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L’homme du Continental dont les manières diffèrent de celles de ses deux hommes de main demande à la fille :

— Vous étiez filés, n’est-ce pas ?

— Parbleu, répond la douce enfant en caressant le pelage de son omnibus à puces.

— Alors ce sera très bien, si vous ressortez avec Maurice qui est de la taille de Carmona, il confondra… Promenez-le beaucoup, ce cher monsieur… Et puis semez-le, nous n’avons que faire de la police, n’est-ce pas, Carmona ?

Là, mes enfants, c’est la grosse mouillette que je m’offre !

Les sauvages se sont aperçus de la filature du crack Bérurier et ils le lancent sur une autre piste pour m’avoir en pogne…

En somme ils lui font le coup que je viens de leur faire… C’est curieux que nous ayons tous eu la même idée !

Si Bérurier mord à l’hameçon, je suis marron, pris à mon propre piège comme une araignée qui se serait entortillée dans sa toile !

La fille se lève, va chercher un boléro de fourrure (moi je préfère celui de Ravel) et se tourne vers le truand qui vient de se linger avec « mes » vêtements.

— Vous y êtes ? demande-t-elle…

— Oui…

Tous deux sortent après avoir adressé un salut hâtif au type qui fut rouquin.

Alors ce dernier se lève, va pousser le verrou de la porte d’entrée, revient au salon et me désigne un siège.

— Inutile de rester debout, on dirait que vous allez passer une visite médicale.

La chaise proposée est la bienvenue car, à franchement parler, je me sens un peu ramolito. Ce qui va suivre manquera certainement de douceur. Vous avouerez que comme coup rentré on ne fait pas mieux. Venir dans cet appartement avec la certitude absolue de s’embourber une laitue de première et, au lieu de ça tomber sur une bande de types armés qui ont la gâchette facile, c’est navrant. D’autant plus que ces mecs, si je me base sur leurs récents exploits, distribuent les dragées comme à un baptême ! Ils sèment la mort à tout vent ! Ce qu’il y a de particulièrement inquiétant dans toute cette salade, c’est qu’ils veulent savoir quelque chose que j’ignore et qu’ils n’hésiteront pas à employer les grands, grands moyens pour l’apprendre…

Il y a des gens qui appelleraient ça un cercle vicieux ! Et vicieux il l’est, le cercle, en effet.

Le type qui dirige l’association (car dès que deux hommes s’associent il y en a automatiquement un qui prend le commandement) pose son revolver sur la table, à portée de la main, puis il caresse ses tempes en me considérant d’un œil vague.

J’attends la suite. Dans ces cas-là, moins on en dit, mieux ça vaut.

— C’est curieux, poursuit-il, comme il y a des gens qui aiment se faire prier…

Un silence… Son acolyte tient un pétard dans chaque patte. Le sien et le mien… il les fait sautiller entre ses doigts avec amour. On comprend tout de suite qu’il a l’habitude de manipuler ce genre d’objet… Il a commencé tout petit avec un eurêka à fléchettes et il a continué avec des modèles plus sérieux. Le flingue c’est mon gagne-pain… Il a fait son chemin à coups de 9 mm, ce zouave… On lit son passé sur sa terrine comme dans un livre… Ça pue un peu, je vous jure…

Le grand type d’un certain âge se lève et vient à moi… Lui non plus n’est pas commode ; pour parler carrément, il serait même plus vachard que l’autre… Seulement son sadisme se teinte d’une sorte d’élégance naturelle. Il est comme qui dirait racé.

— Carmona, dit-il, le moment est venu de faire camarade. Maintenant nous vous tenons et il n’y a pas beaucoup d’espoir pour vous… Jusqu’ici vous avez triché… Mais le moment du bilan est arrivé. Alors vous pouvez parler… Nous n’avons que faire de votre peau, aussi nous vous la laisserons si nous obtenons ce que nous voulons et surtout si nous l’obtenons rapidement car nous avons déjà trop perdu de temps avec vous.

