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Bams se claqua la cuisse et tendit son index en avant, en un geste obscène.

— Tiens ! dit-il, comme ça, je te suivrai !

L’autre à son tour, mit la main dans sa poche. Je fis un bond en arrière. Moi aussi, mes doigts se serraient sur la crosse de mon feu dans la poche de mon veston.

— Ras de ça, Lisette ! dis-je. Le premier qui a des velléités de tirer son pétard, je l’abats comme une quille.

Les contrôleurs nous regardèrent avec inquiétude. Est-ce que je bluffais ? Ou étais-je vraiment armé ? Dans ce cas, nous étions certainement une belle bande de fripouilles, Bams et moi. En ces temps bénis, à peine si la police, de peur d’indisposer les Allemands, osait sortir avec une arme. Seuls les miliciens…

La foule s’était légèrement écartée. Quand il est question de pruneaux, il n’y a pas beaucoup d’amateurs. Et puis ces histoires de gens qui mettent la main à leur fesse et parlent tout de suite de sortir un pétard, ça n’avait rien de rassurant. Si les boches s’en mêlaient, ils allaient certainement emballer tout le monde et ces gars-là, on le savait, ils ont la tête dure, ils sont sans pitié.

— Sapristi ! dit un des poulets.

— Il n’y a pas de sapristi, dis-je. On ne vous a rien demandé. Vous nous avez sauté dessus en prétendant que nous vous avions injuriés, vous nous avez fait l’insulte de nous demander nos papiers, et vous nous avez menacés de nous fourrer dans les pattes des boches. Ça, c’était de trop. On n’a pas le droit de plaisanter avec des trucs pareils. Alors, si j’ai un conseil à vous donner, prenez la porte et fichez-nous la paix.

À ce moment-là, pour leur malheur, une sorte de gloussement partit de l’assistance. C’était une poupée qui se marrait.

Passer pour des andouilles et des lavettes au regard de la partie virile de la population, ça ne les touchait pas exagérément. Mais que des souris les chambrent, ça, ça ne marchait plus du tout.

— Fini de rire, dit le plus grand. Je vous ordonne de nous suivre.

— Monte là-d’ssus, répondit Bams.

— Prends garde ! criai-je.

Mais Bams avait également vu le geste du type qui sortait son flingue. Seulement, au lieu de faire un bond en arrière il le fit en avant. Je ne pense pas que de toute sa vie le poulet ait reçu une aussi magistrale paire de claques. Il en laissa tomber son revolver. Moi, j’avais bondi sur le second. Mon pied était parti tout seul, comme mû par une force indépendante de ma volonté, et le poulet avait reçu ma godasse en plein cigare. Un truc à lui casser définitivement le nez et à le disgracier pour le reste de ses jours.

Au même instant, un grondement énorme emplit la pièce. Les gens se ruèrent vers la sortie. Non seulement parce qu’il valait mieux ne pas assister à cette peignée, mais aussi parce que l’express que nous attendions entrait en gare.

— Le train ! criai-je à Bams.

Par acquit de conscience, il balança encore un terrible jeton dans la figure du flic et sauta vers la porte.

Je jetai un dernier regard au poulet que j’avais corrigé. Il était étendu sur le dos, au milieu de la salle d’attente. Il avait mis les mains sur son visage martyrisé et il saignait du pif comme une fontaine Wallace.

Les voyageurs passaient à côté de lui, le regardaient se tordre soit avec pitié, soit avec indifférence. Dans quelques regards, il y avait de la haine.

Le mec à qui quelques instants auparavant ces inspecteurs avaient saisi les bagages ramassa sa came et fonça dans le brouillard à toute pompe, pensant bien qu’un tel miracle ne se reproduirait pas deux fois.

Je tournai les talons et suivis Bams qui galopait vers la tête du train, estimant qu’il y aurait sans doute là-bas moins de monde. Il n’était pas le seul, d’ailleurs, à l’avoir remarqué, et déjà d’autres champions suivaient leur entraînement de coureurs à pied. Et avec handicap, encore, car il fallait qu’ils trimballent, en plus, leurs énormes valoches, leur femme ou leur gosse, des fois les deux.

