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Surtout, Bon Dieu ! que si je m’étais contenté d’intervenir tout seul dans cette aventure et d’en prendre seul les responsabilités ça irait encore. Mais comme un abruti, comme un excité, j’avais obligé les autres à se mouiller avec moi. Les autres, c’est-à-dire Bams, qui était encore en train de se frictionner les côtes avec le boche, et l’Arabe, ce pauvre Arabe qui ne demandait qu’à boire paisiblement sa chopine.

Et tout ça, pour qui ? Pour une tordue qui, ayant passé la soirée à se faire peloter les fesses, s’étonnait de voir les autres devenir brusquement plus exigeants, une tordue qui, une demi-heure auparavant, n’éprouvait de sympathie que pour ces salauds et qui aurait vu partir les copains, à commencer par moi, entre deux feldgendarmes, sans que ça l’empêche de dormir et de rigoler avec les Frizés. Alors ?

Pendant que ces idées me traversaient la cervelle, il se passa une chose extraordinaire, vraiment le dernier truc auquel je me serais attendu. Sitôt que je fus à sa portée, l’Allemand se releva d’un bond et partit ventre à terre vers le patelin. Parole, on aurait dit qu’il avait le feu dans sa culotte. J’ai rarement vu un type cavaler si vite. Il avait dû me prendre pour le père de la fille, ou son frère. En tout cas, il semblait évident qu’il ne voulait pas être compromis dans cette salade et qu’il regrettait déjà de s’y être enfoncé. Probable que son commandant ne devait pas rigoler avec ces plaisanteries.

Sur le sable pâle il y avait un petit tas sombre tout frémissant de sanglots. Je m’approchai et me penchai sur la môme, repris soudain par ma pitié.

Je posai ma main sur sa nuque. Elle avait enfoui son visage dans le sable et gémissait. À mon contact, elle sursauta violemment :

— Laissez-moi ! cria-t-elle, laissez-moi !

— N’ayez pas peur, dis-je, je suis un ami.

Je m’aperçus alors que sur sa poitrine sa robe noire était déchirée. On voyait un petit sein très jeune, au cerne érigé. En outre, sa robe, largement relevée, découvrait tout entières ses cuisses, longues et nerveuses, et même son ventre, triangulairement ombré. Après le viol, elle n’avait même pas refermé les jambes.

Je fus de nouveau pris d’une rage froide. Je n’éprouvais pas de désir devant ce corps offert. Je passai la main sous la nuque frêle et obligeai la gosse à tourner son visage vers moi.

C’était une enfant, elle n’avait pas plus de dix-huit ans. Les larmes ruisselaient sur son visage, ses yeux étaient fixes, on voyait qu’elle était en pleine crise nerveuse.

— Faut pas rester là, poupée, dis-je, viens avec moi. On va au bistrot, un peu de cognac te remettra sur pieds.

— Non, dit-elle, laissez-moi tranquille !

— Fais pas l’andouille, dis-je, vaut mieux que tu viennes au bistrot, les boches risquent de revenir en nombre et alors ça ferait du vilain. Il faut éviter que la casse prenne trop d’ampleur.

Je remis mon flingue dans ma poche, enlaçai la fille et l’obligeai à se relever, j’arrangeai sa robe comme je le pus et je l’entraînai vers le café.

— Je ne veux pas, gémissait-elle, j’ai honte, j’ai honte !

— Fous-moi la paix avec ta pudeur, dis-je, tu vas quand même pas te fiche à la baille, non ?

Elle renifla ses larmes et repartit à chialer de plus belle.

— Tu étais vierge ?

— Oui !

Quels salauds !

Je me demandais d’ailleurs si j’étais simplement indigné par le geste du type et s’il ne s’y mêlait pas un peu de jalousie.

— Comment ça s’est passé ?

