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Je désignai les soufflants, étendus bien sages sur le buvard du chef de gare.

— Ils se sont trissés. Nous, on a réussi à se dégager. (Je ne voulais pas raconter comment). Et quand nous sommes rentrés nous pieuter, Bolduc s’est ramené avec deux Chleuhs, baïonnette au canon. Il nous a fait emballer.

— Hé ben ! fit le flic.

— Là aussi, on s’est dégagés. Mais on a été obligés d’en buter deux et de mettre les klaouis de l’autre dans un tel état que je crains qu’il n’en devienne impuissant, ce qu’est pas bien vu en Allemagne. Et, ce matin, j’ai flingué Bolduc comme un chien enragé. Voilà.

— Tout s’explique.

— Autre chose. Je vous ai raconté tout ça pour que vous ne nous cassiez plus les pieds avec ces exécutions sommaires. Moi, je n’ai à défendre que ma peau et le but de ma visite ici. Maintenant, vous êtes fixé, votre curiosité est satisfaite et foutez-nous la paix. De plus, vous avez une occasion excellente pour vous débarrasser définitivement de l’acrobate du passage à niveau. Mettez-lui le meurtre sur le dos. Il doit bien avoir un pétard chez lui, ce type, puisqu’il est de la Milice. Nous, on est prêt à témoigner qu’on l’a vu sortir des chiottes un moment après nous et qu’il nous a rattrapés sur le chemin. Pour peu que vous nous souteniez un peu, ça passera comme une lettre à la poste. Je me marrerais s’il était fusillé par ses propres copains.

— Vous êtes drôlement barbare ! La vie d’un homme…

— Et eux ? Ça les intéresse, la vie d’un homme ? Surtout que, pour nous, la question ne se pose pas. Vous m’avez dit vous-même, tout à l’heure, que ce type était dangereux. C’est lui ou nous, y a pas d’erreur. Et, faut que je vous fasse une confidence, je tiens à ma peau. J’estime qu’elle vaut la sienne, et largement encore. Pour tout dire, je suis prêt à tout.

— C’est que… c’est une drôle d’histoire que vous me racontez là. Après tout, je ne vous connais pas, moi. Vous êtes peut-être simplement des truands, et tout ça n’est qu’un règlement de compte crapuleux.

J’éteignis ma cigarette dans le cendrier et croisant les bras.

— Alors, vous vous imaginez, comme ça, que si je vous avais dit des salades je serais venu vous raconter mes histoires et poser mon revolver sur la table. Faudrait vraiment que je sois saoul.

— On dit ça ? Mais qu’est-ce qui me prouve…

— Des tas de choses. Je vais vous dire un bon truc. Je suis prêt, et mon copain aussi, à vous suivre à la gendarmerie. Vous nous garderez toute la nuit, pas plus, parce que vraiment on n’est pas venus ici pour se tourner les pouces. Vous ferez votre enquête auprès du bistrot, de la fille qui a été violée et des gars de la chambrée où les boches, assistés de Bolduc, sont venus nous arrêter. Si on ne vous récite pas, mot pour mot, l’histoire que je viens de vous sortir, je veux bien qu’on me coupe le kiki. Vous pigez ?

— Oh ! très bien, répondit le cogne. Ça me paraît honnête. Ce qui l’est moins, par exemple, c’est votre port d’arme. Et, de toute manière, ce lessivage d’un agent allemand me paraît assez illégal. Que vous le vouliez ou non, c’est un crime.

— Puisque je vous dis que je vous donne un coupable !

— Ça aussi, c’est un crime.

Je commençais à m’énerver, moi aussi. D’un geste prompt je saisis mon Luger.

— Écoutez, flic, dis-je. Je vous ai raconté tout ça parce que j’ai pensé que vous ne portiez pas les Frizés et leurs copains dans votre cœur. Ras plus. Maintenant, si vous voulez la ramener, comme on sait parfaitement ce qui nous attend, on va faire du sale travail. Vous pigez ? Ça ne sera pas la première fois que je descendrai un gendarme.

— Ne le prenez pas comme ça, dit le cogne tranquillement, sans regarder mon soufflant. J’ai rien dit contre. Je vous fais simplement remarquer que je ne vous connais pas. Ce que vous me racontez peut être très vrai, comme ça peut être du baratin d’un bout à l’autre.

