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C’était à croire que le Bon Dieu se foutait de nous et nous prenait pour des ludions. Il nous plongeait tout à tour et nous faisait remonter. Un jeu du chat et de la souris, une vraie douche écossaise. Quelque jour, le système se détraquerait et alors on se mouillerait pour de bon. Et j’avais comme une idée que cette fois, c’était la bonne.

Déjà, tout le monde nous regardait d’un sale œil, avec des envies, dans le regard, de crier à mort.

S’il n’y avait pas eu tout ce monde, j’aurais joué ma dernière carte. Mais, là-dedans, c’était pas possible, avec tous les Allemands aux portières, en train de nous admirer.

— Qu’est-ce qui prouve, dis-je, que ce n’est pas le troufion fantôme qui est venu avertir l’employé qui a flingué ce pauvre type ? Si quelqu’un est susceptible d’avoir un revolver, c’est bien lui. Du reste, pourquoi qu’il s’est trotté tout de suite après ? C’est pas clair, ça.

— Ne vous occupez pas de ça, répondit le brigadier.

C’est à ce moment que le gendarme eut la plus belle idée de toute sa matinée.

— Allons, dit-il en se tournant vers la foule assemblée devant la porte des chiottes. Ne restez pas là, vous autres. Circulez ! C’est pas un spectacle beau à voir.

Et, sous la pression gendarmesque, le menu peuple commença à s’éloigner en murmurant.

— J’ai d’ailleurs des tas de choses à vous demander, dit le brigadier. Il y a des trucs qui m’échappent et je dois avouer que je suis en plein cirage. Tout ce dont je me doute, c’est que vous en savez beaucoup plus que vous ne l’avouez.

— De quoi ? dit Bams. Dites tout de suite que nous sommes des assassins !

J’avais pas envie de rigoler, pourtant je ne pus faire autrement devant la mine indignée de mon copain. Quand je pensais à la facilité avec laquelle il saignait un mec, je trouvais ça plutôt comique.

— Ta gueule ! répondis-je. Laisse-moi discuter avec le brigadier. Faut quand même pas se lancer tout de suite dans les grands mots.

— Écoutez, chef… commençai-je.

Il me regarda et haussa les sourcils. Le mot m’avait échappé. Mais lui, il savait très bien que c’est ainsi que les détenus appellent les gardiens de prison ; autrement dit les gaffes ou les matons, au choix du client. C’était, de ma part, une drôle d’imprudence, car les flics, lorsqu’ils s’aperçoivent que quelqu’un, dans son passé, s’est mouillé jusqu’à la tignasse, ils commencent tout de suite à vous tutoyer et à devenir méchants.

— Écoutez, chef, répétai-je, je veux bien vous dire tout ce que je sais. Entièrement. Mais pas ici. Il n’y a aucune raison pour que je raconte ma vie devant ces zèbres. Peut-être que ce chef de gare mettrait son bureau à votre disposition ?

— Avec plaisir, répondit le chef qui était resté là.

— Alors, c’est au poil.

C’est maintenant que j’allais jouer ma dernière carte. Et ça serait une partie drôlement gratinée !

CHAPITRE 16

C’était sans doute par dignité que le chef de gare appelait ça un bureau. C’était une pièce qui avait, tout au plus, la taille d’une pissotière. À trois là-dedans, on avait un mal de chien à respirer. Trois, c’est-à-dire Bams, le cogne et moi. Le chef de gare avait discrètement quitté la salle et l’autre gendarme montait la garde devant les waters, des fois que quelqu’un aurait envie de faucher le cadavre.

Ça sentait l’encre et la pipe froide. Dans un coin, un poêle rougeoyait. Les murs étaient couverts d’étagères avec des dossiers et des piles de circulaires.

— Alors ? demanda le bricard, qu’est-ce que vous avez à me dire de si important ?

Je m’assis posément sur le coin de la table, allumai une cigarette et soufflai par le nez deux longs traits de fumée.

