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Les figures les plus illustres du grand banditisme le démontrent également aux États-Unis (l’intervention de Lucky Luciano et de la Mafia pour lutter contre les saboteurs allemands, à partir de 1941, sur les quais de New York, puis leur participation au débarquement américain en Sicile et lors de la campagne d’Italie sont désormais bien connues).

En France, l’exemple marseillais est tout aussi parlant avec la mainmise dans l’entre-deux-guerres de Carbone et Spirito sur la ville ; leur collusion avec le député Simon Sabiani, agitateur communiste en 1920 qui, en 1936, deviendra membre du PPF de Doriot et sombrera durant la guerre dans la pire collaboration à la tête de l’Hôtel de Ville…

Si certaines grosses têtes du Milieu marseillais montent à Paris, dès 1941, pour s’engager dans l’épouvantable équipe gestapiste de Bonny (ex-« premier flic de France » et, sans doute, organisateur du « suicide » de l’escroc Stavisky) et Lafont (dandy tortionnaire et assassin, patron du précédent), Carbone et Spirito deviennent les hommes de confiance de la Section IV de la Gespato.

Ce qui ne les empêche nullement de poursuivre leurs très lucratives activités criminelles, tout en se livrant en plus à la chasse aux Juifs et aux résistants (et à leur dépouillement). À la mort de Carbone fin 1943, victime indirecte du dynamitage par la Résistance du rapide Paris-Marseille ; Spirito rejoint ses copains de la rue Lauriston, laissant le Milieu phocéen en pleine anarchie. Il n’en revient pas moins à la demande de Dunker-Delage, patron marseillais de la Gestapo, accompagné d’une vingtaine de gangsters de la « Carlingue ». Recrutant une centaine de voyous, de miliciens et de membres du PPF, ils font régner sur la ville la peur et la torture, et traquent aussi bien les gangs adverses qui ne se sont pas ralliés à Spirito que les résistants et les Juifs. Trente tortionnaires « travaillent » à temps complet au 425 rue Paradis, au « Groupe des arbitres » (!) et à la « Brigade des caves ».

Les Allemands n’auront aucune considération pour ces salauds, ils finiront par fusiller quatre d’entre eux. Le commandant SS Mühler ira même jusqu’à parler de « Sabiani et ses gangsters ». C’est tout dire.

À Paris, le siège de la sécurité allemande se trouve au 82–84 avenue Foch, dans le XVIe arrondissement. C’est là que trône René Launay, flanqué de Roger Nicolas (aucun rapport avec le fantaisiste homonyme !) et de quelques rigolos comme Sion, Lefèvre et surtout Pierre Loutrel, le futur « Pierrot-le-fou », tout ce joli monde étant coiffé par la Gestapo.

Toujours dans le même arrondissement ; et à pied d’œuvre pour piller les riches victimes, le 101 avenue Henri-Martin, dirigé par le sinistre Masuy, dont la bande torture entre deux partouzes. Non loin encore ; la bande des Corses du boulevard Flandrin et celle de Berger au 180 rue de la Pompe, forte de trente hommes et femmes spécialisés dans le marché noir qu’elle pratiquait avant de trouver plus facile de piller les trafiquants. Non loin de l’Étoile et de la place Victor-Hugo, le 93 rue Lauriston, domicile de Lafont, nom de guerre d’Henri Chamberlin, patron de la « Carlingue », la par trop célèbre Gestapo française, pratiquement totalement autonome. Outre Bonny, on y retrouve les futurs complices de Pierrot Loutrel dans son « gang des Tractions-Avant », une belle équipe composée d’Abel Danos, le Mammouth de Classe tous risques[4], Julien Le Ny et Georges Boucheseiche, que l’on retrouvera beaucoup plus tard barbouzant chez les gaullistes et participant à l’enlèvement et à l’exécution de Ben Barka, l’opposant marocain. Sans oublier Henri Fefeu et des « extras » comme Carbone et Spirito ou Loutrel.

Heureusement quelques truands de haut vol — Jo Attia, dit « le Grand », même si, après la Libération, il participe à différents braquages des « Tractions-Avant », ou les Guerini — sauvent l’honneur du Mitan en refusant toute collaboration avec l’ennemi ou avec ses séides gestapistes, et en prenant part à des actes de résistance.

