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Nous arrivâmes enfin comme le jour se levait, en même temps d’ailleurs qu’un petit vent frisquet qui n’avait rien d’agréable, au milieu d’une clairière.

Un curé, venu à motocyclette, nous y attendait déjà. Je haussai les épaules. Dieu ne me pardonnerait jamais tout ce que j’avais fait. Ce n’était pas la peine de lui demander pardon. Mais Bams, qui était très catholique, comme la plupart des Catalans, tint à communier. Alors j’en fis autant, histoire de lui faire plaisir et que le curé ne se soit pas dérangé pour rien.

Il était formidable d’ailleurs, ce curé. Et sympa. On se demandait comment il pouvait frayer avec les boches. Il devait y être obligé. Il nous parla longuement de ce qui nous attendait de l’autre côté, de l’infinie bonté de Dieu, du pardon des fautes, d’un tas de trucs qu’on oubliait au fur et à mesure, mais qui mettait du baume dans le cœur. Après l’avoir entendu, mourir ne devenait plus une corvée mais un plaisir. En outre il nous insuffla du courage. Il nous parla longuement des « temps cruels », et moi, je n’ai pas besoin de sortir d’une grande école pour comprendre le français. Lorsqu’un type me parlait des « temps cruels », je savais tout de suite de quel côté de la barricade il se trouvait. En outre, il nous demanda d’avoir confiance. Mais sur le moment, je ne fis pas attention.

Le feldwebel, qui s’était un peu écarté, vint enfin nous chercher. On demanda l’autorisation de quitter notre veston au dernier moment, car il faisait froid. Le juteux nous accompagna à l’extrémité du terrain et nous demanda si on voulait avoir les yeux bandés. On l’envoya promener en lui disant que non seulement on n’y tenait pas, mais encore qu’on désirait faire face au peloton. Ce qui nous fut facilement accordé.

Quand je pense que je trimballais, cousus dans la doublure de mon veston, les deux tiers restant du million que j’avais gagné l’année précédente !

C’est ça qui leur aurait fait plaisir, à la Gestapo, s’ils l’avaient trouvé, mon truc. Maintenant, le diable seul savait où tout cela irait. Peut-être qu’ils l’enterreraient avec moi.

On prit donc place devant un talus, Bams et moi. Là-bas, à l’autre bout du terrain, les soldats, déjà, prenaient leurs positions, avec le feldwebel à leur droite.

Soudain, un ordre rauque. Les troufions levèrent leurs mausers, épaulèrent…

CHAPITRE 9

Bams se tourna et posa sur moi ses yeux graves. Les commissures de ses lèvres frémirent légèrement. C’est jamais marrant d’attendre à la seconde suivante les quatre ou cinq pruneaux qui vont trouer votre peau. Je lui adressai un sourire tremblant et fis face aux soldats.

C’est lorsque le bras du gradé atteignit la verticale que toute cette belle mise en scène commença à se démolir.

Un coup de feu claqua dans l’air sonore du matin, le feldwebel exécuta une pirouette totalement dépourvue d’élégance et descendit au tapis pour le compte.

Bon Dieu ! Je regardais ça avec des yeux ronds. Je n’arrivais pas à piger ce qui avait bien pu se passer lorsque je vis le curé faire un bond de côté, en remuant vivement le bras, comme s’il voulait qu’on s’écarte, et plonger en avant, le nez dans l’herbe haute.

Faut croire qu’on était durs à la détente, Bams et moi, car on resta immobiles comme sardines en boîte. Je dois d’ailleurs avouer que les troufions n’y comprenaient pas davantage et n’avaient pas plus de réflexes que nous car ils ne firent pas un geste. Ils se contentaient de regarder d’un œil stupide leur supérieur qui griffait la terre de ses ongles et la pointe de ses bottes, indubitablement en train de crever.

Ils ne commencèrent vraiment à piger que lorsque, après deux ou trois quintes de toux, une mitrailleuse légère commença à cracher la mort. Deux des Allemands dégringolèrent, et les autres, auxquels une longue pratique tenait lieu d’intelligence, se jetèrent à plat-ventre. À peine si on distinguait d’eux, maintenant, la bosse grise de leur casque, comme un gros caillou.

