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— Allemand ou Français, je n’en sais rien. En tout cas, c’est un civil.

— Mais comment diable un cadavre peut-il se trouver dans les waters. On n’a pas idée d’un truc pareil !

— Je n’en sais rien ? Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas moi qui l’y ai mis. Je ne trafique pas de ce genre de camelote.

— Allons voir, dit le cogne. Vous venez avec nous ? ajouta-t-il à notre intention. J’aimerais assez que vous soyez là.

Ce type s’était peut-être pris pour nous d’une sympathie soudaine. Il ne pouvait plus se passer de notre pomme. Mais pour dire la vérité, son regard me fit passer un frisson dans le dos. Tout ça ne me disait rien qui vaille et je sentais, intuitivement, que nous étions soupçonnés. Peut-être que ce brave homme était moins tarte qu’il n’en avait l’air et qu’il avait déjà deviné que le coup avait été fait par l’un de nous. Je ne sais pas comment il arriverait à le prouver sans trouver mon Luger. Seul le feu pouvait apporter la preuve. Même si on nous avait vus sortir des chiottes, ça ne serait que des présomptions.

— On y va, répondis-je tranquillement. Après tout, on a le temps et moi ça m’excite, les assassinats.

Le brigadier ne répondit pas, descendit les quelques marches du petit escalier. Quand il fut en bas il se retourna brusquement.

— Comment savez-vous qu’il s’agit d’un assassinat ? demanda-t-il brutalement.

Bon Dieu ! qu’est-ce que j’étais allé dire là ! Fallait que j’ai drôlement perdu mes réflexes avec la fatigue qui pesait sur mes épaules, et que je sois en train de me transformer en patate, lentement, mais sûrement. Je dus faire un effort pour que mon visage ne me trahisse pas.

Je me frottai l’œil droit avec énergie, comme si je venais d’y recevoir une poussière.

— J’en sais rien, répondis-je, je le suppose. En principe, les gens qui claquent d’une mort naturelle choisissent un endroit plus confortable.

— Ça ne prouve rien, dit le gendarme. Mon beau-père est mort comme ça. On l’a retrouvé deux heures après. Faut dire qu’il était cardiaque.

Le bricard hocha la tête et se remit en marche en direction de l’édicule. Il y avait là toute l’administration de la gare, au grand complet, plus quelques troufions boches qui regardaient par-dessus les épaules des autres.

Devant nous, la foule s’ouvrit comme un livre. Bolduc n’avait pas bougé, il était toujours écroulé contre le mur, le derrière dans la lunette et la gueule pleine de raisiné. Tout ce que je pus dire c’est qu’il n’était pas beau à voir.

Le gendarme se pencha sur lui et se redressa.

— Il est bien mort, dit-il, tout ce qu’il y a de plus mort. Est-ce que quelqu’un le connaît ?

Personne n’en avait jamais entendu parler.

— Ce doit être un ouvrier de quelque entreprise. Ces temps-ci, le coin est bourré d’étrangers.

— En tout cas, on ne sait pas qui c’est, ni comment on l’a tué. Je me demande comment ce type a pu faire pour prendre aussi magistralement une pêche dans le buffet. J’avais d’abord cru qu’il l’avait prise dans la tête, mais non, c’est dans le ventre. Le sang qu’il a sur le visage, il l’a vomi.

— Qui c’est qui a trouvé le corps ? C’est vous !

— Oui et non, dit l’employé. J’étais occupé à enregistrer les bagages lorsqu’un soldat s’est amené. Il s’est planté devant moi, tranquillement, et il m’a dit : Todt Gemacht kaputt. Il n’avait pas l’air de se frapper.

— Tu penses, répondit quelqu’un, que c’est pas des trucs qui émotionnent ces gars-là. Question macchabées, ils en ont vu d’autres et des plus moches.

— Sur le moment, continua l’employé, j’ai eu la trouille. Il commençait à s’impatienter et il répétait : Kaputt ! de plus en plus fort. J’ai cru qu’il en avait après moi. Alors, il m’a pris par le bras. Je l’ai suivi sans barguigner et il m’a conduit ici en m’insultant, dans son jargon, tout le long du chemin, sous prétexte que je n’arrivais pas à le comprendre. Comme si c’était de ma faute. Il a ouvert la porte, m’a fait voir le machin et s’est taillé. Il est monté dans le train avec sa compagnie.

