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— Ici, dit Consuelo, en montrant un coin, à côté d’elle.

Je m’approchai. Il y avait en effet là un coffre-fort de taille moyenne.

— Tu es sûr que tu vas pouvoir l’ouvrir ?

— Tu rigoles ? répondis-je. C’est un ancien modèle, je ne connais que ça. Je l’ouvre à l’oreille, ce machin-là, rien qu’en écoutant les déclics. Si j’avais jamais cassé que des trucs comme ça, dans mon jeune âge, j’aurais une Packard devant ma porte. Où sont les clés ?

— Dans le tiroir.

Je me mis à genoux devant le monument. Et au travail !

— Toi, dis-je à la poupée, surveille le type, si jamais il venait à se réveiller, on aurait bonne mine. Allez, il faut faire vite parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver.

— Bueno.

Les clenches de la serrure à secret étaient usées. Elles faisaient pas mal de bruit et ça m’embêtait, par ailleurs, ça comportait l’avantage de me permettre de mieux repérer le chiffre. Je travaillais sans gants, parce qu’au point où j’en étais, je n’avais plus à me gêner. Ils pourraient toujours relever mes empreintes et cavaler derrière tant qu’ils voudraient.

Je ne figurais pas aux sommiers allemands.

Cinq minutes après, la porte s’ouvrait. Il y avait là des rouleaux de bleus. Enfin, on tenait les plans.

Je les étendis sur la table, réglai soigneusement mes éclairages et commençai à les photographier. À toute pompe. Parce que je ne tenais pas à m’attarder. Heureusement, il y avait surtout un grand plan détaillé des installations qui comportait dans le moindre détail les emplacements des blockhaus, des ringstands et des batteries. Ça me bottait parfaitement.

Je négligeai complètement les plans de construction à l’usage des entrepreneurs, parce que ça, c’était archi-connu et je n’en avais rien à foutre. Je photographiai également le plan de minage.

J’étais en plein boulot lorsque j’entendis un soupir derrière moi et un bruit furtif.

Je sautai sur place et je tirai mon Luger de ma ceinture d’un geste rapide. Je sentais mes cheveux se hérisser sur ma tête.

CHAPITRE 23

J’étais tellement à cran, dans ce silence bousculé par le vent et la pluie, que mon cœur se mit à battre comme si j’avais fourni une course d’une borne. Et pourtant, ce n’était pas grand-chose. C’était l’oberleutnant qui soupirait et se retournait dans son fauteuil. Je respirai. C’était un bon signe parce que ça prouvait que le Chleuh était bigrement assommé par le riche alcool des Charentes et que j’étais encore peinard pour un moment.

D’ailleurs, j’avais pratiquement terminé mon boulot. Je refourrai les bleus dans le coffre, soigneusement, à la place où je les avais trouvés, on aurait dit que personne n’y avait touché. Mais en faisant cette manœuvre je m’aperçus qu’il y avait aussi une belle petite pile de billets de mille francs. Neufs.

— Bon Dieu ! fis-je, en me grattant la tête.

J’avais envie d’embarquer ce pognon et drôlement envie. Faut convenir que c’est couillon d’ouvrir un coffre-fort, en risquant sa peau à chaque instant, d’y trouver, en plus de ce qu’on cherche, un paquet d’oseille comac et de ne pas pouvoir l’envelopper. En effet, si je le prenais, demain Herr Doktor verrait tout de suite que sa cachette avait été ouverte. Mais en constatant que les biffetons n’y étaient plus il pigerait aussi que les plans avaient pu tomber sous les yeux d’un mec indiscret. Il pousserait les hauts cris, remuerait ciel et terre. Et alors ce que j’aurais passé à Bodager ne vaudrait plus un pet de lapin. Quant à Hermann Fischer… C’est vrai que son sort m’intéressait peu.

Non. Fallait laisser cette oseille où elle était.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda Consuelo. Tu as vu un serpent ?

— Regarde-moi ça, répondis-je, simplement, et dis-moi si ce n’est pas dommage, de la bonne indemnité d’occupation.

