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Je souris, exactement comme l’abbé Jouvence.

— Chatouille-moi la plante des pieds, je murmure…

Ernest en pleurerait des ronds de chapeau.

— C’est un drôle de dur, m’sieur Staube, dit-il…

Staube ! Voilà un tuyau… Mais ce tuyau-là ne me servira pas à grand-chose… L’homme qui fut rouquin m’enrobe d’un regard pensif…

— C’est même étrange, dit-il…

— Qu’est-ce qui est étrange ? demande son sous-fifre…

— Le changement d’attitude de Carmona… Lorsque nous le pourchassions il donnait l’impression d’un homme aux abois, et maintenant il est magnifique de courage tranquille…

Il hausse les épaules…

— Enfin, laissons-le méditer…

Il consulte sa montre.

— Si vous tenez à la vie, vous devriez vous décider rapidement, dit-il. Je crois pouvoir vous dire que d’ici un quart d’heure il sera trop tard…

Sur ce il sort de la salle de bains en faisant signe à Ernest de le suivre. Je reste seul dans ma baignoire, enlisé au milieu de cette masse de ciment qui durcit lentement en dégageant une intense chaleur. Lorsque je remue, il faut que je fasse un effort très violent car la masse visqueuse est infiniment pesante. C’est un peu comme si, brusquement, j’étais projeté sur une planète où la pression atmosphérique serait cent fois supérieure à la nôtre !

Que fait Bérurier ? Il s’est laissé arnaquer, ce saligaud ! Vous parlez d’une cloche ! Ah, il est mimi, le roi de la filature ! Fantômas pour noces et banquets ! Il a marché comme un aiguiseur sur les talons du faux Carmona.

Le temps passe… Le ciment continue son hideux travail de solidification… Il m’envahit, me pétrit, me malaxe, me pétrifie… Nom de Dieu, je vais crever ! Et mochement ! L’ampoule électrique au-dessus du lavabo blesse ma vue… J’ai soudain peur d’une façon atroce. Ça me prend comme une crise d’appendicite… Je me mets à hurler… Je ne peux plus supporter ce naufrage dans le solide ! Je hurle à plein bord pour m’entendre encore, pour me manifester…

Staube et Ernest radinent en vitesse.

— Eh bien, eh bien ? demande-t-il d’une voix bonne… Vos nerfs vous lâchent, on dirait ?

Je continue de hurler…

— Parlez, dit-il, et nous vous sortirons de là…

— Non, je glapis, je ne veux plus, enlevez-moi d’ici… Je parlerai après… Je…

Il pige qu’il ne m’aura pas au chantage. J’ai été trop impecc jusque-là, maintenant ça s’écroule en moi. Je deviens dingue…

Et de hurler encore, si fort que le verre à dents tremble sur la tablette de verre du lavabo et qu’Ernest grogne :

— Ferme ta gueule !

Ils me chopent chacun par un bras après avoir remonté leurs manches et ils me hissent hors de la baignoire.

J’ai l’impression de sortir d’un ventre. Oui, je nais du ventre de la mort… Il y a un bruit de succion, un gros clapement visqueux et me voilà debout.

— Sortez-moi ! je fais…

Même ce contact de ciment sur les jambes m’est insupportable. Je tremble de tous mes membres, j’ai un drôle de coup de bambou sur la théière…

Ils me sortent. Me voilà debout devant une glace, incroyablement modifié… Les vêtements collés au corps, et pesant… Le visage tiré… Les yeux fous… La figure barbouillée…

— Je vous préviens, fait Staube, que si vous ne parlez pas immédiatement, nous vous replongeons dans ce ciment, mais cette fois ce sera la tête la première !

Il me regarde soudain avec une attention soutenue. Puis, vivement, il sort son mouchoir de sa poche et le frotte sur mon visage. Il examine des traces noires sur le morceau d’étoffe. C’est le maquillage de Strenberg qui, détrempé par l’eau et par ma sueur, se fait la paire.