Naturellement on n’avait pas été les derniers à s’aplatir.

— Planquez-vous bien ! hurla quelqu’un.

Comme la voix venait du côté des Allemands et que ce n’était vraisemblablement pas eux qui nous donnaient ce conseil, j’en conclus que l’aumônier devait y être pour quelque chose. Et ça, ça expliquait beaucoup de trucs.

Au-dessus de nous, on aurait dit qu’un fantôme déchirait un tissu invisible tellement les balles partaient serrées. Pas possible, y devait pas être seul, le tireur. D’autant plus que de temps en temps, histoire sans doute d’allonger la sauce, on entendait les claquements plus secs, mais moins forts, d’un pétard de gros calibre. Et aussi l’espèce de chuintement rageur d’une mitraillette.

Les rafales déchiquetaient les arbres du boqueteau auquel nous étions adossés. De temps à autre, un morceau de branche volait en l’air et retombait à côté de nous. Ça faisait un tel pétard, ce bruit minuscule, que chaque fois on sursautait.

Le visage de Bams était tout proche du mien. Tous les deux, nous avions le nez dans l’odeur généreuse d’herbe et d’humus. Ça sentait bon la campagne, la paix. Un petit insecte, à deux doigts de mon pif, traçait paisiblement, à travers les sentiers de cette forêt en réduction, le chemin de sa vie minuscule.

Il se foutait bien des Chleuhs, celui-là, tiens ! et des rafales rageuses de la Thompson. La guerre, pour lui, ça n’existait pas. Je me surpris à envier sa chance. C’était pourtant pas le moment de philosopher.

Je me relevai un peu sur les mains, précautionneusement. À vingt mètres devant nous, de petites fumées montaient brusquement. C’étaient les balles qui soulevaient la terre, comme un rideau d’acier. Une silhouette noire rampait vers nous. Ça, ça devait être le curé, pas de doute.

Une balle qui frôla mon oreille m’incita à remettre mon nez dans mon plat d’épinards. C’était une balle boche, ça, puisqu’elle me venait en plein portrait. Ces salauds-là avaient fini par récupérer, et maintenant ils étaient en batterie. Ils commençaient à riposter.

Je relevai à nouveau mon blaze. Seuls deux ou trois uniformes étaient visibles, un genou en terre, tirant posément. Ils devaient fusiller le boqueteau où se trouvaient nos inconnus. Le curé avançait toujours vers nous.

Si nous, on revenait de loin, lui aussi, parce que si les Allemands s’étaient aperçus de sa manœuvre, ils n’auraient pas mis des gants pour le buter sans jugement.

Seulement, de toute manière, valait mieux pas faire de vieux os dans le coin, sinon notre avenir, qui bénéficiait d’un sursis, risquait de voir sa carrière brutalement interrompue. C’était un coup de main, cette fusillade, un truc à surprise destiné à nous permettre de nous tailler. Mais lorsque ça serait terminé, les Frizés allaient accourir vers le coin où ils nous avaient exposés, et la mort qu’ils nous réserveraient alors, because le lessivage de leur officier, valait mieux pas y penser ou alors attendre dans une pièce chaude, devant un cognac bien tassé, l’effet rétroactif de la peur. C’était plus sûr.

Tout à coup, je me trouvai nez à nez avec un visage dont l’angoisse tirait les traits. Sans blague, je sentis la frousse me tordre les tripes. Je ramenai mon poing en arrière avec l’intention bien apparente de le balancer dans la tronche de cet inconnu.

— Ne bronchez pas, dit une voix rauque, vous allez vous faire repérer. Il faut essayer de se tirer d’ici avant que ça tourne mal. Je vous ai fait avoir une chance. Il vaut mieux ne pas la gaspiller par des gestes désordonnés.

Il n’avait pas plus tôt dit ça qu’une balle s’écrasa juste devant moi, si près que je reçus même de la poussière dans les yeux. Ça fit une musique et un choc mat qui n’avait rien d’une symphonie de Schubert, fichtre non ! Seulement je ne sais pas si c’est la réaction, mais ça contribua bougrement à me rendre enragé.