Nous, Dieu merci, on n’était pas encombrés de tels colis, on avait les coudées franches. C’est ce qui nous permit d’arriver bons premiers, malgré un retard initial, et de nous emparer de deux places de coin, face à face, juste à côté de la glace du fond. L’endroit rêvé à l’abri des courants d’air, à l’abri des « pardon m’sieur-dames » et des grosses godasses qui vous écrasent les arpions.

Il faisait là-dedans une température torride, à l’inverse des autres trains. Celui-ci était chauffé, on se demandait pourquoi. Encore du sabotage ! devaient penser les maréchalistes, très contents quand même de se chauffer tranquillement le derrière.

— Enfin, dit Bams, on va pouvoir roupiller tranquilles.

— Touche du bois.

Comme la plupart des Catalans, il était plutôt superstitieux et il se lança dans tout un tas de simagrées en vue de conjurer le mauvais sort. Mais il était dit qu’avant de nous endormir dans les bras de Morphée nous aurions encore des nouvelles concernant les suites de notre aventure narbonnaise.

En effet, nous nous trouvâmes installés à côté de gens qui avaient pris le train à Narbonne et qui parlaient encore de toutes les salades qu’ils avaient eues avant le départ. Paraît que les boches, la milice et la police avaient stoppé le train. Ils étaient montés en groupe dans chaque wagon, avec une sentinelle à chaque porte, pour empêcher que les passagers puissent fiche le camp, et ils avaient fouillé tout le convoi. Parait qu’ils étaient malades, tous tant qu’ils étaient, fous de rage rentrée.

C’est pour ça que le train avait du retard. Ils avaient tout remué dans la gare, même les waters, même la lampisterie, même le bureau du chef de gare que la milice ne portait pas dans son cœur.

Naturellement, ils avaient trouvé peau de balle. Je veux dire par là que, évidemment, ils ne nous avaient pas mis la main dessus. Mais c’étaient des gens qui ne se retiraient jamais bredouilles, fallait qu’ils empoisonnent l’existence de quelqu’un. Alors, pardi, ils avaient tout de même emballé quelques pauvres diables dont les papiers n’étaient pas tout à fait en règle ou dont la tête ne leur revenait pas.

Avec de pareils procédés et lorsqu’on a pris le droit de conduire au poste, comme ça, de sa propre autorité, un pauvre type sous le prétexte que son nez n’est pas conforme au canon officiel du Troisième Reich ou qu’il a une tête d’assassin, lorsqu’on commence à fouiller les huit ou dix wagons d’un express, c’est bien rare si on ne fait pas bonne chasse.

Nous, encore une fois, on était passé au travers. C’était miraculeux, avec tout ce qui m’était arrivé, pour ma part, quand j’y songeais. Il y a des gens qui ont été emballés une seule fois et qui n’ont jamais réussi à s’en tirer, hélas ! et moi, ils n’avaient même pas réussi à me mener seulement en prison. Il est vrai aussi que s’ils m’avaient mené au bigne, ça aurait été une tout autre paire de manches. Je n’en serais pas sorti aussi rapidement.

J’en arrivai à conclure par ce très simple raisonnement : rien n’avait d’importance tant qu’on n’était pas dans le trou. Dans ce cas, il fallait tout faire pour ne pas y descendre. Et voilà, La Pallice n’aurait pas fait mieux.

C’est bercé par ces rêveries optimistes que je m’endormis enfin. Je ne me réveillai qu’à Tarascon pour apprendre, dans un petit matin blême comme une aube d’exécution, que nous avions encore pris soixante-dix minutes de retard depuis Béziers et que, pour ce qui est de la correspondance avec le rapide de Marseille à destination de Lyon, c’était pas la peine de compter dessus. C’est du moins ce que les autres voyageurs affirmaient.

De Beaucaire à Tarascon y a qu’à passer le pont. On a l’habitude d’entendre dire ça avec un accent où chantent les cigales. Mais ici, aujourd’hui, c’était la chanson du mistral qui donnait à tout berzingue. Et ça, passe encore. Ça avait tout de même quelque chose de provençal. Malheureusement, dans le couloir, il y avait des Chleuhs qui, à grands coups de gueule, s’expliquaient mutuellement de sombres histoires, car ils n’avaient pas l’air très contents.