— Caraï ! s’écria-t-elle, il y a au moins un million.

— Ras autant, répondis-je en souriant, parce que je savais ce qu’était le format d’un million, mais il y a bien trois cents sacs là-dedans.

— Qu’est-ce que tu attends pour les prendre ?

— T’es pas folle ? Je reconnais que c’est tentant, mais ce n’est pas possible. Je ne veux pas qu’on sache qu’on a le double de leurs secrets.

— Imbécile ! siffla la fille. Donne-moi ça !

Elle tendit la main, vivement, vers la liasse.

— Bas les pattes, fis-je rudement, en lui tapant sur le poignet. Et je refermai la porte aussi sec, histoire qu’elle n’ait pas envie de recommencer.

— Tonto ! grinça-t-elle, tienes una cabeza de tonto[6] !

— Je sais ce que je fais. Allez, taille-toi de là. Je veux pas te voir à côté du coffre. Va reprendre ta place près de la cheminée. Faut réveiller cet acrobate, maintenant, autrement je me demande comment on sortira d’ici.

Mais Consuelo était dans une rogne noire. La vue de cet argent, qu’elle aurait pu avoir avec tant de facilité, l’avait éblouie. Sa mentalité gitane reprenait le dessus.

— Je te déteste ! siffla-t-elle en tapant du pied, tu es un salaud.

— Cesse de me casser les pieds, dis-je, où je te file une fessée. J’ai les nerfs à fleur de peau. Le travail que je viens de faire, ce n’est pas du chiqué, je te prie de le croire. Ça te remue un homme plus qu’une nuit d’amour.

Je devais avoir l’air plutôt mauvais, car elle se tut. Elle me regarda avec des yeux flamboyants, cracha par terre et me tourna le dos.

Je haussai les épaules. Ces souris me fatiguent, avec leurs réactions imprévisibles. J’étais complètement en état d’alerte, alors, je ne pensais certainement pas à lui faire l’amour, et question de m’avoir à la chansonnette, moi, la peau ! Je me lève de trop bonne heure le matin.

Je glissai tranquillement mon Luger dans ma ceinture, sans fermer complètement ma canadienne, afin d’être prêt à toute éventualité, je fourrai le Leica, refermé, dans ma poche et j’allai reprendre ma place à côté de l’oberleutnant. Là, j’allumai une cigarette et m’envoyai coup sur coup deux verres de cognac, et pas des petits formats, je vous prie de le croire, des mastards. Ça me donna un coup de fouet et je me sentis tout de suite mieux, apaisé. Mes mains cessèrent de trembler, comme elles l’avaient fait quand j’avais refermé le coffre-fort.

Maintenant fallait réveiller le Chleuh. Et ce n’était pas la partie la plus facile du spectacle. Ce mec, ça faisait un moment qu’il trottait derrière la frangine. Il avait été tout content, ce soir, de la voir arriver. Il avait dû penser qu’il allait, enfin, se la farcir. Fallait voir la gueule qu’il avait fait lorsqu’il m’avait vu arriver derrière, tout souriant, sortant de l’ombre hurlante de la nuit. Il avait tout de suite cessé de rigoler. Mais la môme lui avait expliqué que j’étais son demi-frère, que j’étais venu la voir sur ce chantier parce que je cherchais du boulot, que j’avais dîné avec elle et qu’elle avait tenu à me présenter. Fallait pas oublier qu’elle le considérait comme son meilleur ami, qu’elle ne fréquentait que lui, en dehors de son travail, et qu’il lui était tellement sympathique qu’elle avait tenu à lui faire connaître au moins un des membres de sa famille.

Pendant ce temps, le Chleuh, d’abord déçu, buvait du petit lait. Il se disait que ce n’était qu’un contretemps, mais que c’était quand même dans la poche, et que cette fille pouvait se considérer comme déjà baisée par lui, Hermann Fischer. Voilà ce que c’était que de porter un uniforme d’officier allemand.

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Imbécile ! tu as une tête d'imbécile !