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— Je sais le nom de votre adorable toutou, mais j’ignore le vôtre, fais-je. Moi c’est Robert. Et vous ?

— Régine.

Ça fait un peu boxif, mais je garde cette observation pour moi.

— Admirable, m’écrié-je avec cet accent de sincérité qui fit la fortune de Talleyrand et, du même coup, celle de Sacha Guitry ! Je n’ai encore jamais connu de Régine…

— Ça manque à votre collection ?

— Pourquoi me dire une chose pareille ! m’indigné-je, je suis un garçon sérieux, vous savez…

— J’espère que vous le serez, ajoute-t-elle. J’ai horreur des hommes qui vous sautent dessus la première fois…

Ce cri du cœur ! Il contient toute la femme, les gars… Elles veulent bien, mais pas tout de suite ! Prière de respecter les délais légaux… Avant faut attiser le bonhomme. Faut qu’il en soit malade, le gnace, que ça lui grimpe dans la citrouille. L’attente ! Ah ! l’attente ! Cette force de la bonne femme. Elles veulent bien, oui… Et toutes, toutes tant qu’elles sont, les moches, les belles, les autres… Mais pas la première fois… Quand vous trouvez leur vertu sur votre paillasson il faut attendre un an et un jour pour l’utiliser… Mieux se connaître, qu’elles disent, ces perfides ! Ça ne serait pas convenable… Tu parles ! Comme si l’amour se faisait à la troisième personne !

Enfin je tiens le pari…

Je balbutie des protestations et nous nous engouffrons dans un taxi.

En ce moment j’ignore totalement où j’en suis avec les gars qui en veulent à Carmona. J’ai beau jeter des regards par la vitre arrière je n’aperçois que la voiture noire de Bérurier… Nous traversons le Louvre, près du Carrousel, et il n’y a absolument que la traction de mon collègue, assez loin. Rien d’autre… M’est avis que les gars ont mis les pouces pour ce soir… Ils laissent mijoter le bonhomme ; c’est de la bonne tactique.

— Vous semblez inquiet ? remarque la pin-up.

— Moi, quelle idée !

— Pourquoi regardez-vous derrière ?

— C’est machinal, j’aime contempler Paris…

Cette explication paraît lui suffire…

Elle continue à babiller, me dit qu’elle est mariée à un gros ponte de l’industrie sucrière lequel se trouve en voyage présentement, ce qui explique sa solitude.

Nous arrivons rue de Verneuil, voie étroite et provinciale s’il en fut. Ici tout est gris et silencieux.

Le bahu stoppe devant le 24.

— On le garde ? je demande… Vous n’en n’aurez pas pour longtemps, si ?

Elle sourit.

— Les femmes en ont toujours pour longtemps, vous devez le savoir… Montez plutôt prendre un verre tandis que je me changerai. Vous tiendrez compagnie à Kaiser, il a horreur de rester seul, le pauvre ange !

Je casque le Ruscof du G 7 et je file le train à Régine dans un immeuble solennel et vieillot qui sent le triste.

Elle fouille dans son sac à main en peau de zizi blanche.

C’est le jour de congé de la bonne, avertit-elle…

Elle me passe un coup de saveur velouté. M’est avis qu’avec un doigt de diplomatie et deux de whisky je dois la caramboler sans le concours d’un orchestre tzigane. C’est une chaude, celle-là… Quand on traîne un valseur comme le sien, on ne peut pas jouer un rôle de banquise dans une pièce nordique (Papa, maman, laponne et moi)… C’est humain.

Je brusque un peu la partie, décidé à jouer le trois avant le deux dans l’intérêt de la progression dramatique.

La cramponnant par une aile, je lui susurre en pleine frime :

— Écoutez, Régine, je… Je crois qu’il vaut mieux que je n’entre pas…

Elle sursaute.

— Pourquoi ?

Alors là, passez-moi les disques de Mariano, les mecs ! Et du microsillon de préférence, ça sucre mieux.

