— Y a pas de mal, assure Bérurier en se frottant le blair.
Maman s’informe, discrètement, en regardant Régine.
— Qui est mademoiselle ?
— Une enfant de putain, assure Bérurier, oubliant ses bonnes façons !
CHAPITRE XII
Vas-y, j’t’écoute !
Jamais interrogatoire ne s’est déroulé dans une ambiance plus familiale que celle-ci.
Lorsque j’ai achevé de prendre ma douche et de revêtir des fringues décentes, je radine au salon, comme font ces dames lorsqu’un miché vient se faire éponger. J’y trouve mon gros Bérurier vautré sur un sofa, le bada sur le nez, s’efforçant de parler de manière courtoise avec Félicie tandis que miss Régine-Faux-Derche est menottée après le tuyau de chauffage central suivant un système mis au point par tous les archers de la maison parapluie.
Félicie contemple tristement la déesse et je sais que son âme compatissante saigne. C’est pourquoi je lui conseille vivement de retourner se filer dans les toiles.
Au milieu de la table, il y a un plateau avec des tasses et une odorante cafetière.
— Buvons un jus, Gros, je conseille à Béru, on en a besoin…
Il déclare que c’est une excellente idée.
Je me sens un peu flagada, je dois le dire. La douche m’a à la fois revigoré et fauché les cannes. Je donnerais votre slip des dimanches contre une perturbation atmosphérique pour pouvoir en écraser un bon coup. Je sens qu’un sérieux dodo achèverait de me réparer. Mais l’homme propose et le boulot indispose ! C’est la vie ! La vie de ce que les bavards de réunions appellent les hommes de bonne volonté !
On les a toujours, les hommes, avec des définitions de ce genre. Pourvu qu’on les glorifie, ils mouillent et ils vont au casse-tronche en colonne par deux ! Les autres qui sont des petits marles le savent bien ! Alors vas-y l’homme de bonne volonté ! Et d’abord, dites-moi les mecs, la bonne volonté de quoi ? La volonté du renoncement, la volonté du sacrifice. La volonté de laisser passer devant ceux qu’ont des exigences et les moyens de les imposer ! La volonté d’être un clodo, un lavedu, un pauvre gnace ! Je jure de rester docile toute ma vie ! De me faire ratisser mon pauvre fric quand on me le réclamera sur papiers en Technicolor ! De ne pas rouscailler quand on m’enverra jouer à la torpille humaine contre d’autres hommes de bonne volonté qui ont un autre territoire ! Ça fait un moment que je les pratique, les hommes de bonne volonté ! Un sacré moment, oui, que je les vois s’entasser dans des autobus ou dans des wagons à bestiaux selon qu’ils sont civils ou mirlitaires ! Un moment que je les regarde faire la queue devant les perceptions et parfois les boulangeries… Frileux, peureux, chiasseux, humides, pleurant sans cesse, eux que voilà ! Poireautant devant une porte, toujours, pour attendre ils ne savent qui, ils ne savent quoi ! Un peu de pain ou d’amour, un peu d’oubli ou un enterrement…
Ah, puis chose ! C’est la fatigue qui me déprime…
Félicie, docile comme un troupeau de moutons, se casse après avoir fait la révérence à Bérurier… Ce dernier souffle sur sa tasse de café chaud en fredonnant de façon nasale, l’un de ses immortels succès : J’ai dans le cœur une petite horloge…
Il y a de la torpeur dans l’air. Quelque chose de las et de malsain… Quelque chose de pénible…
Je regarde la môme. Elle ne dit rien. Elle n’a pas le genre cavalière Elsa du tout ! C’est pas une dompteuse, c’est à la fois plus et moins… C’est… Oui, c’est une femme ! Et qui plus est encore : une femme abattue.
