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— L’écoutez pas, grogne Ernest. C’t’un salaud de poulet… Ils vendent tous leurs salades. Celui-ci a les jetons, c’est pour ça…

— Silence ! intime Staube.

Il se fait attentif.

— Qu’appelez-vous « nous entendre » ?

— Vous cherchez une chose qu’avait cachée Carmona ?

— Et après ?

— Ben oui, et après ? Carmona est mort… Son secret aussi… C’est fichu pour vous…

— Admettons…

— C’est plus qu’admis, c’est réglé ! Le dernier moyen d’arriver à quelque chose c’est la police qui le détient. Seule la police dispose de la puissance d’investigation suffisante pour passer les dernières semaines de liberté de Carmona au peigne fin…

Il a un faible sourire.

— En somme, vous me proposez de vous remettre en circulation après avoir conclu une association. Je vous dis ce que je sais, vous enquêtez, lorsque vous avez obtenu un résultat nous partageons ?

— À peu près…

— Me prenez-vous pour un imbécile, commissaire ?

— Me prenez-vous pour un fonctionnaire intègre, Staube ?

La répartie le fait chanceler.

C’est le moment de placer ma pointe de vitesse et de le déborder dans la courbe ! Vingt dieux, ce que j’ai chaud aux plumes !

— Croyez-vous qu’un honnête policier s’amuserait à se « faire la gueule d’un truand » pour trouver des gens qui veulent crever ledit truand ? Je pense que vous êtes logique, alors profitez-en !

— Parlez !

— C’est moi que Carmona a tabassé à la foire du Trône… C’est moi que Biernarski a abordé lorsque vous vous apprêtiez à le flinguer… J’ai fait travailler mes cellules grises.

— Ce qui veut dire ?

— Que j’ai pigé très vite qu’il était question d’un fromage de première grandeur… Or j’aime le fromage. Je n’ai pas la patience d’attendre la retraite pour aller cultiver le chou de Bruxelles…

« Voilà longtemps que je rêve de la grosse affure qui me remplira les fouilles. J’ai passé Carmona à la purge afin de le faire parler : il n’a rien dit. Alors j’ai voulu vous rencontrer… En mettant nos œufs en commun on peut réussir une bath omelette. Bien sûr vous pouvez ne pas avoir confiance… C’est tout ce qu’il y a de normal. Aussi resterai-je avec vous… Je me contenterai d’orienter les recherches…

Un silence. J’ai parlé, il faut attendre la décision du jury.

Staube ferme à demi les yeux et ne se lasse pas de m’étudier. Savoir ce qu’il pense est impossible. Son visage fermé à double tour ne livre pas à domicile…

Enfin il questionne de sa voix contrastée, vous savez, celle qui projette l’ombre de son âme ?

— Pourquoi n’avez-vous pas parlé tout de suite en arrivant ici ?

— Je voulais voir…

— Voir quoi ?

— Comment, voir quoi ? À qui j’avais affaire, parbleu ! Je n’allais peut-être pas déballer mon panier illico et me mettre à bouffer sans vous avoir examinés un peu !

— Et vous vous êtes fait filer par un collègue, dit-il, sarcastique.

Ernest, qui suit la conversation comme un match de tennis, intervient.

— Vous voyez bien qu’il nous charrie, m’sieur Staube ! Ce type n’est pas franc. Les poulardins ne le sont jamais. Toujours ils mijotent quelque chose… Tous plus fumiers les uns que les autres…

Et j’enchaîne (de montre, compléterait Breffort) :

— Si ma proposition vous paraît suspecte, alors envoyez la prunelle d’Alsace… Je tiens à vous faire remarquer toutefois que vous ne risquez rien dans l’aventure puisque vous me gardez prisonnier. Il ne faut pas longtemps pour mettre une dragée dans le crâne d’un zouave…

— Et que penseront vos collègues de votre disparition ?

— Je leur téléphonerai d’ici…

Staube fait brusquement claquer ses doigts.

