Выбрать главу

Elle avait agi d’une manière dégueulasse, absolument infecte. Mais ça, il y a longtemps que j’ai appris à ne plus m’en indigner, c’est des trucs courants. Chez elle, c’était, sans doute, l’âme gitane qui avait réapparu, son goût du trafic, sa passion du vol et son esprit de lucre. La mentalité de son père le maquignon et de son frère le peilharot[8] avait repris le dessus. Cette souris-là, sitôt qu’elle voyait briller de l’oseille, elle ne se tenait plus, fallait qu’elle le fauche. Elle n’était tranquille qu’après. Je pensais à son père qu’aurait vendu sa femme pour un sac de charbon. Mais qu’y faire quand on a un sang pareil dans le corps, un sang de maraudeur ?

J’en arrivais presque à ne pas lui en vouloir.

— C’est pas la peine de rester là à palabrer et à se lamenter, dis-je en tirant mon feu de ma ceinture. Il faut la rattraper. Elle ne doit pas être bien loin, et il faut tout essayer pour remettre la main sur l’appareil.

Et je me mis à cavaler à sa poursuite. Cette fois, les chances étaient égales, on était chacun armés et le flingue de Bams apportait même un petit supplément.

On tourna, au coin, dans une longue rue grise d’aube, déserte à perte de vue. Pas un chat. La môme s’était volatilisée. Seulement, avec moi, ça ne prenait pas, je connaissais trop la combine.

— Elle s’est fourrée dans un immeuble de cette rue, dis-je en m’arrêtant. Seulement, c’est un coin qu’elle doit connaître et nous, on est en plein cirage. C’est pour ça qu’elle nous a fait passer par ici. Comme on ne peut pas se permettre de faire le porte-à-porte avec un soufflant dans les mains, on va se coller chacun à une extrémité de la rue. Elle finira bien par sortir. Je vais aller à l’autre bout, reste là.

— Ça colle.

J’allai m’embusquer juste à l’angle, et pardi, deux minutes après, je vis Consuelo sortir d’une porte cochère. Elle regarda précautionneusement autour d’elle, ne vit personne et s’en fut à petits pas pressés. Elle se dirigeait de mon côté.

Je regardai autour de moi. Il y avait une porte assez profonde pour que je puisse m’y planquer. Je me collai dans l’angle, le bras armé pendant le long du corps.

La fille tourna le coin. J’entendais le bruit de ses talons hauts. Elle passa devant moi sans me voir. Lorsqu’elle eut fait deux mètres je sortis de l’ombre, mon Luger en batterie.

— Consuelo… dis-je doucement.

Elle fit un bond comme si on l’avait cravachée et me fit face, les yeux exorbités. Maintenant elle avait peur, une trouille affreuse. Elle fit un geste vers la poche de son manteau rouge.

— Salope, dis-je, toujours très doucement. Et j’appuyai sur la détente, sans même l’avoir voulu. Deux coups de feux déchirèrent l’air.

Un hurlement.

Consuelo était debout devant moi, hagarde. Un peu de sang coulait à la commissure de ses lèvres. Du sang rouge sur le manteau rouge. Puis elle tomba en avant.

Je me penchai sur elle et pris le Leica. Elle ne bougea pas. Elle haletait un peu et me regardait avec un sourire triste.

— Je t’aimais, querido… souffla-t-elle.

Elle eut un spasme. Le dernier. Et ce n’était pas un spasme d’amour.

Je négligeai de lui fermer les yeux. J’avais pas de temps à perdre. Je partis en courant, je rejoignis Bams et je lui dis qu’on allait se séparer. Rendez-vous au bistrot en planches, à côté du Marché de Gros. À cette heure-ci, il était sans doute déjà ouvert.

On partit chacun de notre côté. J’avais repris mon pas normal. Maintenant, il faisait presque jour. On recommençait une journée grise, inutile, lourde de cafard. Quelques lumières brillaient à travers les persiennes. Derrière, il y avait probablement des gens paisibles qui se préparaient à partir au boulot.

