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Le type qui semblait être le chef hurla quelque chose en allemand. Je pense qu’ils ne voulaient pas nous tuer mais nous avoir vivants. Ils espéraient ainsi des félicitations de leurs supérieurs, qui se foutaient complètement de la mort d’un homme, mais s’intéressaient essentiellement aux renseignements qu’ils pouvaient tirer de nous.

Bref, je me relevai pour me trouver cette fois en face de deux Chleuhs armés avec des gueules qui ne reflétaient pas précisément l’indulgence.

À côté de moi, Bams, toujours debout, titubait. Il avait laissé tomber son feu et se tenait l’épaule. Il avait dû salement morfler.

Un des Allemands fit un pas en avant et du pied lança le revolver dans le fleuve.

Encore une fois, c’était facile de voir que ces types n’étaient pas des amateurs. Ils savaient qu’un revolver n’est vraiment efficace qu’à une certaine distance et qu’il convenait de ne pas trop s’approcher des gars qu’on menaçait. Ils reculèrent donc encore un peu, sans cesser, bien entendu, de nous tenir sous le feu de leurs armes.

Puis l’un des acrobates tira un sifflet de sa poche et en sortit un son triste.

À côté de nous, des gens passaient, frileusement enveloppés dans leurs pardessus. Ils longeaient le trottoir et lorsque, émergeant de la brume, ils se trouvaient nez à nez avec notre groupe, ils faisaient de côté une sorte de bond craintif et s’éloignaient rapidement après nous avoir adressé un regard curieux.

Personne, en effet, et c’était normal, ne tenait à se mêler à cette sale histoire.

Le flic n’avait pas plus tôt sifflé que trois ou quatre soldats allemands arrivèrent en courant. Suivis, bien entendu, de deux flics français que ce tapage avait attirés.

Tout ce monde se rassembla autour de nous et commença à palabrer. Les Allemands, dans leur jargon, discutaient le coup en nous désignant tour à tour, puis l’un des civils montra un insigne aux troufions qui, aussitôt se mirent au garde-à-vous. Ils avaient l’air d’avoir autant que nous la frousse de leur compatriote.

Sur un ordre, l’un des militaires se détacha et recommença à nous fouiller.

Naturellement, au point de vue arme, il ne trouva pas grand-chose, faut même dire rien du tout. En effet, mon pétard m’avait été enlevé par le type de la Gestapo, celui de Bams les poissons du Rhône devaient en faire le tour avec curiosité, quant à sa navaja, ils ne la trouvèrent pas. Comme elle était très mince et toujours ouverte, ils durent penser que c’était un crayon ou quelque chose comme ça. Ou peut-être que les couteaux, ça ne les épouvantait pas.

En tout cas, nous avions toujours une arme de réserve.

L’un des flics français s’approcha de nous.

— Qu’est-ce que vous avez fait ? demanda-t-il.

— Ils nous ont braqués, répondis-je.

Et alors ?

— Et alors on a trouvé deux pétards sur nous.

Le flic émit un petit sifflement.

— Bigre ! dit-il, comme vous y allez ! deux pétards ! Et qu’est-ce que vous vouliez faire de ça ?

— Qu’est-ce qu’on fait d’un pétard ? ricana Bams.

— Mais enfin, s’exclama le flic, vous savez bien que le port d’arme est interdit.

C’était à mon tour de hausser les épaules.

— Si on ne faisait que ce qui est permis, répondis-je, il y a longtemps qu’on serait tous morts de faim.

— Ça n’a pas de rapport, dit le deuxième agent.

— Vous croyez ça, vous ?

Deux troufions nous tenaient en respect, à présent. Les types de la Gestapo discutaient entre eux, un peu plus loin. Ils étaient très contents de leur exploit, apparemment.