— Je connaissais Hans. Il était gentil. Il venait parfois au bar. J’ai accepté de sortir avec lui, plusieurs fois. Ce soir, il était saoul, je ne m’en étais pas aperçue. Il avait deux copains qui nous attendaient. Hans est parti avec l’un d’eux et m’a laissé avec l’autre. Il m’a jetée à terre, il a déchiré ma robe, mes sous-vêtements. Et tout à coup, j’ai eu très mal, très mal… Quand je me suis aperçue qu’il était en moi, c’était trop tard. Il a eu tout de suite fini.

— Comment t’appelles-tu ?

— Jacky.

Bol duc ne s’était pas trompé, c’était bien la petite serveuse du bistrot.

— Ne pleure plus, dis-je, c’est fini maintenant.

Elle s’appuyait sur mon épaule, comme une enfant abandonnée, nos pas s’enfonçaient dans le sable trop sec. On n’entendait plus, au-dessus de nous, que le grondement continu et les sifflements de la tempête.

Au café, la bagarre était terminée. La salle était vide. Il ne restait plus que Bams, l’Arabe et le patron. Les Chleuhs avaient fait la malle.

Faut dire que lorsque j’entrai dans la pièce avec la souris appuyée sur mon épaule, j’eus, auprès des copains, un certain succès.

— C’est la môme ? demanda Bams.

Je m’aperçus alors qu’il avait le visage plutôt tuméfié. Une rigole de sang coulait de sa tempe. Quant à l’Arabe, il était frais et dispos. Et content, par-dessus le marché.

— Oui, dis-je, c’est la môme.

— Eh bien, fit le copain en s’adressant à la poupée, tu nous en fais voir de belles.

La gosse, du coup, se remit à chialer, ce qui m’énerva. Après tout je commençais à en avoir marre, de cette aventure.

— Oui, dis-je, c’est bien possible, mais pour l’instant, fiche-lui la paix. Où est le patron ?

— Il s’est taillé.

— Alors va me chercher une bouteille de rhum ou de cognac. Elle va boire un coup, et après ça on va la mettre au pieu.

J’assis Jacky sur une chaise et lui remplis un verre d’alcool.

— Bois ça, dis-je, ça te remontera.

Ouais ! En fait de la remonter, ça l’assomma. Elle avait cet air hagard des ivrognes qui ne supportent pas l’alcool et s’obstinent à en pomper. Elle ne tenait plus sur sa chaise. Je me demandais à chaque instant si elle n’allait pas s’écrouler. Faut dire aussi que la réaction nerveuse y était pour quelque chose.

— Cette fille, elle est malade, dit l’Arabe, faut la coucher.

— Où est ta chambre ? demandai-je à la petite.

— Là, répondit-elle, en désignant un couloir qui se perdait dans l’obscurité. C’était assez vague mais comme la maison ne comportait qu’un rez-de-chaussée, j’arriverais bien à trouver sa carrée.

— Bois encore ça, dis-je, en l’obligeant à s’enquiller un deuxième verre de cognac.

Elle avait un mal de chien à avaler, tellement elle tremblait. Le liquide coulait aux commissures de ses lèvres et j’avais été obligé de la prendre dans mes bras.

— Viens, dis-je, quand le glass fut terminé.

Je l’enlevai de sa chaise et l’entraînai.

Sa chambre, qu’elle me désigna, était au fond du couloir. Elle entra comme un automate et s’étendit immédiatement sur le lit.

— Tu ne vas pas rester là ? Tu vas prendre la crève. La pièce n’est pas chauffée et avec ce vent il fait un froid de canard.

Elle ne répondit pas.

— Fais pas l’idiote, dis-je, et aide-moi un peu.

Je la relevai et lui enlevai son corsage déchiré. La combinaison n’était d’ailleurs pas en meilleur état. Et voyant qu’elle ne faisait aucun effort — elle était passive comme une poupée de son —, je continuai à la déshabiller, fis glisser la jupe et la déchaussai.

Comme je m’en étais rendu compte sur la plage, elle ne portait même pas de slip et ses sous-vêtements étaient pauvres.

C’était une de ces mômes misérables, qui travaillent quand elles le peuvent, où elles peuvent et qui sont prêtes à croire à la première histoire qu’on leur raconte.