Staube ne dit rien. Sous le regard stupéfait de son complice il va au lavabo, s’empare d’une serviette en tissu-éponge, l’humecte, l’enduit de savon et vient me débarbouiller lentement, en frottant comme un sourd.

Enfin il recule un peu et, d’une voix absolument neutre, demande :

— Qui êtes-vous ?

Je suis frit, cette fois… Fumeuse à un point incroyable qu’elle était, mon idée…

Je la boucle.

Ernest qui me détaille maintenant avec inquiétude demande à son patron :

— C’est pas Carmona ?

— Tu le vois bien, répond l’autre, agacé…

Il est très calme, vous savez, comme les gars de cirque qui font le triple saut de la mort et qui, brusquement, au moment de l’exécuter, deviennent comme insensibles.

— Qui êtes-vous ? répète-t-il sans hausser le ton.

On croit comme ça que, pour faire monter l’intensité dramatique, il faut hausser le ton, c’est de la quenouille en carton !

Tenez, regardez certains peintres, pour rendre une ombre ils emploient une couleur plus claire que l’objet qui provoque cette ombre… Là, c’est du kif. La voix de Staube est plus claire que sa voix naturelle… Mais elle rend toute l’ombre de son caractère.

Un peu las, je murmure :

— Commissaire San-Antonio, des services spéciaux.

CHAPITRE IX

Passe-moi la rhubarbe…

Pour bien rendre toute la violence concentrée de l’instant, il faudrait une fugue de Bach et Laverne jouée à l’orgue par Léo Noël. Ernest regarde son chef comme si celui-ci allait faire jaillir la lumière de son auriculaire.

— Qu’est-ce qu’il dit ? demande-t-il, la pensarde perturbée par la stupeur…

Staube ne répond pas. Il me fixe en se mordant les lèvres.

— C’est un poulet ? interroge encore l’homme de main…

Enfin ça y est, il entre à cloche-pied dans le vif du sujet.

— Il paraît, fait l’homme aux tifs blancs…

— Alors c’est pas Carmona ?

Pour une bonne déduction, allez chez lui, il vous fera des prix et vous serez bien servi.

— Non, fait Staube sans me lâcher du regard, ça n’est pas Carmona… Notez, ajoute-t-il à mon intention, que je flairais une chose douteuse…

— Ah oui ?

— Oui… Je n’avais vu Carmona que d’assez loin jusque-là et franchement, de près, je l’imaginais autrement.

— Déçu ?

— Au contraire, la déception jouait en votre faveur…

— Merci…

— Pas de quoi…

Voilà que nous tombons dans les mondanités ! C’est fatal, il y a toujours un moment où un homme bien élevé éprouve le besoin de distribuer du baisemain à la ronde. Or Staube est un homme bien élevé malgré ses complexes de maçon.

— Où est Carmona ? demande-t-il, mordu par une brusque appréhension…

— Dans un récipient de zinc… à la morgue… Il s’est pendu en constatant que vous aviez trucidé sa poule… C’était un sentimental… M’est avis aussi que vous lui avez monté un cirque trop compliqué pour ses nerfs : ils ont craqué…

Ernest pousse un gémissement.

— On est marrons, pleurniche-t-il. Tout ce bouzin pour la peau, c’est pas possible !

Staube me sourit froidement.

— Il… il vous a parlé avant de mourir ?

— S’il m’avait parlé, il ne serait pas mort… Et je ne serais pas ici…

— Qu’espériez-vous, en vous déguisant de la sorte ? demande l’homme.

— Arriver jusqu’à vous, le calcul n’était pas si mauvais que ça…

Ernest, sans qu’on sache pourquoi, se rue brutalement sur moi et me téléphone une prune à la pointe du menton. Comme j’ai toujours les pattes et les paluches attachées je perds l’équilibre et me répands sur le carrelage de la salle de bains.