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Je ricanai, histoire au moins de gagner du temps :

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’un pétard ? C’est ma pipe que vous avez vue.

— Et votre bras ? Il n’est plus malade ?

Zut ! j’avais plus pensé à ma blessure factice !

Ce coup-ci, j’avais pigé. Plus la peine de jouer la comédie. Je m’étais laissé prendre à mon propre piège. Je fis un nouveau bond en arrière et je défouraillai vivement. Le Chleuh se trouva brusquement nez à nez avec mon Luger.

— Et voilà, dis-je, voilà le joujou, vous avez deviné. Maintenant, je tiens à préciser que je sais m’en servir et que je tiens à ma peau, sans toutefois que le goût de la vie me fasse perdre la tête.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Je veux dire que je n’hésiterai pas à flinguer n’importe qui, surtout si c’est la mort qui s’ouvre devant moi comme seule perspective.

— Je ne comprends pas.

— En d’autres termes je ne suis pas de ceux qui vont pleurer dans le gilet de qui que ce soit dans l’espoir qu’on leur laissera la peau entière, toute neuve, sans nécessité de stoppage. Je sais comment ça se passe. Si vous dites quoi que ce soit, si vous poussez le moindre cri, je vous dessoude sans hésiter, compris ?

— Parfaitement compris, répondit l’autre.

— Maintenant, vous allez me donner votre parole d’honneur que vous allez ressortir de la pièce avec moi et rentrer sans salades à la Kommandantur. Là-bas, vous ferez ce qu’il vous plaira. J’aurai eu le temps de me tirer.

— Je ne crois pas, répondit doucement l’officier. C’est une véritable place forte, ici. On n’en sort pas avec cette aisance.

— Ça m’étonnerait si je ne trouvais pas une faille. Je suis passé à travers des barrages pires que celui-là. Et en plein jour, encore. En tout cas, je vous conseille de respecter votre parole et de ne pas faire de pétard avant d’être rendu là-bas. Parce que j’aime autant vous dire que mon soufflant est chargé, que sa détente est douce et que j’hésiterai d’autant moins à m’en servir que je ne tiens pas à partir, tout seul, passer le week-end chez Satan. Vous pigez ?

Instinctivement, j’avais repris l’argot et je me demandais ce que ce pauvre mec pouvait en réalité y entraver.

— Parfaitement, répondit le Chleuh. J’ai fait mes études à Paris, longtemps avant la guerre, dans un temps où il y avait que du printemps dans le ciel et des rires de filles dans les rues.

Il soupira, hocha la tête.

— Croyez-moi, dit-il, rengainez votre arme. Je vous donne ma parole de ne rien raconter de ce… cet incident. Ras plus à la Kommandantur qu’ailleurs. Je n’ai rien vu et je ne sais rien. Pour moi, vous êtes une sorte de gangster, un truand, pas autre chose et je ne sais rien de votre activité. Je n’en veux non plus rien savoir.

Celui-là, alors, il me la coupait ! Seulement, moi, pour me faire marcher dans ces combines, c’est midi. J’ai vu trop de saloperies pour avoir la moindre confiance dans ces trucs. Sa parole d’honneur j’y croyais encore un peu. Il était officier après tout, et il avait sa conscience, mais quant à rengainer mon feu, bonsoir !

— Je vous crois volontiers, dis-je, mais ce flingue, pour ma part, c’est ma seule garantie de sécurité, c’est quelque chose comme une assurance sur la vie qui vous promettrait une prolongation d’existence.

— Vous avez tort de vous méfier, répondit le mec. Je dois vous dire que moi, je ne suis pas un officier comme les autres.

— Vous êtes Autrichien, sans doute ? ricanai-je.

Ils disaient tous ça !

— Non, répondit-il, je suis Alsacien. Je m’appelle Putz. J’ai été mobilisé de force par les Allemands.

— Fallait foutre le camp, alors.