— Parce que vous me troublez infiniment, Régine. La pensée d’être seul dans un appartement avec vous… Non, vraiment, je ne peux répondre de rien…

Vous saisissez l’astuce ? À la loyale que je la grimpe la Régine. Une main sur le cœur, l’autre sur la poche du kangourou.

L’honneur en avant, comme plaque de blindage, et le lance-flamme qui suit.

Jolie méthode, en général ça donne ou tout l’un ou tout l’autre. Dans le cas présent c’est tout l’autre ! Elle détourne la tête. Un léger sourire s’épanouit sur les lèvres cyclamen de la déesse. Sa poitrine se soulève…

Elle ne va pourtant pas me violer devant la lourde.

— Entrez tout de même ! fait-elle d’une voix de gorge.

Me voilà tout émoustillé. J’entre à sa suite. Nous sommes dans une grande pièce meublée de façon curieuse… Des meubles exotiques, des tapis, des poteries peintes…

Régine sourit.

— Allons dans le grand salon, nous serons mieux pour boire un verre.

On serait même mieux dans la chambre à coucher, soit dit entre nous et la place Beauvau ; mais le grand salon est une étape… Une étape où j’entends bien me classer premier tandis que le marchand de sucre absent endossera le maillot jaune !

Elle s’efface pour me laisser passer et actionne le commutateur. Je cligne violemment des mirettes, d’abord parce que la lumière m’éblouit, et ensuite parce qu’on est toujours surpris de découvrir, dans une pièce que l’on croit vide, trois types assis dans des fauteuils avec des revolvers sur les genoux.

CHAPITRE VII

Pas de fleurs !

Il m’est déjà arrivé des surprises de ce genre — car vous admettrez que c’en sont (et Dalila, ajouterait Bérurier). Mais jamais d’aussi fortes. Cette Régine, c’est quelqu’un de pas ordinaire. Les envapeuses, j’en ai connu, des fortiches et des hors série… Seulement elles n’avaient pas cette espèce d’innocence intellectuelle ; ce côté « voulez-vous me passer à la casserole, mon bon monsieur » que Régine possède au plus haut degré.

J’ai un geste pour cramponner ma rapière. C’est aussi instinctif que de sortir son mouchoir quand on vient d’éternuer. Seulement les trois flingues ici présents ont un même mouvement vers ma brioche. Je stoppe mes instincts défensifs et je souris. Je souris parce qu’on va enfin y voir clair dans tout ça. Parce que maintenant je les ai en face de moi, les fameux, les mystérieux personnages de la non moins mystérieuse affaire… Ils sont trois. L’homme aux cheveux blancs qui ont dû être roux… Celui qui a remis le message au « grome » du Continental… Et puis deux autres, beaucoup plus jeunâbres avec des gueules pas tellement sympathiques.

L’un d’eux se dresse.

Il me donne un ordre assez ahurissant.

— Déshabille-toi !

Je le bigle sans obtempérer.

— Tu as entendu ?

Et il avance son flingue tout contre ma poitrine.

— Fais vite avant que je me fâche, j’ai horreur de dépoiler un mort.

— Devant madame, fais-je, montrant Régine, je trouve ça inconvenant…

— Si tu l’as suivie jusqu’ici, c’était bien pour te foutre à poil, non ?

— Oui, mais je ne pensais pas que ce serait télévisé…

— Allez, magne-toi !

Régine est assise dans un fauteuil profond, l’O Cedar sur les genoux.

— Je ne regarde pas, minaude-t-elle.

La peau de vache, va !

Rageusement je quitte mon costar après que mon interlocuteur l’a délesté du soufflant qui gonflait la poche intérieure. Lorsque je me retrouve en bannière et calcif, à ma grande surprise, le gnace se déloque itou. Puis vivement il passe mes vêtements… Décidément, les fringues à Carmona ont du succès. Il y a tellement d’amateurs qu’il va falloir prendre des tickets d’appel…