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Mon baratin dit d’une voix mourante lui va droit au cœur.

— San-A. ! pleurniche-t-il… Je te jure que ça n’est pas ma faute ! Tu aurais été à ma place, tu…

Je l’interromps.

— Il est frais, le roi de la filature ! Tu as lu ça dans les albums de Tintin, dis voir, grosse gonfle ! Tu le sais pas que je viens de passer la plus sale heure de ma vie ? Le grand jeu qu’ils m’ont fait, ces peaux de vache ! Tout le toutim, le jamais vu… Cimenté ! Ça te dit quelque chose, hé, tas de graisse !

— Écoute, supplie-t-il, calme-toi, y a du monde.

— J’espère bien ! C’est pas à huis clos qu’on peut juger une incapacité comme la tienne…

— Écoute, San-A…

— Suffit, d’abord, appelle-moi monsieur le commissaire ! En voilà des façons. Tutoyer un supérieur lorsqu’on est le dernier des minables ! T’es pas même bon à passer la paille de fer… Ton job dorénavant c’est de raconter des histoires sales dans les banquets d’anciens combattants 14–18 !

— San-A. ! T’es injuste ! Je m’étais garé à quelque distance… De nuit, tu parles ! Quand elle est ressortie, la nana, j’ai cru que c’était toi qui l’accompagnais… Je leur ai filé le train à travers Pantruche… Ils sont allés dans un petit hôtel discret rue Joubert… Y avait deux entrées… Je m’ai dit, te connaissant comme je te connais, que tu lui faisais une fleur…

— De quoi ! je renaude, constatant que le pharmacien et ses préparateurs se passionnent pour la discussion. Qu’est-ce à dire ?

— Il est ça à dire ! tonne le Bérurier qui en a classe de se faire traiter comme une serpillière, que tu grimpes toutes les nanas que tu rencontres !

Il se tourne vers le pharmacien qui est de garde cette nuit-là et ne paraît pas le regretter.

— Un jupon et il y a plus personne, c’est pas un homme, c’est un appareil à composter ! Alors vous parlez que…

Il change de ton, se fait grave, décent…

— Je me suis rancardé au bout d’un moment : y avait deux entrées, je te le répète… Plus personne dans la piaule où les avait conduits la bonniche de la taule ! J’ai compris que quelque chose ne tournait plus rond et je me suis ramené dans le coincetot.

— T’as toujours été classé champion du monde de déduction, Bérurier… Y a qu’à une chose que t’as pas encore trouvé d’explication, c’est à ta couennerie ! Le gars qui t’a distribué la marchandise n’y est pas allé avec une cuillère à café ! Il t’a fait le bon poids, souviens-t’en…

— Si tu le prends sur ce ton, rouscaille Bérurier, je rentre chez moi !

— T’as raison, ta bourgeoise a dû finir de s’embourber le coiffeur d’en bas !

Son regard s’embue. Je regrette cette boutade et je me calme.

— Dites voir, je fais au pharmacien, vous n’auriez pas quelque chose de plus alcoolisé qu’un ballon d’oxygène à m’offrir ?

Il est éberlué.

— De l’alcool ?

— Oui… Le plus raide possible, c’est pour me déguiser en homme valide… J’ai besoin d’un remontant.

Il s’annonce avec une bouteille de fine champagne qu’il est allé cueillir dans son arrière-boutique.

— Ça vous va ?

— Au poil…

Je liche une lampée qui remplirait le réservoir de votre bagnole. Comme Bérurier louche sur le breuvage, je lui tends le flacon et il marche sur mes brisées. Le pharmacien et ses assistants commencent à se demander si nous travaillons dans la police ou bien si nous passons à Medrano en fin de la première partie dans un numéro de duettistes.

— Paie ! fais-je à Bérurier… T’as ta bagnole au moins pour me ramener à la maison ?

— Évidemment… Même qu’il y a la fille dedans.