— Je ne pouvais pas. Ma famille est encore en Alsace, vous saisissez ? Et je ne peux pas m’évader.

Après tout, c’était bien possible. On voyait tellement de choses extraordinaires, à ce moment-là, qu’il fallait s’attendre à tout.

— Rentrez votre revolver, insista le gars, et allons voir la jeune fille.

J’obéis. C’est-à-dire que je remis mon feu dans la poche mais que j’y gardai la main en faisant attention à ce que le canon soit toujours braqué dans le dos du type.

Au point où j’en étais, il m’était difficile de faire autrement. De toute manière j’étais brûlé, je dansais sur un volcan, et je me demandais comment je m’en tirerais, cette fois. J’avais un peu bluffé, en effet, tout à l’heure, en disant que je pourrais me sortir de là sans histoire. Car, à moins de traverser des kilomètres de champs de mines, je ne pouvais pas, la nuit, sans prendre une bastos dans le bide, sortir de ce sale coin.

— C’est ici ? demanda le Chleuh, comme nous arrivions devant la porte de la fille.

— Oui, dis-je, mais allez-y mollo. Si elle vous voit entrer le premier, avec votre uniforme, elle est capable d’en claquer.

Il se retourna vers moi et sourit à nouveau.

— À part ça, on ne l’a pas violée, hein ?

— À part ça on l’a violée, au contraire. Et comme ce sont des trucs qui ne me plaisent pas, j’ai volé dans les plumes de ces salopes.

— Donc c’est bien vous qui avez tiré ?

— C’est bien moi, répondis-je. Mais j’ai votre parole.

— Vous pouvez y compter. À votre place j’en aurais peut-être fait autant.

Il ne souriait plus. Ses mâchoires se crispaient.

— En Alsace, dit-il, en Alsace, ils en ont fait autant…

Décidément, ce mec devenait de plus en plus sympathique.

— Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de déranger cette petite, dit-il. Vous avez raison, la vue de mon uniforme ne peut lui faire que du mal en lui rappelant de mauvais souvenirs. Venez avec moi, nous allons arranger ça très bien. Je ne pense d’ailleurs pas que les coupables se vantent de cette affaire, qui n’est pas à leur honneur et qui ne pourrait, si ça venait aux oreilles du général, que leur attirer les pires embêtements. Il y a des choses que même les Allemands ne tolèrent pas. Mais il y a des brutes partout. Vous savez ce que c’est qu’une armée en campagne ou en pays conquis. Le soldat est le soldat, qu’on le veuille ou non. Il n’a pas changé de mentalité depuis des millénaires. Il suffit qu’on mette un uniforme sur le dos du plus paisible des hommes pour qu’il se croie tout permis et qu’il se transforme en une effrayante brute.

Le fait est qu’on a tous vu ça.

Y a pas plus peinard que mon copain Bams. C’est un mec qui, toute sa vie, n’a rêvé que de pantoufles. Il aurait voulu avoir, dans un quartier paisible, une petite boutique de boucher. Il aurait épousé une fille blonde, un peu grasse, comme il les aime, et il aurait passé sa vie à débiter de la viande tandis que sa digne épouse aurait tenu la caisse et entretenu avec les clientes de son mari d’amicales relations.

Et voilà ! la femme vous fait la malle, on avait cassé les pieds au mari et maintenant il jouait du couteau comme qui rigole. Un soldat. Un homme qui n’a plus rien à perdre que sa peau. Et rien à gagner que sa peau, précisément.

Plus je réfléchissais, plus je trouvais cette guerre idiote. Sans doute parce que celle-là, j’étais en train de la faire, et parce que, aussi bien, ce n’est pas dans la guerre qu’il faut rechercher une preuve des origines divines de l’homme ni de son intelligence.

— Venez, répéta Putz, nous allons rejoindre les autres. Pour ma part, l’enquête est terminée. Ne paraissez pas étonné si je change brusquement d’attitude. N’oubliez pas que je suis officier allemand.