— Qu’est-ce que je vais faire, maintenant, je n’ai même pas assez de fric pour me payer un avocat !
Elle en piétinait de rage, la salope.
De nouveau, les larmes se mirent à couler sur le visage blême que la douleur marquait, maintenant. Le sang avait cessé de ruisseler.
— Odile !
Elle ne répondit pas et détourna la tête.
Mes yeux rencontrèrent ceux de Bams. Il était adossé au chambranle de la porte, impassible, une cigarette collée aux lèvres. Il donnait une impression de puissance et d’énergie peu communes. Je l’avais jamais vu sous ce jour-là. Son Colt pendait au bout de son bras droit. La fumée l’obligeait à fermer un œil, mais dans l’autre, il y avait un éclat dur, quelque chose qui était de la haine et du mépris. Peut-être qu’il pensait à sa propre femme.
— Viens ici, chérie, dis-je à Odile. Je la pris par le bras, la retournai et lui envoyai une paire de claques maison. Comme hors-d’œuvre. Ensuite de quoi je me mis à lui expédier une de ces valses !
Elle hurlait, essayait de se protéger avec ses bras repliés. Moi, je cherchais les coins les plus sensibles, ceux qui, sans être trop douloureux, marquent le plus une femme parce que ça esquinte sa beauté. Sorties de leur esthétique, rien ne touche ce genre de gonzesses.
Je ne la lâchai que lorsque je fus certain qu’elle avait les deux yeux pochés, le nez cassé et quelques dents de moins. Ils auraient un mal de chien, les photographes de l’identité judiciaire, lorsqu’elle passerait au piano.
Michel, il en était malade.
— Laissez-la, disait-il. Mais laissez-la donc !
Il l’aimait encore, cette andouille.
La môme alla s’écrouler dans un coin et se mit à chialer. Je m’approchai d’elle.
— Écoute-moi, putain, dis-je. Tu avais raison, tout à l’heure. Tu vas aller en taule. Et moi, qui n’ai jamais souhaité la prison à personne, parce que je sais trop ce que c’est, je souhaite que tu en prennes vingt piges et que tu en ressortes avec les cheveux blancs. Mais avant, on va recommencer le bal.
Je défis ma ceinture de marine, jetai la fille sur le divan, malgré qu’elle se débatte et qu’elle hurle, relevai sa jupe, arrachai sa petite culotte noire. Ses fesses apparurent. Elle avait une croupe à redresser un mort. Elle hurlait de plus belle, malade de rage et de honte.
Et je commençai à lui mettre une de ces fessées qui comptent dans la vie d’une femme. Je ne la lâchai que lorsque ses jolies petites fesses furent striées de sang. Quand ce fut terminé, elle n’essaya pas de se relever.
Mais l’autre poupée s’était évanouie et Michel aussi. Quant à Bams, il fumait toujours. Il n’avait même pas enlevé sa cigarette de sa bouche.
— Qu’est-ce qu’on fait ? dit-il, lorsque je revins vers lui.
— On va attacher tout ce joli monde et on va téléphoner aux poulagas en leur racontant le topo, en long et en large. Mais d’abord, on va effacer nos empreintes et on va mettre les voiles.
Je ne tiens pas à entrer en controverse avec ces messieurs. Ils ne seraient peut-être pas du même avis que moi sur certaines méthodes.
Je regardais Odile, toujours étendue à plat-ventre. Elle ne songeait même plus à cacher son derrière. Elle sanglotait tout ce qu’elle savait.
— En voilà une, dit Bams en allumant une cigarette, qui n’a pas volé sa correction.
Il avait une voix grave, fatiguée, et la fatigue creusait ses traits.
Moi aussi, je commençais à en avoir marre. Une nausée me tordait l’estomac. Il y avait trop de fumée, dans cette pièce. En outre, il y régnait une odeur composite de cognac, de tabac et de sang.