— Bien sûr, dis-je. Alors tant pis, je vais vous montrer quelque chose. Seulement, cette fois, je vous avertis que si, après, vous ne marchez pas au doigt et à l’œil, vous ne croquerez pas vingt ronds de votre retraite. On a des amis qui payent nos dettes.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Je vais vous faire voir.

Je déboutonnai rageusement ma canadienne et ouvris mon veston. Sous la poche intérieure droite, il y avait une petite encoche dans le tissu de la doublure. Ça ressemblait à un faux pli et ça pouvait passer très facilement inaperçu. Je tirai d’un coup sec. La doublure vint. Je fouillai l’intérieur, tirai ma liasse de billets de cinq mille et la jetai sur la table.

— C’est avec ça que vous espérez m’avoir ? demanda le gendarme. Je ne marche pas. Vous m’avez avoué que vous aviez tué ce type, c’est tout ce que je sais.

— Attendez un peu, que diable !

Je fouillai rapidement la liasse et trouvai enfin ce eue je cherchais.

C’était un dépliant du format d’une carte d’identité, barré de tricolore, que Bodager m’avait donné, à tout hasard, en cas de coup dur sérieux. Ça n’avait l’air de rien. Fallait l’ouvrir. Alors on voyait ma photo et quelques petits conseils à l’usage des lecteurs. Notamment : République Française. Ministère de la Guerre. Et, au-dessous : Ordre à toutes les forces de Police de laisser passer et de prêter main-forte, sur sa réquisition, à l’agent… etc.

— Service Allié de Renseignements, dis-je. Je vous réquisitionne.

Le cogne faillit s’étrangler.

CHAPITRE 17

Il en laissa même tomber sa cigarette. Il aurait eu un dentier, il l’avalait. Il nous regarda, l’un après l’autre, avec un air effaré.

— Sans blague ? fit-il, lorsqu’il put reprendre son souffle. Vous n’avez pas une tête à ça, ni l’un ni l’autre. Alors, vous êtes des espions ?

— N’employez pas ce mot-là, répondis-je. Il me fait mal. Dites agent secret, si ce n’est pas trop vous demander.

— Agents secrets, répéta-t-il.

— Voilà. Et maintenant vous savez toute l’histoire : pourquoi j’ai été forcé de liquider Bolduc, et pourquoi nous sommes là. Faut vous dire, aussi, que Bolduc n’a pas été le seul à morfler, dans l’histoire. Y a également deux boches que mon petit copain ici présent s’est fait un plaisir de lessiver.

— Les boches je m’en fous, dit le gendarme, en se graciant le derrière, qu’il avait volumineux. Ils lavent leur linge sale en famille et ne font jamais appel à la maréchaussée, sauf en ce qui concerne les déserteurs du S.T.O. Seulement, si jamais vous tombez dans leurs pattes, avec eux, ça ne sera pas du flan.

— Vous cassez pas la tête. La compagnie qui pouvait être dangereuse est en train d’aller faire griller des marrons dans les steppes russes. Elle emmène avec elle les seuls témoins de nos frasques, et le seul gars qui pouvait nous chercher des crosses est mort. Requiescat in pace. En somme, il ne reste plus que vous pour nous créer des ennuis.

— Rien du tout ! répliqua le brigadier, tout ragaillardi. Je ne vous ferai aucun mal, au contraire. Je suis à vos ordres, puisque vous me réquisitionnez.

— Et le gouvernement de Vichy ?

— Je m’en tamponne. Il m’a assez cassé les pieds. Je suis aux ordres du gouvernement légal. Je suis Français, non ?

— Alors, c’est très bien comme ça. Je ne vous demande pas grand-chose, d’ailleurs. La boucler. La boucler férocement, comme si on voulait vous faucher vos dents en or. Et faire le mort, si je puis dire. Si jamais nous avons des avatars dans ce bled et qu’on vous charge de nous rechercher, partir en sens inverse du lieu où vous croyez pouvoir nous trouver. Et si, par malchance, vous nous mettez la main dessus, faire comme si vous ne nous connaissiez pas et nous laisser calter. Parce que, naturellement, je tiens essentiellement à remplir ma mission, mais je tiens aussi à ma paillasse, figurez-vous.