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Après tout, je ne risquais rien d’essayer. Plus on serait de fous, plus on aurait de chance de réussite.

Les boches ne pigeaient rien à ma manœuvre. Ils me regardaient faire le tour des tables comme si faisais la quête après avoir chanté. Peut-être qu’ils se doutaient de ce que je goupillais, mais ils pouvaient constater que ça ne rendait guère.

Je répétai mon histoire à l’Arabe, sans trop y croire. Après tout, ce type, étant donné sa race, devait se fiche complètement de ce que les roumis pouvaient goupiller entre eux.

— Moi, dit-il, contrairement à ce que j’attendais, je veux bien. Tu commandes, je te suis.

— Ça va, dis-je, je te remercie, viens boire un coup avec nous.

Ce n’était pas tant pour boire un coup que pour nous rapprocher de la porte.

Déjà, le deuxième Allemand, celui qui parlait français, se rapprochait de nous, histoire sans doute de savoir ce que je préparais. Cet arsouillé avait la manie des patrouilles, décidément. Son copain, par contre, était toujours accoudé à la lourde.

— Tu es prêt ? dis-je à Bams lorsqu’on eut liquidé nos glasses.

— Prêt.

— Quant à toi, dis-je à Bolduc, je ne te demande rien, je te connais trop. Tu feras ce qu’il te plaira.

Au même instant, un appel vint du dehors, apporté par le vent. Une voix d’homme :

— Albrecht !

Ça, ça devait être l’autre zigue qui, ayant terminé son affaire, appelait son pote pour qu’il vienne prendre sa part de volupté. Le mec qui montait la garde devant la porte sursauta comme si on lui avait piqué les fesses, s’écarta et se retourna.

C’était le moment ou jamais. Fallait faire fissa. Je me détendis comme un ressort et plongeai en avant. J’atteignis mon acrobate au milieu du dos, la tête la première. Il roula à terre, au-delà de la porte, et je lui tombai dessus.

La rage m’étouffait. Je le saisis à la gorge, je levai mon poing droit dans lequel je serrais mon revolver et je lui envoyai de plein fouet une de ces châtaignes qui font date dans la vie d’un homme.

Le type hurla. Derrière moi, il y eut un coup de feu, immédiatement suivi d’un bruit de verre cassé.

J’avais dû me démolir quelque chose en tombant, car une source chaude coulait de mon nez. Ça, c’était du raisiné ou je ne m’y connaissais pas.

Pourtant, je n’éprouvais aucune douleur. C’est lorsque le Fritz avait reçu mon coup de boule que mon pif avait dérouillé.

J’y allai d’un deuxième coup de poing, cette fois avec la crosse. Le Chleuh eut un sursaut et ne broncha plus.

Je me relevai pour me trouver nez à nez avec le pétard de son copain. L’officier était blême de rage. Mais moi aussi j’étais armé.

— Fais attention à ce que tu feras, dis-je. Si tu me loupes, moi je ne te manquerai pas, compris ?

— Donnerwetter ! hurla le mec en agitant les bras. Mais il se garda bien d’utiliser une fois de plus son soufflant et resta planté là comme un salsifis à demi-arraché.

Mais aussitôt je le vis partir en arrière, en l’air, comme s’il passait sur le dos d’un type. Il dégringola en arrière, effectivement, et je me trouvai devant l’Arabe, qui venait de foncer à son tour dans la bagarre.

— O.K., dis-je, allons voir maintenant ce que devient l’autre.

L’autre se portait bien, merci, car au moment où je franchissais la porte, une détonation claqua, tandis qu’une lame de feu déchirait la nuit, là-bas, vers la mer, et qu’un sale bourdonnement frôlait mon oreille.

CHAPITRE 4

Ce n’était pas le moment de se laisser aller à la sentimentalité. Je fis un saut en avant, me jetai dans le sable qui commençait juste devant la maison et ripostai, ne fût-ce que pour prouver à cet imbécile qu’il n’était pas le seul à trimballer un flingue. Ça dut salement l’impressionner. À moins qu’il n’y ait eu un malentendu et qu’il ait pensé que c’étaient ses propres copains, ou une patrouille, qui lui balançait du plomb chaud. Il cria quelque chose, en allemand, qui devait être une demande de cessez-le-feu, ou quelque chose d’approchant. En tout cas, pour sa part, il arrêta net les hostilités.