Alors, je revins vers la table et débouchai une nouvelle bouteille d’alcool. Puis je fouillai Simon et Michel et récoltai ainsi une bonne centaine de mille francs. Après tout, ces mecs-là n’en auraient plus besoin. Tandis que nous…
CHAPITRE 12
S’il y a des gens que le soleil réveille en tombant sur leur lit, ce ne fut pas le cas. Lorsque je sautai du page, il était plus de midi et le ciel gris descendait en flotte. Ça n’allait pas mieux que la veille. Je m’habillai rapidement et descendis au Dôme me taper le pastis.
J’achetai au passage une édition de midi de France-Soir. Bodager avait les honneurs de la première page, avec photo du macchabée et tout ce qui s’ensuit. Les flics, qu’ils disaient, n’y pigeaient que dalle. On ne savait pas pourquoi ce pauvre diable avait été buté.
Sur les sept heures du soir, il se trouvait dans un bar de la rue Pigalle, en compagnie de deux individus dont on connaissait le signalement. Tout à coup, deux hommes vêtus de gabardines vertes et coiffés de chapeaux à bords larges étaient entrés, s’étaient approchés de Bodager, avaient dit quelques mots que le patron n’avait pu saisir et, sans que rien ne fasse prévoir leur geste, ils avaient tiré un pistolet de leur poche et fait feu sur le malheureux.
Avant de s’abriter sous le comptoir, le patron avait pu voir qu’un des inconnus qui accompagnaient Bodager avait glissé sous la table et riposté. Une des balles avait cassé la vitre de la porte.
Quand le patron, effrayé, était sorti de sa cachette, tout le monde avait disparu, sauf Bodager, qui était mort peu après.
La Police, accourue, avait eu beau faire des rafles dans le quartier, encombré de monde à cette heure-là, elle n’avait retrouvé aucune trace des assassins et des mystérieux compagnons de la victime.
Le Commissaire Principal X… estimait qu’il s’agissait d’un règlement de comptes. La disparition des deux hommes, aussitôt après le meurtre, semblait le prouver.
À vrai dire, ça ne prouvait rien du tout, parce qu’il y a des tas de gens qui n’aiment pas à être mêlés à des affaires de cet ordre et, en tout cas, à toutes les salades dans lesquelles les policiers mettent leurs grosses godasses.
Seulement, le flic se demandait ce qu’un honorable libraire de Lyon pouvait bien foutre dans cette histoire et pour quelle raison qu’on l’avait déquillé. On se perdait dans les suppositions. Trafic d’or ? de drogue ?
On rappelait les mystères de cette morne ville. Le cerveau des journalistes commençait à fermenter.
En dernière heure, on laissait entendre que la Sécurité du Territoire se mettait, elle aussi, à fouiner de ce côté, mais qu’on ne pouvait rien dire pour ne pas gêner les enquêteurs. Mais à vrai dire, c’est parce qu’on ne savait rien.
Ce qu’il y avait de bath, dans l’histoire, c’est que Fredo avait été régulier. Je n’étais pas un inconnu pour lui et, à moins que la police taise mon nom pour mieux me sauter, je pense qu’il l’avait bouclée. Au demeurant, si les poulets étaient vraiment sur ma piste, ils m’auraient épinglé déjà.
En dernière heure, également, il y avait un autre beau roman policier. On avait trouvé dans un pavillon de Livry-Gargan deux ex-miliciens morts, une fille bien malade et l’autre évanouie. Ils étaient attachés les uns aux autres. La police avait été avertie par un mystérieux coup de téléphone. Il fallait attendre que les filles, dont l’une avait subi « des violences ignobles », se portent un peu mieux pour qu’on sache ce qui s’était passé en réalité.
On avait également trouvé, à Aubervilliers, le corps d’un inconnu tué à coups de revolver dans le canal Saint-Denis. Et, non loin de là, une jeune femme avait été écrasée par un autobus. Elle avait été tuée sur le coup.
Tout ça, ça faisait beaucoup de boulot pour les flics et les journalistes.