J’ai beau les mépriser un peu, les donzelles, je dois bien reconnaître qu’elles m’émeuvent toujours… Elles ont toutes le petit je-ne-sais quoi qui nous sèche la gorge. Un petit éclat doux dans le regard, une inflexion rauque de la voix, un air un peu penché et voilà que le remue-ménage commence dans notre intérieur. Il n’y pas plus salingues qu’elles et pourtant c’est avec leur pureté qu’elles nous séduisent. Même quand elles se déloquent avec une bonne volonté incroyable, même quand elles vous font le grand jeu au paddock, elles trouvent le moyen de vous émouvoir par leur blancheur Persil.
C’est ça le miracle… Et nous, les hommes, nous avec nos bonnes saloperies, nous cherchons obstinément le petit myosotis bleu…
— Donne-lui une tasse de jus, fais-je à Bérurier.
Il me regarde.
— C’est ta semaine de bonté ou quoi ?
— Ne t’occupe pas de ça…
En rechignant, il verse du café dans une tasse.
— Combien de sucres, princesse ? demande-t-il.
— Deux…
Il se marre.
— Je te jure, les potes nous verraient, ils ne voudraient pas le croire ! Cette bergère qui t’a embarqué dans un piège à loup et que tu dorlotes ! T’as l’âme sensible ou quoi ?
— Dis voir, Gros, je murmure, à quelle heure tu fermes ta grande gueule ? C’est à titre de renseignement que je te demande ça…
Il hausse les épaules.
— Je suis de garde cette nuit !
Avec des gestes presque maternels il fait boire le caoua à Régine. Moi j’avale le mien… Une tasse de jus, vous me direz que c’est pas grand-chose, mais ça prend une valeur de thérapeutique lorsqu’on la consomme au milieu de la nuit après de sérieux avatars.
Je m’essuie la bouche et je vais vérifier si Félicie a bien regagné sa chambre. Rassuré de ce côté, je lourde à clé et je m’avance vers la vamp.
— Écoute, môme, attaqué-je, tu dois comprendre que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures…
Cette entrée en matière peu originale est ponctuée par un ricanement méphistophélique de Bérurier dont le regard devient aussi crétin que celui d’un saint-bernard.
— … Au point où tu en es, poursuis-je, il ne te reste plus qu’une voie : celle des aveux. Je dois te dire que nous sommes rigoureusement décidés à te faire parler. Tes petits copains sont cannés, tu peux te dégonfler, ma fille… Ça soulage et ça renouera des relations courtoises entre nous…
Elle me regarde obstinément, sans ciller. Elle est un peu pâlotte, mais elle s’efforce au calme, à la dignité… Le fond, le fin fond de son œil me considère, m’étudie… Elle me demande si je suis le gros loup-garou qui est capable de molester une charmante poupée ou bien si je suis le brave naveton au cœur sensible que mon collègue vient de décrire.
Je m’applique à garder la frime inexpressive, ce qui est bigrement duraille lorsqu’on est un gars ardent, tumultueux, toujours prêt à faire le coup de poing ou le patin fignolé princesse.
— Je ne sais rien, dit-elle. J’étais l’amie de Staube, il vous suivait et vous a désigné à moi en me disant de vous vamper et de vous amener à l’appartement, rue de Verneuil !
« C’est ce que j’ai fait… Je ne savais pas pourquoi il agissait ainsi, je…
Elle s’arrête, histoire de vérifier si je mords à l’hameçon.
Je lui souris gentiment. Elle me sourit d’un petit air navré. Alors je lui file une tarte qui détroncherait un bœuf… Elle aura pas besoin de se coller du fond de teint sur le museau avant longtemps, du moins pas sur la joue gauche ! Des larmes jaillissent de ses yeux…
Elle est secouée de sanglots rentrés.
— Si tu veux m’émouvoir, lui dis-je, t’as intérêt à me jouer du Chopin… Tu sais, les larmes de grognace, ça fait un bout de temps qu’elles ne me touchent plus !
Régine commence à piger que je ne suis pas le bon pigeon à plumer qu’elle espérait.
— Mais, tente-t-elle de protester, je vous dis la vérité.
Elle a automatiquement droit à une autre baffe. Comme je suis gentil dans le fond et soucieux de la symétrie, je la lui télégraphie sur l’autre joue en priorité.