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— Ouais… Il a gardé la même chambre durant son séjour ici ?

— Oui…

— Puis-je y jeter un coup d’œil ?

Il a immédiatement un regard au tableau des clés.

— Oui, dit-il… Le 8 est de sortie… Je n’ai pas l’habitude de pénétrer chez mes clients en leur absence, mais étant donné votre qualité de policier…

Il décroche le 8.

— Si vous voulez me suivre ?…

Et comment que je veux…

Mon idée est idiote… Voilà treize ans qu’il est mort, Cazek… Que peut m’apprendre la chambre qu’il a occupée ? L’atmosphère elle-même a dû changer…

Un couloir aimable, tendu de gris souris (comme la Jouvence de l’abbé)… Des portes…

Le gnace aux trente ans de bidet ouvre le 8. J’entre. La pièce n’est pas grande et meublée en moderne…

— Ça a été refait, depuis que Cazek…

C’est ce que j’étais en train de penser…

Et moi aussi je suis refait !

Il ne reste plus rien… Rien… Rien… Je soupire…

Le gars me regarde. Il est triste… Il aurait au fond aimé me faire plaisir… On aime toujours faire plaisir à un poulet lorsqu’on tient un hôtel… Même si ledit hôtel est sélect comme celui-ci.

Je m’assieds sur le bord du lit et je regarde autour de moi.

— Dites, monsieur… heu…

— Jérôme, fait le gnace.

— Lorsque les réparations ont été effectuées ici, on n’aurait pas trouvé quelque chose, par hasard ?

— Quelque chose ?…

— Quelque chose de tout petit que Cazek aurait pu cacher quelque part : dans un trou de mur, dans un meuble ?

— Non, rien… Il y avait ses objets personnels. Je les ai déposés au commissariat… Une liste a été dressée…

— On n’a pas trouvé une balle ?

— Une balle !…

— De fusil ou de pistolet… Une balle, quoi, toute seule, c’est cela que je cherche…

— Oh ! non, rien de ce genre…

Je regarde Jérôme.

— Dites, vous avez passé des années dans l’hôtellerie, c’est un boulot qui vous rend psychologue… Vous avez porté un jugement sur Cazek… Quel genre d’homme était-ce ?

— Un homme sombre, un bourru… Un renfermé… Il était peu liant…

C’est un peu l’idée que je me faisais de cet homme, sans rien savoir de lui. Faut être un drôle de renfermé pour aller inventer des trucs pareils et pour les planquer comme il les a planqués…

— Écoutez-moi, Jérôme… Cazek, avant de mourir, a caché une balle assez spéciale… Il s’agit d’une chose redoutable que nous devons retrouver coûte que coûte. Un tas de gens sont morts à cause d’elle… Où pensez-vous qu’il ait pu la planquer ?

Il me regarde, réfléchit, hoche la tête…

— Je ne vois pas… On pouvait s’attendre à tout de sa part, je me demande même si ça tournait bien rond dans sa tête, comme on dit.

— Ah !…

— Tenez, un exemple pour vous montrer à quel point il était…

Là il se frappe la terrine de l’index.

— Un jour, il s’est flanqué un coup de rasoir dans la cuisse…

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Une histoire vraie, hélas ! La bonne le croyait sorti… Elle a ouvert la porte avec son passe. Eh bien, figurez-vous, Cazek était debout devant le lavabo, un rasoir rouge de sang à la main… Il avait une entaille dans le gras de la cuisse, qui saignait…

— Tentative de suicide ?

— Je ne pense pas. Un homme qui se tue au rasoir se tranche les veines… Surtout qu’il était savant, cet homme… Il devait savoir où se trouvent les principales artères ?

Je médite sur cette révélation. Bizarre, bizarre…

— Autre chose, poursuit l’hôtelier… Et qui prouve bien qu’il ne voulait pas se supprimer : il y avait un flacon d’éther sur la tablette, de la gaze, tout ce qu’il fallait pour faire un pansement… Vous voyez ça d’ici ?

Je vois. Et je vois même très bien ! C’est Jérôme qui ne me voit plus, car je prends les jambes à mon cou…

Pas une seconde à perdre… Pas un poil de zob de minute ! Le temps c’est de l’argent ! Que dis-je ? De l’or… Et même de l’acide !

CHAPITRE XIX

La blanquette de veau (suite)

— C’est toi, M’man ?

Quand une habitude est prise, surtout si elle est cloche, y a pas mèche de s’en débarrasser…

Et M’man de s’écrier :

— Tu ne rentres pas pour dîner ?

— Écoute, M’man… Vaiment c’est une chose très importante… Je ne peux pas la remettre… Je… je rentrerai dans la nuit. Au lieu de dîner je souperai… Tu sais bien que…

— Plus c’est réchauffé, meilleur c’est, termine Félicie.

— Tu ne m’en veux pas ?

— Mais non… Prends bien garde à toi…

— N’aie aucune inquiétude, il n’y a pas de danger là où je vais.

Parole, je ne lui dis pas ça pour la rassurer. Non, il n’y a pas de danger… Un mort n’a jamais fait de mal à personne… D’une façon générale car Cazek, lui, a réussi à buter six personnes depuis l’autre monde !

Mais je ne pense pas qu’il me cherche du suif à moi… Non, je ne pense pas…

La nuit est proche. Bérurier et Pinaud sont là, attendant que j’aie téléphoné. Je raccroche et me tourne vers eux.

— Il est l’heure, les gars…

Nous voilà en route pour le Père-Lachaise…

— Tu crois que ?… commence Bérurier.

— Je ne crois pas, j’espère… J’espère fermement, avec confiance. C’est la seule explication. L’ultime… Cazek était un gars farouche, renfermé, méfiant… Il n’a pas laissé sa balle à qui que ce soit. La garder sur lui était trop risqué… Mais la garder « en » lui ! Ça, oui, c’était une sacrée idée !

« Il s’est entaillé la cuisse au rasoir… Il a courageusement enfoncé la balle dans la blessure après avoir bien désinfecté le tout à l’éther… Il a refermé les lèvres de la blessure, s’est fait un pansement soigné et a attendu que la plaie se cicatrise…

« Vous pigez ?

— Il avait un drôle de cran, assure Bérurier…

— Notez, fait Pinaud, les entailles au rasoir ne sont pas douloureuses. Moi je me souviens, lorsque j’ai eu mon gros furoncle…

On le fait taire précipitamment avant qu’il ne nous déballe les humeurs froides de ses ancêtres.

Je conclus.

— Voilà pourquoi il léguait son corps à la faculté de Varsovie… C’était bête comme chou. J’aurais dû piger tout de suite…

Heureusement que j’ai découvert le pot aux roses avant car demain, l’ambassade de Pologne fait enlever le corps… Sur mes indications, ô ironie !

* * *

Nous arrivons au Père-Lachaise. Le Vieux a donné toutes les instructions nécessaires car un gardien nous attend. Il nous guide à travers les allées funéraires que la nuit rend cauchemardesques… (Je viens de m’acheter une boîte de superlatifs !)

Nous arrivons alors à une humble tombe couverte d’herbes, dans un coin du cimetière. Une croix porte cette indication :

FRÉDÉRIK CAZEK
1887–1942

Deux terrassiers sont là, en train de saucissonner en nous attendant. Ils se filent de grands coups de pichetegorne pour faire passer le pain…

À notre approche ils avalent l’un et l’autre une formidable bouchée. Puis ils remisent leur tortore et se crachent dans les paluches avant d’empoigner leurs outils…