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J’en étais là de mes réflexions lorsque Bams s’approcha de moi. Il avait les traits tirés et la gueule d’un mec qui n’a guère fermé l’œil. Faut dire aussi que je ne devais pas être plus beau que lui.

— Bodager est mort, dit-il, d’une voix sombre. Il est claqué avant d’arriver à l’hôpital. Il ne l’a pas ouverte une seule fois. J’ai vu ça dans le canard, ce matin.

— Il n’est pas le seul, répondis-je. Qu’est-ce qu’on a encore fait comme dégâts, la nuit dernière ! C’est une véritable fatalité qui s’acharne sur nous. Dire que je suis plutôt sentimental.

— Une qui va tout faire pour qu’on nous retrouve, c’est la souris que tu as corrigée. Quand elle va récupérer, tu vas voir ce qu’elle va nous casser.

— Je m’en fous, répondis-je.

J’étais très las, tout à coup. Un poids énorme pesait sur mes épaules. J’en avais marre de tout ça. Alors, il ne suffisait pas que la guerre soit finie ? Fallait que moi, je continue à me battre, à cavaler devant les flics.

C’était vraiment pas une existence.

— Bodager est mort, répétai-je, et je ne sais pas pourquoi j’éprouvais à cela une sorte de satisfaction. Bodager est mort.

Et ça, ça signifiait beaucoup de choses. Ça signifiait que notre passé était mort la nuit dernière, lui aussi, en même temps que l’Amerlock, qui avait emporté nos secrets chez le Père Éternel.

Personne ne savait plus rien de nous. Nous reprenions notre place dans une société délabrée. Même si on l’avait voulu, on n’aurait pas pu continuer.

De tout le réseau, Bodager était le seul à nous connaître et nous, nous ne connaissions que lui. Les ponts étaient rompus entre l’espionnage et nous. Bien sûr, quelqu’un reprendrait la place de Bodager.

Peut-être était-elle déjà prise, d’ailleurs, mais le mec ne nous connaissait pas.

Nous étions libres. Je respirai très fort, bus le pastis qui restait dans mon verre et me sentis tout à coup en pleine forme. Toute ma lassitude avait disparu brusquement.

« Bodager est mort. »

Comme étaient morts Jimmy, Hermine, des Allemands anonymes et combien d’autres !

Brusquement le brouillard se déchira, un rayon de soleil incendia les vitres du Dôme. Une petite pluie tiède se mit à tomber, légère comme une caresse. Une odeur de printemps flottait déjà dans l’atmosphère.

On paya la casse et on sortit. Sur le boulevard, il y avait de belles filles qui riaient et marchaient par groupes, en se tenant par le bras.

Un marchand vendait du mimosa à la sauvette, les taxis frôlaient le trottoir en cornant. Un agent levait son bâton blanc.

Et qu’est-ce qu’il y avait comme espoir dans l’air ! Parce que maintenant, c’était la paix. En somme, on avait fait un an de guerre de plus que les autres.

Et on marchait côte à côte, Bams et moi. Mais personne n’aurait pu dire où on allait exactement, pas même nous. Ce sont des trucs comme ça qui font que la vie est belle.

FIN