Выбрать главу

La Dorothée me regarde à travers son Rimmel qui lui dégouline sur la frite comme une double traînée de suie sur une cheminée.

— Non, franchement, tu me reconnais pas, poussin ?

Poussin ! Est-ce que j’ai une gueule à me faire appeler poussin ! Je vous demande. J’ai horreur de ces tordues qui se croient obligées de vous affubler de petits noms ridicules en pensant vous faire plaisir.

— Heu… si, fais-je… Attends, on s’est connus… C’est pas à Poitiers, chez le sénateur ?

— Si ! triomphe-t-elle. T’avais le bras en écharpe, tu te rappelles ?

— Et comment ! Ça a mis deux mois à se ressouder…

— Comment, se ressouder ! C’était une brûlure…

— Ah ! je confonds…

Heureusement un heurt à la lourde vient opérer la diversion souhaitable. C’est le gros Godot.

— Salut, les amoureux, dit-il… Je te signale, mec, qu’on vient d’apporter une valoche pour ta pomme.

— Je suis au courant.

Il dit à Dorothée.

— Descends la chercher et drope !

Docile, elle prend son tarif réduit pour le rez-de-chaussée.

— Elle est champion, non ? fait le Godot.

— Envoie-la aux prochains Jeux olympiques, elle est chiche de te ramener le gros lot !

— Et pour le téléphone intérieur, dis donc ?

Ses yeux brillent. Comment qu’il doit se la raboter, la Dorothée, à ses nombreux moments perdus.

— C’est la Greta Garbo du standard, conviens-je, avec elle t’as tout de suite l’Inter.

Dorothée se ramène avec une bath valoche en peau de zizi constellée d’étiquettes d’hôtels.

Je congédie tout le trèpe et j’ouvre la valise. Dedans il y a une collection de chemises voyantes allant du rouge tomate le plus austère au rayé violet-jaune le plus discret.

Un costar bleu pétrole (en tissu anglais, c’est fatal, puisqu’il est pétrole !) et une veste à petits carreaux marrons et verts. Le tout ficherait des complexes à un caméléon.

À part ça, un nécessaire de toilette et un bois peint représentant Napoli tel que se l’imaginent les pégreleux qui veulent le voir avant de canner.

Je referme la valoche. Maintenant il ne me reste plus qu’à attendre la suite des événements.

Mon idée est la suivante : les gars qui sont aux trousses de Carmona n’ont rien dû négliger pour s’assurer de lui. Ils y vont molo, car ils ont compris qu’on l’avait relâché au bidon et que l’équipe aux grosses lattes le surveille ; mais ils veulent le contacter à nouveau, espérant que la mort de la momaque l’aura mis au pas… Faut qu’ils soient rudement gonflés, ces types, pour tirer des coups de semonce de cette ampleur.

Je m’allonge sur le paddock en attendant qu’ils suivent cette filière de la valoche qui doit les conduire à moi ! Je suis le gibier à l’affût, marrant comme définition, non ?

Y a des moments, parole, où mon esprit est si volumineux que je suis obligé de faire deux voyages pour pénétrer dans une pièce.

Le mieux, quand on est seul sur un lit, c’est encore d’en écraser, tout le monde est d’accord ?

Bon !

Alors, fermez vos becs et éteignez les calbombes, j’ai un rêve cochon à terminer…

CHAPITRE V

Prière de secouer le flacon avant de s’en servir !

Lorsque je m’éveille, le char de la nuit s’avance dans le ciel à toute vibure. J’ai cette espèce de vague gueule de bois qu’on ressent toujours lorsqu’on s’est offert une ronflette après une partie de jambes en l’air. J’ai l’impression d’avoir du coton dans les muscles… Je bâille comme la braguette d’un zig qui vient de jouer à la guerre des boutons et je me sens maussade.