— Ça ne nous avance pas beaucoup, ça, dit le brigadier. Faut voir comment qu’il s’appelle, ce type.

Il le fouilla, sortit un vieux portefeuille.

— Bongars, qu’il s’appelait, Jules Bongars. Il travaillait à Leucate, à l’entreprise Bulière. Il était Parisien. C’est tout ce que je peux dire. Quels sont les gens qui sont allés aux lavabos, ce matin ?

— C’est dur à savoir, répondit le chef de gare, avec tous ces soldats. Parmi les Français, y a bien ces messieurs…

Et, naturellement, il nous désigna, Bams et moi, aux regards courroucés du brigadier.

— C’est marrant, ça, dit cet homme. Et vous n’avez pas vu le corps ? Parce qu’enfin il y a un sacré bout de temps qu’il est mort, ce type. Il commence à se raidir. Comme je suppose que vous êtes venus ici avant de quitter la gare, comment ça se fait que vous ne l’ayez pas remarqué. Ça ne passe quand même pas inaperçu, un cadavre ?

Je commençais à être sérieusement embêté. Comment qu’on allait encore se tirer de ce mauvais pas ? J’avais bien essayé de me débarrasser de mon flingue, mais je n’y étais pas arrivé. J’avais toujours eu du monde autour de moi et pas le moyen de balancer mon arme dans un buisson. Or, avec un truc pareil dans ma ceinture, j’étais bon. Il y avait peut-être un moyen de nous en tirer, si ça tournait vraiment mal, mais il était salement risqué. C’était un pis-aller, une ancre de miséricorde.

— Montrez-moi vos papiers, que je les revoie, dit le gendarme. On ne sait jamais.

Il prit mes faffes, les examina, les flaira et les fourra dans sa poche. Ça, c’était mauvais signe parce que lorsqu’un poulet vous prend vos papiers et les empoche, c’est qu’il semble désirer que vous restiez en sa compagnie pour un bout de temps.

— C’est curieux, dit-il, après un silence. Vous êtes Parisiens tous les deux, vous et la victime. Et, qui plus est, du même quartier. Vous êtes sûr que vous ne le connaissiez pas ?

Je me mis à rire, mais mon rire sonnait diablement faux.

— Faudrait pas croire que Paris c’est un bled comme Leucate répondis-je. On peut habiter vingt ans le même immeuble sans seulement savoir le nom de son voisin de palier.

Le flic rejeta son képi en arrière et se gratta le front. Il semblait prodigieusement emmerdé.

— Vous n’allez quand même pas dire que c’est moi qui l’aie buté, cézigue ? dis-je, d’un air outré. Pourquoi l’aurais-je fait ?

— C’est précisément ce qui me chiffonne, répondit l’autre. Si je savais seulement pourquoi on l’a mis en l’air, j’aurais fait un grand pas.

Et ça, malheureusement, il n’allait pas tarder à le savoir.

Il apprendrait très facilement que la veille au soir il y avait eu des troubles à Leucate, que les Allemands étaient venus arrêter deux hommes, lesquels avaient dit à Bolduc ce qu’ils pensaient de lui et leur intention bien arrêtée de lui faire son affaire à la première occasion. Ça, c’était du tout cuit. Ils allaient nous mettre dans leur poche comme une pièce de dix ronds. Le plus de chance qu’on pouvait avoir c’est qu’ils nous laissent en liberté pour quelques heures. Il faudrait, alors, tout lâcher et faire la malle avec célérité et discrétion.

Et là, c’était le coup dur, parce que Bodager ne nous le pardonnerait pas. Or, Bodager, quand il en veut à quelqu’un, ça se termine très vite, je l’avais vu avec l’histoire de Claudine, par une rafale de mitraillette dans un coin désert. Merci beaucoup. À la bonne vôtre. Malheureusement, j’avais seulement le choix entre la fusillade réglementaire, par autorité de justice, ou le flinguage crapuleux. Les deux se valaient. Comment qu’on allait encore se tirer de ce pétrin, bon sang ?