Dans le bistrot, ça bagarrait ferme pendant ce temps. Bams et l’Arabe étaient accrochés aux basques de l’officier et occupés à lui casser proprement le portrait. Les terrassiers avaient abandonné les cartes et faisaient des pieds et des mains pour gagner la sortie, et le plus rapidement possible, encore. Ils ne tenaient pas à se mouiller dans cette combine louche.

Comme le type avait cessé de tirer depuis un bout de temps, je me relevai et regardai autour de moi. L’Allemand que j’avais assommé s’était redressé. En titubant, tant sous l’influence de mes coups que de celle de l’ivresse, il s’était adossé au mur et ne bronchait plus. Tout ce qui semblait l’intéresser, pour le moment, c’était d’essuyer le sang qui coulait de sa tempe. Il n’essayait même pas de ramasser le flingue qu’il avait perdu et qui gisait à ses pieds, devant la porte, en plein milieu du rayon de lumière qui sortait du bistrot.

Le plus urgent, c’était de fermer cette porte, d’ailleurs, car la lumière attirait les patrouilles comme des papillons de nuit.

D’autant plus que les trois coups de flingue, qui avaient fait autant de pétard que si on les avait tirés dans la caisse d’un tambour, ne seraient pas pour arranger les choses.

À demi-courbé, sans lâcher le soufflant, je me dirigeai vers l’endroit d’où était parti le coup de feu. Peu à peu, mes yeux s’habituaient à l’obscurité. En outre, les rafales de vent qui me jetaient au visage des paquets de sable m’apportaient en même temps, plus distincts, des gémissements et des sanglots.

Je commençais à distinguer, sur la plage claire, une masse sombre. Quelqu’un remua, se dressa sur les mains.

— Albrecht ?

Parbleu, le type, comme moi, voyait bien une ombre marcher vers lui, mais il était bien incapable de reconnaître le mec, la nuit tous les chats sont gris.

Je ne répondis pas et me rapprochai encore. Pour le coup, le type s’inquiéta. Il répéta le nom de son copain avec une nuance d’inquiétude.

— Albrecht ?

— Ia.

Qu’est-ce que je risquais ? Simplement de gagner du temps. Je me demandais d’ailleurs, ce que j’allais bien pouvoir foutre. L’air frais de la nuit m’avait légèrement dégrisé et le vent m’avait rendu un peu de bon sens.

Il fallait bien le reconnaître, j’étais allé me mouiller dans une combine qui ne me regardait pas et déchaîner un scandale du tonnerre, dans un bled où, précisément, j’avais tout intérêt à me tenir peinard si je voulais remplir ma mission sans finir devant un peloton auquel, cette fois, je n’échapperais pas.

Je me surpris à m’engueuler. Après tout, qu’est-ce que j’avais à foutre de la vertu de cette souris ? Personne ne me l’avait donnée à garder. Sans compter que pour la question pucelage j’arrivais plutôt en retard. Ces mecs-là, somme toute, ils ne l’avaient pas enlevée de sa carrée et entraînée de force sur la plage, cette môme, elle y était venue certainement de son plein gré. Elle avait suivi les trois Chleuhs parce qu’elle les connaissait bien.

Du coup, je commençais à me mordre les doigts de mon intervention, surtout que, par association d’idées, je songeais à Hermine. Cette poupée-là, ça devait être encore une de ces filles prêtes à cavaler derrière tous les uniformes verts de la création, des mômes qui n’auraient pas attaché la moindre importance à un civil français et qui frayaient plus ou moins ouvertement avec les boches. Et dire qu’elles étaient des milliers comme ça ! Lorsqu’il leur arrivait une tuile de cet ordre, inutile de les plaindre puisque au fond elles l’avaient bien cherché. Qu’est-ce que j’étais encore allé faire dans cette galère, pauvre Don Quichotte à la graisse d’oie !