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Elle ne réagissait même plus. Je la déshabillai entièrement et j’ouvris le lit. Lorsqu’elle fut nue, je passai mon bras sous ses cuisses et la couchai.

— Dors, dis-je, en la bordant, tu es en sûreté, maintenant.

Elle ouvrit les yeux, me regarda, sortit un bras et le passa autour de mon cou. Dans ce mouvement elle découvrit son jeune sein.

— Vous êtes chic, dit-elle en posant ses lèvres sur ma joue, dans un baiser enfantin.

— Fiche-moi la paix et dors, répondis-je.

Pourtant la vue de cette poitrine ferme et, auparavant, de ce sexe offert m’avait troublé.

Je restai un instant debout auprès du lit, vachement tenté. Je savais que je n’avais qu’à me déshabiller aussi et me glisser près de ce corps, il y a des signes qui ne trompent pas.

Mais j’évoquai soudain ce qui s’était passé tout à l’heure. Je retrouvai dans mes narines cette odeur sûre du drap d’uniforme. Et ce qu’il y avait de plus tarte, c’est que je ne pouvais pas effacer de mes yeux la vision de cette brute étendue sur cette gosse et râlant de plaisir. J’en éprouvais une sorte de dégoût.

Je serais peut-être bien resté, mais à cet instant j’entendis dans mon dos, venant de la salle principale, une voix rauque qui gueulait des mots inconnus.

CHAPITRE 5

Ça, c’étaient les Fridolins qui revenaient, pas de doute, et ce coup-ci il allait falloir se magner drôlement.

Je me penchai sur la gosse et lui rendis son baiser.

— Dors, répétai-je, on se verra demain.

Cette dernière phrase à tout hasard, pour préserver l’avenir. Après tout, à trente-trois piges, on est toujours plus ou moins intéressé par les souris, surtout lorsqu’elles s’offrent d’elles-mêmes.

Seulement, ce n’était pas le moment de rigoler. Je ne tenais pas du tout à laisser Bams et l’Arabe se dépatouiller tout seuls dans cette salade. D’autant plus que je risquais encore, par surprise, de sauver la situation. J’éteignis la lumière, je me glissai dans le couloir. J’eus une sale émotion lorsque je passai devant la glace des lavabos que je n’avais pas remarquée en venant, et que je vis une sorte de fantôme blafard avancer à ma rencontre. Je faillis tirer dedans. Dieu merci, je m’aperçus à temps que j’aurais flingué ma propre image et je me mis à rire.

Je tirai mon pétard de ma poche, je le caressai doucement, comme un chien fidèle, et je le remis dans ma fouille, mais cette fois en position de combat. Puis je poussai la porte de communication et je me trouvai au milieu du café, ébloui par la lumière.

Bams et l’Arabe étaient debout devant une table, immobiles, les mains pendantes. Devant eux, deux officiers allemands, vêtus de bleu foncé, fumaient tranquillement. C’étaient aussi des aviateurs, mais ce n’étaient pas les mêmes mecs que tout à l’heure, ceux-ci étaient plus âgés. Et plus gradés, apparemment. Derrière ces officiers, à travers la porte, on distinguait deux ou trois troufions, avec le Mauser sur l’épaule.

— D’où venez-vous ? aboya l’un d’eux en me voyant.

— De pisser, répondis-je. Pourquoi ?

— C’est moi qui pose les questions !

Je haussai les sourcils, l’air étonné, et je m’avançai vers les copains avec dans la poche le soufflant en batterie. Si jamais ce mec se mêlait de faire du boucan, je l’envoyais tâter des affres de l’enfer en moins de deux.

— Très bien, dit le type, avancez. Et sortez votre main de votre poche.

Ça, ça ne me convenait guère. D’un autre côté, fallait pas se lancer tout de suite dans l’épopée, sans savoir au moins à quoi s’en tenir sur ses intentions.

— Je peux pas, répondis-je, je suis infirme.

— Alors, qu’est-ce que vous faites sur ce chantier ? On n’a pas besoin d’infirmes.

— Comptable, répondis-je.

L’officier parut se radoucir. Comptable, ça a tout de suite un petit air intellectuel qui appelle les égards.