— Tout, dis-je en brossant mon pantalon. Tout, depuis A jusqu’à Z. Seulement, je crois que vous feriez bien de vous asseoir parce que ça va certainement vous épater un peu. Primo, les papiers que je vous ai montrés sont archi-faux. Ils feraient sourire un antiquaire… Et ceux de mon copain ne valent pas plus cher.

— Hein ? gronda le gendarme en se levant.

— Rasseyez-vous, lui dis-je, je vous assure que vous allez en avoir besoin. Et faisons vite parce que je n’ai pas l’intention de perdre ma journée et mon copain non plus. Je suis heureux, du reste, d’être tombé sur vous parce que vous me semblez être un brave homme et un bon citoyen.

— Je suis soldat, monsieur, dit le brigadier en se levant.

— Rasseyez-vous. Donc, nos papiers ne valent pas un pet de lapin. Ça peut, tout juste, abuser des Allemands ou des miliciens, pas des flics. Les flics sont trop malins pour s’y laisser prendre. Vous les avez regardés rapidement, parce que vous n’aviez pas le temps, et que la situation ne vous le permettait guère, autrement vous vous en seriez aperçu le premier.

Fallait un peu user de flatterie.

— Mais maintenant, je vais vous montrer autre chose.

Je tirai rapidement mon flingue et le posai sur la table, assez loin mais à portée, tout de même, parce qu’il ne faut jamais perdre le nord. Bams, automatiquement, en fit autant.

— Hé là ! fit le gendarme.

— N’ayez pas peur, je m’allège. C’est fou ce qu’un Luger peut être lourd. Autrefois j’avais un Colt, c’était bien mieux, plus souple, plus rapide. Je l’ai paumé lorsque la Gestapo m’a arrêté. C’est un curé qui m’a donné celui-ci.

— Un curé ?

Il en arrondissait les yeux, le gars.

— Oui, l’aumônier qui nous a assistés lorsqu’on nous a fusillés.

— Fusillés ?

Il se passa la main sur le front.

Puis, il nous regarda l’un après l’autre, dans le blanc des yeux.

— Je me demande si vous n’êtes pas aussi cinglés que le type du passage à niveau, dit-il enfin, ou alors vous foutez de moi. Et ça, c’est grave.

— S’il n’y avait que ça de grave je ne me casserais pas la tête, répliquai-je, aussi sec. Laissez un peu tomber votre dignité et mettez les pieds sur la terre. C’est la guerre, mon vieux.

— Continuez. On verra bien où ça vous mènera. Pour ma part j’ai l’impression que ça sera à la Maison d’Arrêt, à Carcassonne.

— On verra, en effet. En tout cas je vous le dis : vous avez intérêt à vous tenir peinard, parce que, s’il nous arrive un pépin et que Bodager l’apprenne, ça ira mal pour le frangin qui l’aura provoqué. Maintenant, je vous ai promis la vérité et la voici. Le mec que vous avez retrouvé dans les chiottes, il était à sa place pour la première fois de sa vie. Il s’appelait Jules Bongars, vous le savez. Ce que vous ne savez pas, c’est que c’était une salope, autrement dit un mouton, un indic.

— J’ai compris.

— Il a toujours travaillé avec les flics à Pigalle. Alors vous pensez qu’ici, et à cette époque, il se trouvait vachement dans son élément. Un indicateur allemand, voilà ce que c’était. Or, c’est un genre de gonzes, rien que de les voir, ça me chatouille l’amour-propre, je suis comme ça. J’y peux rien.

Le cogne fouilla sa poche. Je lui tendis mon paquet de cigarettes parce que c’est un geste que je n’aime pas.

— On est arrivés ici hier soir, mon pote et moi. On l’a rencontré. Il nous a fait entrer dans une entreprise. Le soir, trois Chleuhs ont baisé une fille, de force. Ça non plus, je ne peux pas le supporter.

— Ni moi, dit le gendarme. J’ai une fille. Elle a dix-sept ans.

— Alors, ça vous aurait peut-être fait le même effet. On leur a volé dans les plumes. Avec ça.