Выбрать главу

Surtout qu’il fallait voir le travail de Consuelo, pendant son baratin. Elle arborait ce sourire éclatant qui m’avait coupé le souffle, la première fois que je l’avais rencontrée à Perpignan, dans ce bar infect qui sentait la gomina et les parfums trop doux des Espagnols. Et elle remuait la croupe et marchait d’une manière si souple, si lascive, qu’on avait tout de suite l’impression qu’elle était impatiente de sentir le mâle la posséder.

Un homme résiste rarement à ces trucs-là. Il ne peut pas s’empêcher de penser à ce qu’il lui ferait, s’il était dans le plumard avec la fille. Surtout quand elle le regarde dans le blanc des yeux. Il s’imagine que c’est lui qu’elle a choisi. Ce qui prouve bien qu’à ce point de vue, Allemands et Français, on est aussi cons les uns que les autres et que la vacherie des femmes, amoureuses ou pas, c’est international.

Et, pardi, il nous avait invités à passer la soirée chez lui. Devant du cognac, bien entendu. Mais moi, je m’étais bien gardé de boire autant que lui.

Ce que je voulais, c’était l’assommer.

Il était parti dans mon piège comme un âne qui trotte, parce que, lui au contraire, il espérait que je ne tarderais pas à en avoir marre, que je filerais et qu’il pourrait s’envoyer la sœur.

J’étais en train de gamberger, me demandant comment j’allais réveiller Fischer, lorsque Consuelo revint vers moi, avec sa souple démarche de déesse de l’amour. Elle souriait de nouveau. Toute colère avait disparu. Ses traits étaient reposés et tendres.

Elle vint s’asseoir sur le bras de mon fauteuil, passa son bras autour de mon cou et se pencha vers moi.

— Embrasse-moi, dit-elle, d’une voix changée, chargée de volupté.

Je la connaissais, cette voix, c’était celle qu’elle avait lorsque nous étions ensemble, lorsque je la possédais et qu’elle me murmurait des mots doux à l’oreille.

— Fais gaffe, répondis-je, troublé malgré tout. Si le Chleuh se réveille, tout notre système est en l’air.

— Embrasse-moi, répéta-t-elle, en me serrant plus fort.

Elle posa ses lèvres sur les miennes et il me sembla que je foutais le camp dans un tunnel qui sentait la violette. Je dus faire un effort pour réagir.

— Je te demande pardon… murmura-t-elle.

— Ce n’est rien, dis-je en m’essuyant vivement les lèvres, because le rouge, n’en parlons plus. L’essentiel, c’est les photos. Seulement, je crois qu’il faut faire vite, maintenant, si on veut s’en sortir élégamment.

Je me tapai encore un coup de cognac, parce que c’était du chouette, du réservé aux Allemands. Puis je me penchai en avant, je pris le bras du type et je le secouai.

— Was ? grogna-t-il.

Il ouvrit les yeux, s’ébroua et nous regarda avec stupéfaction. Enfin, il réalisa et sourit à Consuelo, qui était debout près de lui.

— Je vous demande pardon, mais il se fait tard et nous devons partir, maintenant.

— Oh ! dit-il, je crois que j’ai dormi un peu hein ? Cette guerre, c’est terriblement fatigant.

Surtout dans un fauteuil.

— C’est très ennuyeux, reprit la fille, mais mon frère n’a aucun moyen de rentrer à Perpignan, maintenant. Et je ne peux quand même pas lui demander de coucher avec moi.

— Ça non ! répondit le Chleuh, avec force. Ce n’est pas possible.

— Si encore nous avions une voiture ?

Le boche hésita. La môme élargit son sourire et ses yeux se firent encore plus tendres. Ce que c’est que la fesse, tout de même !

Herr Doktor Hermann Fischer se leva. Péniblement, mais il se leva. Il n’avait pas encore toute sa tête à lui et tenait difficilement sur ses jambes. Voulant faire un pas en avant, il en fit un à droite et l’autre à gauche.

