Régine s’empresse auprès de Staube. Le vieux zig se remet debout en geignant. Il se frotte la brioche et a des contractions d’estomac. S’il souffrait du foie, mon massage n’a rien arrangé.
— Ligotez-le ! ordonne-t-il… Tout cela est de ma faute… J’ai voulu faire une expérience et…
Il n’a que le temps de s’affaler au dessus du lavabo pour s’expliquer avec sa nausée.
Maurice sourit rageusement en me regardant. Puis il me file un coup de genou dans le bas, si brusquement que je n’ai pas la possibilité de parer. Mes rognons sauce madère me remontent jusqu’au gosier. J’y porte la pogne d’instinct. Ô ma douleur ! J’ai droit à la banane de complément. En l’occurrence un vieux coup de plumeau sur la tasse.
Il a mailloché avec la crosse de sa seringue en utilisant le dessous ! Une escadrille d’angelots se met à me tourniquer autour comme un nuage de mouches. Je fléchis. Un nouveau gnon plus appuyé et c’est le tapis velouté princesse ! Mais je ne perds pas conscience… Une partie de lucidité subsiste sous mon pauvre crâne, me permettant encore de penser, et de penser, croyez-moi, à des choses tristes… Parce que, enfin, entre nous, je n’ai plus grand-chose à espérer de la vie.
J’ai eu ce que les généraux appellent les impondérables. Le début de mes opérations se développait suivant une ligne d’attaques judicieuses, mais hélas ! on attendait Bérurier et ce fut Blücher qui arriva ! Quand on lutte, il faut compter avec les retournements de situation. Maintenant je peux me faire inscrire chez Borniol pour une première classe !
Mon mal de gadin se calme un peu… Je suis à demi allongé sur le carrelage, les pieds et les mains ligotés avec le fil de fer qui servit naguère au même usage. Le cadavre d’Ernest gît à mes côtés. Drôle de promiscuité. Les trois autres membres de la bande sont allés se réconforter et ils ont lourdé la porte… Je fais des efforts surhumains pour m’éloigner un peu du mort et m’asseoir sur les carreaux. À force de soubresauts j’y parviens. Maintenant je tente de me libérer les poignets en tirant de toutes mes forces sur le fil de fer, mais c’est de la bonne came et le Maurice a serré tellement fort que mes mains privées de tout afflux sanguin sont d’une blancheur presque Persil.
« Rien à faire, San-Antonio… Tu vas y passer, ton heure approche. Tu as du moins la satisfaction d’avoir risqué le tout pour le… »
Je stoppe mes pensées. Pas la peine de se réciter du tricolore en vers libres. Mon regard suit un tuyau qui court le long du lambris… C’est un tuyau à gaz… Il va du cumulus à la pièce voisine — la cuisine vraisemblablement — en traversant toute la salle de bains.
Alors il me vient une bath idée, je vous jure… Une idée qui vaut son pesant de poil à gratter. Puisque je dois canner, je cannerai. Mais auparavant je jouerai un bon tour aux enfants de salauds qui m’ont mis dans le pétrin !
Le fil de fer dont ils se sont servis pour m’entraver est gros. À l’endroit du lien il pointe et sa section aiguë en fait une sorte de poinçon. J’appuie ladite pointe sur le tuyau et je pousse de mon mieux. Le fil de fer fait son chemin dans le plomb malléable. Il le transperce. Je colle mon naze sur l’orifice ainsi pratiqué car il est possible que le compteur soit fermé, mais non, ça fuse doucettement. Je perce à la file une succession de petits trous afin de libérer le gaz. Puis je m’adosse à la baignoire cimentée, j’attends…
Pourquoi Staube a-t-il empêché Maurice de me cloquer une olive dans la viande ? Maintenant il sait bien qu’il ne peut rien tirer de moi. À moins qu’il ne se fasse des illusions encore ? Qui sait ? Le monde est plein de mecs qui croient qu’on peut tirer du sang d’une pierre.
J’attends le bon vouloir de ces messieurs. Ça commence à renifler vilain le gaz de ville dans la salle de bains… Et toujours cette ampoule à vif au-dessus de ma tête… Une 100 bougies au moins ! La lumière plonge dans mes yeux comme dans des doigts crochus. Pas moyen de s’en débarrasser.