— Bon, dit le Chleuh, on verra. Est-ce que vous avez entendu des coups de feu ?

— Moi ? dis-je, comme si je tombais du ciel, des coups de feu ? Où ça ?

— Ici. On a tiré ici des coups de feu.

— Je ne suis au courant de rien. J’ai rien vu et rien entendu. Avec le vent qui souffle, ça n’a rien d’étonnant.

— Alors qu’est-ce que vous faites là ?

— Je suis venu boire un verre. C’est défendu ?

— Non, dit le Frizé, c’est pas défendu. Ce qui est défendu c’est de camoufler la vérité.

— Je dis ce que je sais, je n’ai pas l’habitude de mentir, répondis-je avec toute la dignité dont j’étais capable. Je suis entré ici boire un verre avec mes amis et c’est tout.

— Ce sont eux, vos amis ? demanda l’officier en désignant Bams et l’Arabe d’un signe de tête.

— Parfaitement. On travaille ensemble à l’entreprise Bulière.

Vous pourrez vérifier. On est entrés ici pour s’entonner un pot. Il n’y avait personne, ni patron, ni servante, ni clients. Ça nous a paru étrange, bien sûr, mais comme mon envie de pisser aurait fait pleurer un gosse, j’ai pas attendu l’explication et j’ai foncé vers les waters.

C’était en quelque sorte une bouteille à la mer. J’espérais que l’Arabe, dont je ne connaissais pas les réactions, avait raconté le même baratin, ne serait-ce que par prudence ou pour gagner du temps. D’ailleurs, ces mecs-là, je les connais, on les prend la main dans le sac qu’ils jurent encore que ce n’est pas vrai. Quant à Bams, pas besoin de me casser la tête, il y avait longtemps que je travaillais avec lui. Je savais qu’il avait servi la même salade que moi : il n’y était pas, il venait d’arriver et il ne comprenait pas du tout ce qu’on lui voulait.

— En qualité de quoi êtes-vous ici ? insista le Chleuh, Service du Travail obligatoire ?

— Non, répondis-je, aussi sec, je n’attends pas qu’on me convoque pour faire mon devoir. Je suis volontaire.

Ce en quoi je ne mentais pas beaucoup.

Le type se radoucit aussitôt, et, avisant sur notre table la bouteille de cognac qui nous avait servi à ranimer Jacky, il traversa la salle à grandes enjambées, alla quérir deux verres sur une étagère et les remplit. Il en offrit un à son copain, qui ne l’ouvrait pas, et s’enquilla l’autre, avec la même facilité que s’il avait bu de l’eau.

Comme, somme toute, on pouvait préjuger que la bouteille nous appartenait, je servis les copains et m’en offris pour ma part trois bons doigts. Le Chleuh, qui était poli, ne vit pas d’inconvénients à ce que nous buvions également la bouteille qui nous appartenait.

— Je ne comprends pas, dit celui qui tenait le crachoir. Il paraît qu’il y a eu un drame ici.

— Un drame ? dis-je. Bigre ! et quel drame ?

— On a tiré trois ou quatre coups de revolver. Pourquoi ? c’est là qu’est le problème.

— Je n’ai rien entendu, répondis-je, peut-être un peu trop vite.

— Un homme est venu trouver le poste de garde, devant le bureau du commandant. Comme la sentinelle ne comprenait rien et que, de toute manière, l’heure du couvre-feu est largement dépassée, le planton nous l’a amené. C’est un nommé… attendez…

Il tira un carnet de sa poche, le feuilleta.

— Jules Bongars, c’est ça, Bongars.

Ce nom me disait quelque chose. J’essayais vainement de me souvenir de ce qu’il représentait pour moi. Tout à coup, tout s’éclaircit. Bon sang ! Mais ce Bongars-là, c’était cette salope de Bolduc ! Qu’est-ce que ce con-là avait encore fait ? Dans quelle tourbe était-il allé mettre le nez ? J’avais toutes les raisons de me méfier de cette lopette. Un type qui, en temps normal, à Pigalle, a déjà la réputation d’une donneuse, on a des chances que l’Occupation ne l’ait pas amélioré. Cette canaille était prête à tout. Doucement, je caressai mon feu, dans la poche droite de ma canadienne.