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— Même si on va à Pontoise ? qu’il fit, tout content.

— Même si on va à Pontoise.

Je sortis mon revolver et l’examinai. Je le répète : j’avais l’impression très nette qu’il y allait avoir du sport…

CHAPITRE 5

Le taxi filochait à toute vitesse le long du boulevard de Clichy, puis du boulevard de Rochechouart. Le chauffeur, lui, il s’excitait de plus en plus, mais silencieusement, depuis qu’on l’avait prié de la boucler une fois pour toutes et de nous foutre la paix. Je l’ai dit, ce mec-là, il devait avoir lu trop de romans policiers ou être sinocké par tout ce qu’il avait vu au cinéma. Sûr qu’il s’attendait à pêcher une rafale de plomb chaud dans son pare-brise. Mais ça ne le dégonflait pas, au contraire. Le seul endroit où on risquerait de morfler ce serait quand on aurait quitté Paris — si on le quittait —, dans un coin désert. Parce que je ne voyais pas très bien ces virtuoses du pétard jouer de la crécelle dans un coin pareil. Ça serait un truc à faire radiner tous les poulagas du coin. Et, naturellement, la course se terminerait d’abord devant un barrage, ensuite au quart. Et ça, ils n’y tenaient pas plus que nous.

Maintenant, la nuit était complètement tombée. Il ne pleuvait plus. Seul le vent chantait sa chanson triste dans les arbres du boulevard. Et, tout le long de la route, on ne voyait que des bars violemment éclairés, des restaurants chics et, de loin en loin, des filles qui attendaient le client de la prochaine heure. Ce qu’on appelait l’abattage.

Et celui-là n’était pas clandestin.

— Je me demande où ils vont nous conduire, ces acrobates, dit Bams. Ils ont l’air vachement pressés.

— Tu penses qu’après un coup pareil ils n’ont pas l’intention de moisir dans le coin ! Ce que je serais curieux de voir, c’est la gueule de Fredo, avec Bodager écroulé, son poids augmenté de vingt-deux grammes de plomb. Est-ce que tu réalises un peu ce que ça peut représenter, pour un bistrot, un client qu’il n’a jamais vu et qui se fait buter sous ses yeux, dans son établissement, par des clients qu’il ne connaît pas davantage ?

— Ouais, répondit Bams. Seulement j’ai quand même l’impression que pour nous ça ne va pas être du beurre. Est-ce que réalises un peu que ce mec-là, après tout, il te connaît ? Tu penses ! Il me semble que j’assiste à l’enquête : je l’ai jamais tant vu, monsieur le Commissaire. Deux hommes sont entrés et ils lui ont tiré dessus. Il était accompagné de deux hommes dont l’un était Maurice Debar. Tu parles comment qu’ils vont se régaler, les flics !

— Pas tant que ça, répondis-je. Je suis descendu à mon hôtel sous un faux blaze, mon blaze de combat, celui que m’avait donné Bodager à Lyon et qui m’a servi tant de fois auprès des boches. Ils peuvent toujours se fouiller pour m’agrafer.

Plus je réfléchissais, plus ma rogne augmentait. Après tout, ce gars Bodager, il m’avait rendu de fiers services. Bien sûr, à cause de lui j’avais été mêlé à des turbins sanglants dont je ne m’étais sorti que par miracle, mais fallait quand même reconnaître que si j’étais passé au travers jusqu’à présent, c’est à cause des faux papiers qu’il m’avait procurés, et qu’aussi, il m’avait donné pas mal de fric. Et de penser qu’il s’était fait descendre comme un cave, après tant d’aventures beaucoup plus carabinées, ça me rendait malade.

Ça y est ! j’étais en train de reprendre ma philosophie. Si je commençais à descendre cette pente, je le sentais, je serais vite marron. J’ai tendance à me laisser prendre aux souvenirs, à laisser piper les dés par des questions sentimentales.

— Et puis restons-en là, dis-je, sèchement. Regarde plutôt si on n’a pas perdu la voiture des salopards d’en face.

— Non, répondit Bams. Ils sont toujours devant.