— Je vais vous faire accompagner, dit-il. J’ai ma voiture et mon ordonnance. De cette manière, personne ne vous demandera rien sur la route. Je donnerai un ordre de mission à mon chauffeur.

— Hans ! cria-t-il.

— Ia ! mein leutnant ! répondit une voix ensommeillée.

Un instant après, un troufion apparaissait et claquait les talons avec un salut militaire impeccable. On n’aurait jamais cru qu’il venait de se réveiller.

L’officier lui dit quelques mots en allemand, parmi lesquels, au passage, je reconnus Perpignan. Le soldat, à nouveau, claqua les talons.

— Ia wohl ! mein leutnant !

Et il disparut.

Le Chleuh se pencha et baisa la main que Consuelo lui tendait.

— Promettez-moi de venir me voir demain soir, dit-il avec des yeux de vache amoureuse.

— Je vous le promets, Hermann.

Oui, mon pote. Compte là-dessus !

Devant la cantine, on embarqua Bams, qui commençait à se faire de la mousse, et la bagnole, conduite par le boche, fonça dans la pluie et le vent. Consuelo se serrait contre moi. Pour la première fois depuis longtemps, j’étais content…

CHAPITRE 24

Je fis arrêter le chauffeur au pont du Vernet. Je ne tenais pas à ce qu’il sache la direction que nous allions prendre, même approximativement. Histoire de le remercier, je lui filai quand même cent balles. Ça valait bien ça, cette course dans la nuit, à des heures impossibles, en temps de guerre.

Et nous nous retrouvâmes tous les trois dans le noir. Ici, il ne faisait presque pas de vent. Par contre, il descendait une petite bruine glacée qui vous glaçait jusqu’aux os. Ce n’était pas le moment de passer la nuit dehors, fallait au plus vite garer nos fesses des patrouilles. Ici, je n’étais pas précisément en odeur de sainteté après tous les coups que j’y avais faits. Je n’étais, sans doute, pas mieux vu de la police française, que j’avais tournée en ridicule, que de la Milice, pour la manière élégante dont je m’étais tiré de ses pattes, et des Allemands, pour des tas de raisons. Si je me faisais cravater, j’irais directement faire un tour sur la colline de monte à regret.

Les seuls laissez-passer de nuit dont on disposât, c’étaient nos flingues. Il valait mieux ne pas s’en servir. J’aspirais à une vie paisible et honnête.

Le silence pesait sur la ville qui sentait le renfermé, comme toutes les villes, avec, en plus, une odeur de froid et d’eau qu’apportait la pluie. Sur le pont, on n’entendait même pas le bruit de soie de la Têt.

Une sorte d’angoisse me serrait le cœur, mais ça, je savais ce que c’était. C’était le mal de l’aube, qui n’était pas loin. Rien n’est sinistre comme les instants qui précèdent l’aurore. À ce moment-là, il est recommandé d’avoir une bouteille de cognac à portée de la main et de s’en cogner de larges rasades sans aucune économie, il n’y a que ça qui remonte un homme. Et en ville, cette sale impression est pire que tout le reste.

On sentait la proximité du jour prochain à des impondérables, bien que la nuit soit encore très épaisse. À peine si, de loin en loin, un lampadaire bleu se reflétait, sinistre, sur le trottoir mouillé. Et pas un chat à l’horizon.

— Qu’est-ce qu’on fait, dis-je à Consuelo, on va chez toi ? Parce que je n’ai pas l’intention de passer le reste de la nuit à la fraîche, imagine-toi. Du reste, ce n’est pas prudent. Si les flics nous pincent, on ne s’en sortira pas avec une nuit au quart, nous autres.

— C’est loin d’ici ? demanda Bams, d’une voix éteinte.

— Qu’est-ce que tu as ? ripostai-je. Tu as l’air tout flagada.

— Je suis pompé, gémit-il, j’ai jamais été aussi fatigué et aussi cafardeux.

— Tu n’es pas le seul, répondis-je, moi, ce qui me soutiens, c’est sans doute le cognac que j’ai bu chez l’oberleutnant, que Dieu le garde.