J’ai beau fermer les châsses je sens mon cerveau fouillé par cette impitoyable source lumineuse… Le gaz aussi doit me titiller les méninges. Vous parlez, dans un espace trop étroit on obtient vite la saturation nécessaire. Déjà je sens en moi comme une sorte de tendre balancement, de flottement léger.
Mes pensées s’engourdissent…
Lorsque la porte s’ouvre je distingue à travers un brouillard Staube et le Maurice des familles.
Staube s’écrie :
— Mais ça sent le gaz…
Je décris une ruade que j’ai mijotée depuis un bout de temps et qui renverse l’armoire de fer où sont remisés les objets de toilette sur la lampe du lavabo. La lampe est brisée. Elle produit l’étincelle que j’attends. Mes aïeux ! Si vous entendiez ce bouzin ! Oh ! pardon, madame, à qui ai-je l’honneur de palper les meules ? Pour du badaboum c’est du badaboum, et de first quality, je vous le promets. Un souffle brutal, détonant, étonnant, enveloppant, ferrugineux et antidérapant secoue la casba. J’entends hurler. Il me semble qu’on vient de me braquer sur la frime une lampe à souder…
J’ouvre les calbombes et je vois Maurice et Staube littéralement coupés en deux par l’explosion. Ils ont pris la grande glace murale de plein fouet sur le châssis et elle a fait l’office d’une cisaille… Le carreau est tout rouge. Le gars bibi s’est tiré de l’aventure because sa position couchée. Entre le bloc de la baignoire et l’armoire j’étais protégé. Pourtant j’ai biché une vache commotion.
Mes sourcils, mes cils sont grillés. Ça chlingue la couenne brûlaga et j’ai les éponges bouffées aux mites.
Il y a des râles tout près : ceux du gars Maurice qui a son compte et qui s’en voit pour quitter cette terre comme un bombardier dont le train d’atterrissage ne fonctionne pas.
Dans l’appartement, y a la môme Régine qui appelle sa mère et son O Cedar. Seul l’O Cedar répond par des glapissements de chacal enrhumé. Il doit être secoué itou, le cador.
Tout l’immeuble est chanstiqué. Ça remue dans la taule. Des cris dans l’escadrin… Des sirènes de pompelards… Déjà ? Il est vrai que je n’ai pas la notion précise du temps…
À demi asphyxié je rampe en direction de la lourde. Parvenu dans l’encadrement je murmure un grand au revoir général, mes biches, et je mords la moquette.
Rappelez-vous qu’il faut que l’organisme du mec soit solide pour résister à pareil traitement.
J’ai un grand soupir heureux. Beau turbin, le gnace qui remplace le San-Antonio est encore dans le porte-monnaie de papa !
Tu peux t’offrir un valdingue dans le cirage, mec, t’as tellement mérité de la patrie que ton nom sera gravé en lettres d’or dans le pont-lévêque, le brie et, éventuellement, le fontainebleau à la crème !
CHAPITRE XI
Sois belle… et parle-moi !
C’est chez le pharmage du bout de la rue que je reprends vraiment mes esprits. Le marchand de purges me fait renifler un truc vivifiant qui doit être de l’oxygène. Ça ramone mes éponges et me grise un peu… Je me délecte… J’ouvre les carreaux sur les mille bocaux de l’estanco qui dansent une sarabande autour de moi. Puis les bocaux s’arrêtent et un seul subsiste. Un gros, rouge, qui a la voix de Bérurier.
— Et alors, ma petite fille, on s’offre des vapeurs ?
Je remue la langue avec d’infinies précautions. Elle s’arrache de mon palais et me permet enfin dénoncer une série de vérités.
— Bérurier, je balbutie, tu es le plus parfait prototype du cornichon à roulettes que j’aie jamais rencontré. Je savais que tu avais un porte-monnaie avec même des timbres-poste dans le soufflet du milieu, c’était déjà un signe de gâtisme précoce… Mais de là à te laisser blouser par un emmanché de seconde catégorie, c’est impensable !