Effectivement, je reconnaissais la bagnole qui suivait honnêtement son petit bonhomme de chemin. Dans Paris, ça allait encore, on pouvait passer inaperçus. C’est dans les coins déserts que ça allait commencer à prendre de l’importance. Jusqu’à présent, les truands ne s’étaient aperçus de rien. Faut dire aussi que ça aurait été difficile. Ils nous croyaient sans doute encore sous la table du bar à Fredo, terrifiés par les balles qui écaillaient le mur au-dessus de nos têtes. Tout ce qu’ils pouvaient espérer, même, c’est qu’on était déjà dans les pattes des flics et ils devaient bien savoir qu’on ne s’en sort pas comme ça. Ça demande plusieurs heures. Et, dans plusieurs heures, ils seraient déjà loin. En somme, ils avaient mis toutes les chances de leur côté. Malheureusement, ça avait loupé.

Jusqu’à présent, sans doute qu’ils avaient eu affaire à des gars peu habitués à ce genre de sport, à des bourgeois, à des types humbles, en tout cas à des mecs pour lesquels un truc de ce genre constituait l’aventure de leur vie. Alors ils partaient tranquillement dormir sur leurs deux oreilles, en attendant que ça cesse de chauffer.

Manque de pot, ils étaient tombés sur nous. Et nous, c’était pas la même chose. Nous, on venait d’en bouffer de ce genre de biscuit, et pour nous impressionner il fallait y mettre le prix.

— On peut dire que jusqu’alors, dans un sens, on a été vernis, dit Bams. Si jamais on rencontre un feu rouge, on est marrons, ils nous filent entre les pattes comme des anguilles.

Ça faillit bien nous arriver, vers la place Stalingrad, mais on réussit quand même à passer. Le taxi des tueurs, maintenant, prenait l’avenue Jean-Jaurès, filait tout droit le long de la rue de Paris et suivait le canal de l’Ourcq.

On traversait une banlieue sinistre, presque déserte, sauf de loin en loin, au bord de la route, un pavillon isolé, un bistrot minable, mal éclairé, ou le panache écrasant d’une cheminée d’usine. Parfois, on dépassait ou on croisait un autobus plein de pauvres diables de banlieusards qui revenaient de leur boulot. Et c’était à croire que la T.C.R.P. avait choisi ses bus les plus moches pour les mettre sur cette ligne. On aurait dit des caisses d’œufs glissant sur une pente savonnée.

— Ça, c’est Pantin, dis-je à Bams, histoire d’entretenir la conversation, et déjà que c’est une ville calamiteuse, ce que nous traversons ici, c’est encore le quartier le plus moche. Je me demande où c’est qu’ils vont débarquer, nos ostrogoths. Ils n’ont pas l’air de crécher dans un quartier bien chic.

C’est vrai que nous n’étions pas au but de la course. Dans ce coin-là, il y a aussi Pavillons-sous-Bois, qu’est pas si mal et, au terminus, Livry-Gargan, qui a quand même une autre gueule.

Et, on aurait dit que je l’avais deviné, c’est à Livry-Gargan qu’on finit par atterrir. Le taxi des truands ralentit soudain, tendit le bras pour montrer qu’il tournait, et s’enfila dans une rue bordée d’arbres, émaillée de petits pavillons. Il s’arrêta enfin devant une tache de lumière. C’était un humble bistrot pratiquement désert, avec un éclairage morne.

Les types descendirent et l’un d’eux s’approcha du chauffeur pour payer la casse.

— Ben mon vieux ! s’exclama notre conducteur, ça, c’est une course.

— Restez pas là, dis-je, avancez. Vous vous arrêterez au prochain coin de rue. Après quoi vous reviendrez à ce café, vous laisserez votre bagnole devant la porte, puis vous entrerez boire un coup, mine de rien. Surtout, vous ferez comme si vous ne nous connaissiez pas. Pas la peine de venir vers nous la main tendue, sauf si on vous interpelle. Après, vous nous ramènerez à Paris.

— Ça colle, dit le chauffeur, qui ne nous demanda même pas vingt ronds de garantie.