— Quelle fille ? interrogé-je, sans piger…

— Mais… celle que t’as rambinée au Rally… Comme j’arrivais ici elle se taillait à toute vibure… Je venais d’entendre l’explosion… À tout hasard, je l’ai arrêtée…

Du coup, il regravit les échelons de mon estime, le Gros.

Et quatre à quatre même.

Je me redresse en titubant. Ça tournaille un peu… Les bocaux continuent à jouer au manège… Mais le sol ne se dérobe pas. Je constate alors que je suis drapé dans un rideau. Il est bath, le superman de la sourde ! On dirait que je joue Britannicus pour les tournées Baret ! Je m’aperçois dans une glace du magaze et j’ai un haut-le-corps !

Une vieille morue de Saint-Germain qui s’annonce pour acheter de l’aspirine croit rêver et décide de mouler un peu le rhum blanc de la Martiniquaise !

Je prends congé des braves gens qui m’entourent et je sors au bras de Bérurier.

— On se croirait à une noce, dit-il… Tu fais une jolie mariée, dommage que tu ne sois pas Charpini, l’illusion serait totale !

— Recommence pas à faire de l’esprit, gars… Je suis pas encore assez valide pour subir tes débordements…

* * *

C’est pour moi un spectacle d’un douceur infinie que de découvrir la môme Régine, un peu fripée, dans la bagnole de Béru, entre deux agents de police… En m’apercevant, elle a un grand cri muet… Ses yeux s’exorbitent. Et elle s’enfonce dans la banquette avec le secret désir de se confondre avec les ressorts.

— Bonjour, chère petite médéme ! je lui dis… C’est gentil à vous de nous avoir attendus !

Je fais signe aux poulardins qu’ils peuvent se tailler. Ils font le salut militaire à ce vieux rideau qui me voile et se trissent. Je m’installe aux côtés de la môme.

— Où allons-nous ? demande Bérurier, à la Grande Cabane ?

— Pas tout de suite, mon amour… Auparavant on va faire un petit tour chez moi, j’ai envie d’une douche et d’un costar potable, figure-toi… Et en avoir envie n’est rien. J’ajouterai même que j’en ai le plus impérieux besoin.

— C’est itou mon avis, décrète le Gros, lequel vient de réintégrer son optimisme comme un lapin regagne son terrier.

* * *

Il y a de la lumière dans la chambre de Félicie lorsque nous débarquons dans mon pavillon de Saint-Cloud. La pauvre chérie ne pionce presque jamais lorsque je ne suis pas là. Alors comme je m’y trouve rarement, elle somnole un peu en guise de sommeil. À son âge c’est normal… Vieillesse qui dort, d’après elle, étant comme jeunesse qui veille, bien près de la mort.

Pour veiller, elle veille la jeunesse cette noye !

On peut dire qu’elle fait du rabe de rabe…

— Amène la greluche ! je dis à Bérurier…

Comme je referme la lourde derrière eux, Félicie apparaît en haut de l’escadrin, dans sa chère vieille robe de chambre de pilou rouge… L’air très comme il faut, malgré l’heure tardive.

— Tu es en compagnie ? demande-t-elle.

Je donne la lumière. Elle pousse un cri en m’apercevant.

— Que t’est-il arrivé ?

— Je suis allé à une soirée costumée, M’man, c’est moi qui faisais le marchand de tapis qu’on a passé à tabac !

— Mais tu es tout contusionné ?

— Ça n’est rien… Va brancher le chauffe-eau et prépare du café fort…

— Monsieur Bérurier ! soupire-t-elle, à votre avis, est-ce une existence décente pour un garçon ?

Le Gros grimpe trois marches et fait un baisemain à Maman histoire de montrer qu’il a potassé à fond le guide des bonnes manières. Félicie qui n’est pas accoutumée à pareille civilité, et de ce fait croyait participer à un énergique shake-hand, lui colle le dos de la pogne dans le naze.

— Oh pardon ! s’exclame-t-elle.