mettre en rogne.

— Sans ça, je vous mets dans les pattes des Allemands. Vous vous débrouillerez avec eux.

— Ah oui ? s’exclama Bams, qui ne s’attendait pas à une pareille vacherie. Eh bien, dans ce cas-là, je préférerais te montrer mes fesses, t’entends, fleur des pois ? Et sans doute qu’avec la tête que tu trimballes, tu aimerais encore mieux ça, pas vrai, petite tante ?

Il y tenait vraiment, mon pote, à traiter ce type de pédéraste !

Le zazou blêmit. Il fit un pas en arrière et porta la main à sa poche revolver.

Mais déjà j’étais debout devant lui. Et l’air pas commode, avec ça, du chien méchant qui voit un autre clebs s’approcher de sa gamelle.

Le zazou blêmit encore plus fort, si c’était possible.

— Écoute, dis-je les dents serrées. Je n’aime pas beaucoup les Français qui sont trop froussards pour régler leurs affaires eux-mêmes et qui font intervenir les Allemands sitôt qu’ils se sentent en infériorité.

Le type bafouilla :

— Je n’ai pas dit que je ferais intervenir les Allemands !

— Et menteur avec ça ! ricana Bams. Répète un peu que tu ne l’as pas dit ?

— Ça suffit comme ça, dit le deuxième inspecteur, en tremblant un peu, nous n’avons aucun compte à vous rendre. C’est vous qui nous devez des explications. Suivez-nous jusqu’au commissariat.