Après l’amour, l’animal est triste, comme disent en latin ceux qui ont gagné un Larousse dans une tombola. C’est vrai. C’est vrai pour les cérébraux — les autres, les ramollis de la pensarde, comme vous, n’éprouvent que de la fatigue… Le poids de la vie n’est perceptible qu’à ceux qui se donnent la peine de peser le pour et le contre avec une balance de précision. Notez que ça n’avance pas à grand-chose. Au contraire, ça freine les élans. On finit par convenir qu’on est vraiment peu de chose, ce qui n’est pas un état d’esprit d’homme de choc.

Pour réagir, il n’y a pas trente-six moyens, je n’en connais qu’un : un coup de gnole !

Je saute du lit, je rajuste ma cramouille, mouille un peu mes tifs et me donne le coup de peigne de remise à neuf. Voilà…

La vie est là, simple et tranquille, comme Baptiste.

Je m’apprête à dégringoler les escadrins lorsque j’aperçois un morceau de papier blanc qu’on a glissé sous la porte. Il n’est blanc que d’un côté, car de l’autre il est écrit. Et je lis non sans une stupeur légitime :

TU ES DUR À COMPRENDRE, MAIS TU COMPRENDRAS. DERNIER AVIS.

Alors je commence à me dire que cette histoire ressemble à ces aventures policières qu’on trouvait dans les vieux « Masques ». C’est de l’Agaga Christine de la mauvaise année. Vous savez, Poireau, l’homme qui enquête en trempant la soupe dans des châteaux sur le terre-plein desquels quarante Rolls-Royce sont arrêtées tandis que les maîtres d’hôtel évoluent silencieusement dans les couloirs médiévaux (vache, cochon, couvée).

Venir jusqu’ici relancer un mec, faut pas avoir les précieuses trop ridicules, je vous jure ! Un peu gonflés, les gars ! Ils ont fait leur service militaire dans les commandos de parachutistes ! Et été élevés au lait de girl-scout, évidemment !

Mon mouvement de stupeur dissipé laisse place à un élan d’allégresse. Du moment qu’ils ont retrouvé « ma » trace, c’est qu’ils ont mordu à l’appât, donc que tout est O.K.

Je glisse le papier dans ma poche et je descends retrouver le gros Godot, affalé derrière son rade.

— Tiens, t’as récupéré ? il demande…

— Un peu, mon neveu !

— C’est pas une feignante, hein, ma Dorothée ?

— Non, gros, c’est de la bonne gagneuse… Je sais pas si elle est sortie depuis longtemps de l’institution de Boufémont, mais pour les bonnes manières, elle sait les pratiquer… Ou alors elle a un guide sous son traversin…

Comme ça il faut le prendre, Godot : à la chouette… Là, on en obtient la lune !

— Dis voir, mec, personne n’est venu me demander ?

— Non…

— J’ai pourtant trouvé une bafouille sous ma lourde, tu trouves normal ?

— Une bafouille ?

— Oui, pendant que j’en écrasais, quelqu’un l’aura glissée. Quelqu’un qui savait que j’étais ici…

— C’est pas vrai !

— Puisque je te le dis… Alors on entre comme dans un moulin ici ?

Là, il est nettement féroce, le gros. Il a horreur qu’on prenne sa terrine pour une portion de gruyère râpé et il réagit mal. Ses petits yeux enfoncés jouent à l’antibrouillard, ses grosses lèvres deviennent humides…

— Faut en avoir le cœur net ! grogne-t-il. Des mecs qui prennent ma taule pour une salle des pas perdus ! Je veux voir ça… J’ai deux mots à leur dire, à ces emmanchés ! Et ma main sur la gueule à leur offrir, et mon pied dans le…

Il continue la liste des distributions envisageables. Puis il s’interrompt, ayant soif.

— Dorothée ! hurle-t-il.

La donzelle s’annonce, plus ondulante que jamais. Elle a le nombril monté sur roulement à billes !

— Dis donc, est-ce que t’as grimpé des gens depuis que mon ami est làga ?