— Si on vous demande quelque chose, dit un des poulets très vite, et on vous le demandera, naturellement, répondez que vous êtes des truands, des braqueurs, que vous passez votre vie à attendre le client au coin de la rue pour lui faire le portefeuille. N’essayez jamais de leur dire que vous faites de la politique ou que vous êtes parachutistes ou quoi que ce soit de semblable. En principe, vous ne connaissez rien aux événements, vous n’en avez jamais entendu parler et vous vous en foutez, du reste.

— Si même, insista l’autre, vous arrivez à leur faire avaler que vous n’avez jamais entendu parler d’Hitler ou de Churchill, ça ne peut être qu’un bien.

— Ça sera difficile, dit Bams. Merci quand même.

— On ne veut pas la mort du pécheur, répondit le flic.

Déjà, une grosse traction avant s’arrêtait le long du trottoir. Un des Allemands était sans doute allé téléphoner pour l’avoir, car le chauffeur et le type trop gros, au crâne rasé, qui se tenait près de lui, n’avaient pas l’air plus surpris que ça. Un des crétins de la Gestapo me prit par le bras et me poussa dans la voiture. Au fond de la bagnole, à côté de la portière, un individu pâle aux traits accentués que je n’avais pas aperçu d’abord était déjà installé. Dans sa main droite luisait doucement un gros revolver. Bams vint s’asseoir à côté de moi et le deuxième gestapiste vint prendre place à l’arrière.

Bams se tenait toujours l’épaule et grimaçait de douleur.

— Tu as salement morflé, hein, mon pauvre vieux ? demandai-je.

— Pas trop, dit-il. Ça fait beaucoup d’effet, mais ce n’est pas grand-chose. J’ai pris le pruneau dans le gras du bras. En tout cas, ça fait drôlement mal.

— Je t’ai entraîné dans une sale histoire.

— Ça ne fait rien. Mais je te l’avais dit au départ. Aurait mieux valu qu’on reste à la campagne.

La voiture, malgré le brouillard, démarra en trombe. Du reste, le chemin qu’il nous restait à faire n’était pas énorme. Le siège de la Gestapo était installé dans un magnifique immeuble qui faisait le coin de la place Bellecour.

Dans la bagnole, personne ne disait mot.

— Vous êtes Français ? demanda soudain un Allemand.

Je haussai les épaules et ne répondis pas. Je n’avais pas l’intention d’entamer une conversation avec cette salope.

— Vous êtes Français ? répéta le Chleuh.

— Oui cocotte, répondit Bams. Ça se voit assez, je crois.

— Ne le prenez pas sur ce ton, vous entendez ? C’est intolérable ! dit le flic.

— Vous en faites pas, répondit Bams, en grimaçant de douleur, il n’y a pas que nous qui soyons intolérables.

Le boche se le tint pour dit et n’insista pas. Il se contenta de grommeler quelque chose qui laissait à penser qu’il nous aurait bien au tournant.

La bagnole stoppa devant une immense porte cochère, corna d’une certaine manière. La lourde s’ouvrit aussitôt à deux battants. Un groupe de SS se pencha pour voir qui se trouvait à l’intérieur de la voiture et salua. J’avais l’impression d’être dans la trottinette d’un général de corps d’armée. Ça faisait très chic.

On nous débarqua brutalement dans une grande cour dallée. Au-dessus de nous, le brouillard laissait traîner des écharpes sales.

Je descendis de la voiture avec un de ces cafards qui vous colle un homme sur le flanc pour plusieurs jours de suite. Ce coup-ci, la partie était jouée. Elle était perdue. J’avais l’intime conviction qu’on ne se sortirait jamais de ce guêpier. Plus je regardais autour de moi, plus je me disais que c’était impossible. On ne s’évadait pas d’un truc pareil. Derrière nous, la grande porte s’était tout de suite refermée et les SS, la mitraillette à la bretelle, faisaient les cent pas devant. Le mec qui réussirait à se tirer de là serait un drôle de mariolle. C’était l’antichambre de la prison.