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— Garde-moi ces deux cocos, dis-je à Bams. Je descends voir la vieille.

La poupée commençait à peine à se réveiller. Elle poussait de petits soupirs. Elle avait les jambes écartées et on aurait dit qu’elle faisait l’amour. Peut-être, après tout, qu’elle rêvait qu’elle le faisait.

— T’en fais pas, dit Bams. Le premier qui fait le zouave, je le dessoude.

Je fourrai mon flingue dans ma poche, parce qu’il ne fallait quand même pas épouvanter la mère, et je sautai de la voiture.

Elle vint m’ouvrir aussitôt et c’était pas dur parce que sa maison ne comportait qu’un seul étage. Je me demandais d’ailleurs comment elle vivait, depuis la mort de son fils. Elle devait être pratiquement sans ressources.

Elle portait un vieux peignoir tellement fatigué qu’on en voyait la trame. Elle éleva au-dessus de sa tête une lampe à pétrole, sans doute parce que l’ampoule de l’entrée était grillée, et elle me regarda. Ses cheveux étaient plus blancs que la dernière fois et de nouvelles rides, amères, griffaient son visage. Ça se voyait qu’elle ne me reconnaissait pas. Fallut que je m’explique pour qu’elle arrive à me repérer. Et alors, ce fut tout de suite des effusions. Elle alla même jusqu’à m’embrasser, la pauvre femme.

— Et alors ? qu’elle dit enfin, quel bon vent vous amène ?

— Ce n’est pas tellement un bon vent, répondis-je, ça sent plutôt le roussi.

Je la suivis jusque dans ce qu’elle appelait le salon. La moitié des meubles que j’y avais vus la dernière fois avait disparu. On voyait encore sur la tapisserie leurs traces blêmes. Elle avait dû les fourguer, au fur et à mesure, aux biffins de Saint-Ouen.

Je lui expliquai posément ce que j’étais devenu depuis le temps que je l’avais pas vue. Je lui racontai que j’avais retrouvé Bodager, ou plutôt que Bodager m’avait retrouvé, qu’il m’avait mis sur une affaire, et que ça tombait bien parce que l’oseille commençait à se faire rare et que j’envisageais déjà de reprendre le boulot que je faisais avec son malheureux fils. Seulement, juste au moment où Bodager commençait à m’expliquer le topo, deux mecs étaient entrés et, badaboum ! ils avaient dessoudé l’Amerlock. On avait réussi à récupérer l’un d’eux, avec sa pouffiasse, et on les avait emmenés ici parce que je pensais qu’elle consentirait à nous prêter son salon quelques heures, le temps que je leur parle un peu du pays. Lorsque j’eus ajouté que c’étaient des miliciens, qu’ils étaient de la même race que ceux qui avaient buté Jimmy, elle ne se tint plus. Elle nous aurait prêté la baraque, si on l’avait voulu. Elle proposa même d’aller chercher un voisin, un communard, qui ne les portait pas non plus dans son cœur, ces salauds-là, afin qu’il nous donne un coup de main pour leur arranger le portrait.

Je lui répondis que pour ce truc-là, en ce qui nous concernait, Bams et moi, elle pouvait nous faire confiance, qu’on se chargeait de lui faire cracher ses dents et que le mieux qu’elle avait à faire pour l’instant, c’était d’aller quérir sa paille de fer, si elle en avait, parce que tout à l’heure, c’était plus que sûr qu’il y aurait du sang sur le plancher. Elle demanda alors la permission d’assister à la corrida, chose que je pouvais difficilement lui refuser, malgré ma répugnance pour ce genre d’exhibition. Mais il est difficile de foutre quelqu’un à la porte de sa propre maison.

— Ça va, dis-je enfin, vous cassez pas. Je vais chercher mon pote Bams, dont je vous avais déjà parlé, et les deux acrobates. Je me ferai un plaisir de vous les présenter.

Je ressortis juste à temps pour voir une ombre s’enfiler dans une rue sombre. Au même instant, vers le carrefour, j’entendis la trompe grave d’un autobus, un hurlement et le crissement des freins serrés à bloc. Bams était debout devant la voiture.

— La vache ! dit-il.

La main dans laquelle il tenait le revolver tremblait.

Jean-Pierre était toujours assis dans la bagnole, immobile.