Moi, j’étais écrasé de fatigue, j’en éprouvais une sorte de nausée. Rien ne tournait rond, décidément, et maintenant je me foutais complètement des plans nazis. Un vent aigre se levait, avec le soleil, charriait des nuages d’encre de Chine.

Consuelo… Consuelo… la seule femme que j’aurais peut-être pu aimer, plus tard, après la guerre…

J’allumai une cigarette et entrai dans le bistrot en planches. C’était là que je l’avais rencontrée la première fois, que ses yeux noirs s’étaient posés sur les miens. Ce matin, c’était à peu de choses près la même ambiance. Cela sentait toujours l’anisette et le cosmétique, avec, en plus, un relent de café arrosé.

Je m’accoudai au zinc et commandai successivement deux cognacs doubles. Une crampe me tordait l’estomac et tout me paraissait irréel. Peut-être était-ce la fatigue. Peut-être autre chose. Mes paupières brûlaient et une main me serrait la gorge. J’avais un mal de chien à réagir contre les larmes qui montaient à mes yeux.

Ah ! Bon Dieu de Dieu, pourquoi tout cela était-il si bête ?

Je finis mon second cognac et en commandai un troisième. Je n’arrivais plus à me saouler, même pas à atteindre cette euphorie optimiste qui précède l’ivresse.

J’attendais Bams.

La vie continuait, surtout pour les autres. Nous, on allait continuer la cavalcade, filer devant les flics et les boches, flinguer les salopards et faucher des renseignements, jusqu’à ce que les autres aient enfin le droit d’être heureux. Les autres… même les salopards…

Dans un coin, un soldat allemand ivre jouait tristement Lily Marlène sur son harmonica.

Troisième partie

CHAPITRE 1

On était assis dans le bar de Fredo, Bams et moi. Raides à blanc, tout ce qu’il y a de plus fauchés. Et tristes, bien entendu, comme tous les gars qui n’ont pas d’oseille, parce que la joie, ça s’achète aussi, comme le reste.

Ça me faisait quelque chose de me retrouver là, après tant de temps écoulé. Plus d’un an. Il en était passé de l’eau sous les ponts de Paris, et des clients dans ce bar ! Il me semblait qu’une vie entière s’était écoulée depuis ce soir d’hiver où j’avais appris qu’Hermine me trompait. J’étais tout de suite parti en chasse, et la même nuit je l’avais abattue, ainsi que Meister, son amant, et un agent de la Gestapo parisienne. Et c’est comme ça que tout avait commencé. Avec la différence, cependant, qu’à cette époque je trimballais dans ma fouille un million, que j’avais gagné en vendant dix mille cercueils à l’Organisation Todt, laquelle prouvait ainsi qu’elle portait bien son nom. En outre, j’avais mon bon copain Jimmy avec moi, un drôle de mec qui était spécialisé dans l’attaque à main armée comme d’autres sont tourneurs ou fraiseurs chez Citroën.

Jimmy, je l’avais perdu en route, pendant que j’étais en cavale. Il s’était fait buter à Lyon à la suite d’un confus règlement de compte avec les Chleuhs qui n’aimaient pas beaucoup qu’on se balade avec un revolver.

Moi-même, je me demande encore comment je m’en étais sorti… Ce qui m’avais sauvé, peut-être, c’est que j’avais rencontré le major Bodager et que j’étais entré dans les services de renseignements.

Enfin, si l’on veut. Parce qu’à vrai dire j’étais un agent plutôt spécial, personne ne me connaissait, je ne connaissais personne, je ne relevais officiellement d’aucun service et mon job consistait essentiellement à faire sauter des installations au nez et à la barbe des Allemands et à fricoter avec eux pour pouvoir leur soutirer des renseignements. Lorsque j’avais besoin d’une information plus détaillée, je fauchais le plan, pas plus compliqué que ça.

вернуться

8

Chiffonnier.