*

La violence, la folie homicide, la trahison se retrouvent dans la fresque trouble et troublée d’André Héléna, dont la frénésie télescope personnages et situations pour donner la quintessence d’une époque où l’homme se trouvait confronté au pire de lui-même et d’autrui. Certains furent la proie de la bête sommeillant en eux et s’effacèrent devant elle, devenant d’insatiables et innommables prédateurs. D’autres trouvèrent la rédemption dans le martyre et l’héroïsme, en allant jusqu’au bout de leur sacrifice. Le plus grand nombre fit le gros dos et attendit la fin de l’orage d’acier. Quelques-uns, anarchistes pour la plupart, ne faillirent pas à leur morale individuelle ou à leur code d’honneur, même s’ils furent les jouets des événements. Les protagonistes d’Héléna[5] étaient de ceux-là, leur expérience vérifia leur conviction première ; se résumant au célèbre « J’ai basé ma cause sur rien » de Max Stirner. Un rien qui est aussi la grandeur de l’homme face au néant.

Et comme on le dit aussi en Catalogne : NADA…

JEAN-PIERRE DELOUX

Défense du roman noir

Un bon nombre de littérateurs ont coutume de mépriser la littérature noire avec une acrimonie telle qu’elle laisse, dans un esprit sincère, place à quelques doutes.

La presse s’est aussitôt mise au diapason. Il n’est pas de crime dont l’auteur « noir » ne soit responsable. Un groupe de jeunes gens commet-il un crime ? C’est, bien sûr, la faute à Hadley Chase. Un homme viole-t-il une jeune fille, en la menaçant d’un revolver ? Il a lu trop de romans modernes.

Si quelques écrivains n’avaient pas pris à tâche de montrer l’humanité telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être, tout cela, paraît-il, n’existerait pas. Nous vivrions dans une sorte d’Éden où ne fleuriraient que les bonnes manières, le bourreau serait au chômage et les cours d’Assises en éternelle vacation. Il n’y aurait plus que de bons fils, de tendres pucelles et de rougissantes fiancées. La guerre ne serait plus qu’une bataille de fleurs ou peut-être jouerait-on la victoire à la pétanque.

Permettez-moi d’admirer cette naïveté. Je ne crois pas que la vie soit un chemin bordé de roses dans lequel ne soufflent que des zéphyrs parfumés et que le Bon Dieu a pris soin de macadamiser. Je veux dire la vie de la majeure partie de nos contemporains.

Maintenant, s’il existe parmi nos Gens de Lettres des messieurs décorés et des dames qui ont un jour littéraire et dont l’existence s’est paisiblement écoulée sous le signe de la paix et de l’uniformité, ils ont bien de la chance. Leur drame ne s’élève pas au-dessus de celui du collégien, à qui sa petite amie n’a pas souri comme d’habitude, lorsqu’il passe sous ses fenêtres.

Avec ça, naturellement, on fait d’excellente littérature — dans le sens verlainien du terme, et Verlaine savait de quoi il parlait. C’était la même chose à son époque.

Malheureusement nous sommes d’une génération qui avait vingt ans quand la guerre a éclaté et à laquelle on n’a pas laissé le loisir de cultiver les chimères des Cours d’Amour. La canonnade et le crachement rageur des mitrailleuses, sans parler du fracas des bombes, ne sont pas précisément la douce musique qui accompagne les rêveries sentimentales.

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4

Cf. le film de Claude Sautet avec Lino Ventura d’après le roman homonyme de José Giovanni. Lire aussi, du même Le Deuxième Souffle, magistralement porté à l’écran par Jean-Pierre Melville, avec Lino Ventura également.

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5

Maurice et Bams figurent dans un autre roman d’André Héléna, Règlements de comptes (Éditions Bel-air, « Détective Pocket », Paris, 1964). L’action ne se déroulant pas dans l’immédiat après-guerre et n’ayant guère de rapport avec ce diptyque, nous n’avons pas jugé opportun de le republier présentement. (N.d.l.e.)