Je pris mon copain par le bras et le secouai. Il paraissait hébété.

— Qu’est-ce qui se passe ? criai-je.

— La souris a fait la malle, hoqueta-t-il. Et je crois qu’elle vient de se faire buter par l’autobus.

Puis il alla s’appuyer au mur et se mit à dégueuler.

Au fond, ce Bams, c’était un tendre.

CHAPITRE 8

Possible, dis-je, en le prenant par le bras. Et ça me semblait, non seulement possible, mais certain. Mais faut pas rester là. De deux choses l’une. Ou bien elle est morte et la question est réglée, ou bien elle va parler, et alors ça va être une drôle de fantasia. Les flics ne nous pardonneront jamais de leur avoir soulevé un criminel. C’est une denrée dont ils ont l’exclusivité.

La portière claqua et j’entendis un cri. Je me retournai d’un bon. C’est vrai, en voyant mon copain malade j’avais oublié le nommé Jean-Pierre. Il en avait profité pour sauter du taxi et c’est le chauffeur qui avait gueulé pour nous avertir.

Le milicien fit trois sauts en avant et plongea. À plat-ventre dans la boue. C’était pas un imbécile, ce mec-là, il attendait le pruneau et il essayait de l’éviter. Ça ne rata pas. Je lâchai mon coup et la balle passa au-dessus de lui pour se perdre dans la nuit en sifflant.

Seulement, avec moi, ces trucs, ça ne mord pas. Je l’ai trop fait pour ma part et je connais par conséquent les réactions du mec qui essaye d’éviter une bastos. Elles ne varient guère, quel que soit l’individu. C’est quelque chose de tout à fait instinctif.

Alors, la deuxième praline, je l’expédiai à mi-chemin, c’est-à-dire à cinquante centimètres à peine et juste au moment où il se relevait. Ce qui fait qu’il dégusta la balle dans le gras du bras. Il gémit et retomba.

Ce n’est pas tellement la blessure qui était importante, mais ces pruneaux de neuf millimètres ils font un drôle de dégât. Et puis, il y a aussi le choc psychologique qui intervient.

En tout cas, il fallait faire vite.

Déjà qu’avec l’accident d’autobus la police allait lorgner les passants avec plus d’attention à seule fin de montrer son zèle à ses chefs, le coup de pétard, dans ce silence de province, devait avoir éveillé pas mal d’échos.

Je sautai sur Jean-Pierre et le relevai, aidé de Bams. Pendant que mon copain tenait le milicien debout près de la porte, je fouillai mes poches, de mes mains poisseuses de sang, et tendis deux sacs au chauffeur.

— Tiens, dis-je, garde tout et barre-toi. Et tâche de tenir ta langue. Les Services secrets n’aiment pas les bavards.

— Vous en faites pas, patron.

Il embraya et partit vers le carrefour. Il allait voir un peu comment l’accident s’était produit et ce qu’il restait de Jacqueline. Ça devait drôlement l’exciter de songer que personne, dans cette foule, ne savait qui était cette fille ni ce qu’elle faisait là et comment qu’elle avait fait, dans un coin si dégagé, pour se faire crocher par un bus. Il était le seul à savoir et ça devait le gonfler d’importance. Il avait l’impression qu’il détenait un secret d’État. Quelque jour, il avouerait à un client sympathique, ou à un bon copain, devant le zinc d’un bougnat, qu’il avait de drôles de relations au ministère de la Guerre. Et il finirait par le croire.

Attirée par les cris et le coup de flingue, la mère de Jimmy était revenue ouvrir la porte et là, je saluai. Fallait être une mère douloureuse comme elle pour se foutre à ce point du tiers comme du quart et ouvrir sa porte pour voir comment ça se goupillait au moment, précisément, où ça commençait à charbonner.

Le nommé Jean-Pierre, malgré sa grande gueule et son courage réel, peut-être qu’il n’avait jamais pris de balle dans la viande avant ce truc-là… Il paraissait bougrement impressionné. La vue de son propre sang le faisait tourner de l’œil. Sans doute que ça lui faisait beaucoup plus d’effet que le sang des autres. Y a des mecs qui sont comme ça. Je lui filai une claque, à seule fin de le réveiller. Puis je le poussai vers l’entrée.