Votre peau, Carmona, songez-y… C’est un beau cadeau… Un cadeau qui ne nous coûte rien, mais qui pourtant vous fera plaisir…

— Ainsi soit-il, fais-je, émerveillé par cette longue diatribe qu’il a lâchée sans reprendre souffle.

Il fronce, le sourcil.

— Vous avez tort de le prendre à la légère… Certains… événements récents vous montrent que nous ne plaisantons pas.

— Que voulez-vous savoir au juste ?

Il tape du pied comme un acteur du Français dans Britannicus.

— En voilà assez, puisqu’il vous faut des arguments frappants vous allez en avoir.

Il fait claquer ses doigts :

— Ernest !

L’Ernest enfouille ses deux seringues et s’approche de moi. Illico je tombe en garde, prêt à dérouiller le bonhomme dès qu’il sera à distance. Mais je dois mettre mes projets en veilleuse, car cette carne-là me fait un coup fourré vraiment inédit.

Il a une sorte de mouvement de côté qui s’achève par une cabriole et je déguste une infusion de bêton armé à la mâchoire. C’est un coup de savate magistral, tel que je n’en ai jamais vu administrer et surtout jamais reçu. Je vais à dame illico en battant l’air de mes brandillons comme fait une oie décapitée avant de m’écrouler. Puis le néant fait sur moi un travelling avant et je m’oublie un peu ainsi que tout ce qui m’entoure.

C’est une demi-inconscience. Je n’ai pas la force de réagir, pas même celle d’ouvrir les stores… Je perçois les mots qui sont proférés au-dessus de moi sans les rattacher par l’idée qu’ils expriment… Des mains s’emparent de ma carcasse et la véhiculent. Je suis à l’horizontale, je flotte… Puis, brusquement, tel un voile brusquement arraché, mon état comateux disparaît et je retrouve la moche réalité. J’ai froid partout et mes ratiches jouent la matchiche…

Je pige tout : les deux enfoirés viennent de me coltiner dans une baignoire. Je suis dans la baille jusqu’au cou, ce qui explique cette brutale sensation de froid qui m’a évacué du pays noir…

Ernest a sur son visage sinistre un grand rire muet. Un rire heureux de gamin à qui on vient enfin d’offrir le train électrique de ses rêves…

— Alors ? me fait-il, un rien triomphal…

— Alors t’as vu jouer Les Diaboliques, fais-je en essayant de réprimer le bruit de castagnettes que font mes dents. Ou bien tu as fait ton apprentissage à la Gestapo. La baignoire, tu sais, c’est un classique du genre.

L’autre gnace qui se tient derrière moi murmure…

— Ce sont les choses réussies qui deviennent classiques.

Lui, y a pas, c’t’un littéraire… Il doit être abonné à la Revue des Deux-Mondes

Je vais pour porter mes paluches sur le rebord de la baignoire, mais il n’y a pas mèche car ils me les ont liées avec du fil de fer ainsi que les tatanes.

Ernest se penche au-dessus de la flotte, il m’empoigne les lattes et les tire à lui, ce qui me fait glisser le buste à l’intérieur du récipient. Brutalement je suis immergé. La flotte me rentre dans les étiquettes, dans les trous de nez… Je ferme la bouche et me retiens de respirer un bon bout de temps.

Mais une vague rouge passe sur ma tête… Des étincelles d’or crépitent dans la rue et ma poitrine prend littéralement feu… À bout de forces, sur le point de m’asphyxier, j’ouvre la bouche, ma soif d’oxygène est telle que j’ai une violente aspiration qui me fait avaler une vache goulée de flotte. Ça n’arrange rien…

Ernest m’empoigne alors par le col et me tire la tête hors de l’eau.

Un instant je ne retrouve pas mon souffle, mais la flotte qui encombre mes éponges se fait la valoche et l’oxygène bienfaisant me rend à la beauté de l’existence.

— Que pensez-vous de ce traitement ? s’informe l’homme d’un certain âge… Un peu sommaire, mais très pénible, n’est-ce pas ?