— Ernest, dit-il, détache-le…

L’Ernest pique un drôle de renaud, je vous prie de le croire. Il dit que ça ne lui paraît pas catholique, et que tout ça tournera au caca et que si c’était lui…

Pourtant il obéit et me délivre… J’ai les articulations ankylosées. Je fais jouer mes doigts, mes jambes…

— Tu te crois au stade ! grogne Ernest…

Staube lui impose silence d’un clapement de langue.

— Jouons aux bons associés, dit-il. Mais je vous préviens que la plus légère incartade vous coûtera la vie.

— O.K. !

— Par quoi commençons-nous ?

— Par ça, fais-je en lui décochant un formidable coup de latte dans le ventre !

Deuxième partie

CHAPITRE X

Je te passerai le tagada !

Jamais un coup de saton dans le baquet d’un mec n’a eu un effet aussi radical (et même radical-socialiste). Staube ne dit pas ouf, n’appelle pas sa mère, ne compte pas les étoiles… Non, motus et anticonception ! Il va à dame dans le plus grand recueillement.

Je ne perds pas mon temps à fignoler le turbin ou à lui tâter le pouls. J’ai un petit camarade à droite qui s’occupe de moi. Ernest avait dû remiser ses pétoires pour m’ôter les fils de fer entravant mes membres. Je le prends de vitesse. Le temps qu’il défouraille et il déguste un parpin de quinze tonnes au cou. Ça fait un bruit mou, assez répugnant, il pousse le grognement du sanglier touché au bon endroit et il s’agenouille, la gueule grande ouverte comme l’entrée de Notre-Dame un jour de procession. Il se comprime les éponges en suffoquant.

— Ça ne passe plus ? je lui demande.

Pour me répondre faudrait qu’il fasse du morse, et encore !

Je prends un peu de recul et je biche un gros flacon de verre épais donnant asile à une lotion capillaire. Je lui abats la verroterie sur le bocal. Le flacon explose, le cranibard du mec itou… Le beau raisin du truand commence à se mélanger à la lotion odorante…

Faites excuse, m’sieurs-dames, mais j’ai mis le gros paquet ! Ce coup de nerf, Ernest le paie de sa précieuse existence. Après un coup de téléphone de cette importance, il est bon pour le ramasse-miettes ! À évacuer sur le vide-ordures et rapidos, je vous le bonnis !

Je me redresse, haletant. Je me sens faible et mes genoux font bravo. L’effort est noble, mais il rend chétif. J’empoigne une serviette-éponge, je fais couler de la flotte dessus et je me tamponne la vitrine… Ça fait du bien. Comme je me détourne pour reposer le linge sur le porte-servetouzes j’aperçois dans la glace deux visages dans mon dos. Une volte-face… Il s’agit de ma belle vamp et de son acolyte, le faux Carmona… Ils sont de retour, ces gentils, inopinément. L’O Cedar entre eux deux… Et Maurice tient un pistolet de fort calibre à la main. Il regarde les deux mecs allongés sur le carrelage. Son visage devient livide. Un pas en avant, il braque le soufflant et je vous parie un économiste distingué contre un serment d’ivrogne que je vais choper sa bonne camelote dans le placard !

Il est en renaud parce que je n’ai pas l’air de m’émotionner outre mesure. Alors il brandit son eurêka en roulant des yeux fous.

— Ben quoi, je fais, tu veux le vendre ou quoi ?

Régine ne pense plus à jouer les grandes tombeuses de mectons. Elle est figée dans le chambranle, les lèvres entrouvertes sur des chailles signées Colgate.

Et soudain une voix faible soupire :

— Ne le tue pas !

C’est le Staube de mon cœur qui sort lentement du cirage et qui prononce des mots sur le sens desquels je me déclare entièrement d’accord.

Maurice le regarde. Puis il me regarde. J’essaierais bien de lui rentrer dans le chou, mais il est trop crispé sur sa bon Dieu de gâchette pour que je réussisse un nouveau numéro.