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Un coup de canon venu de la mer vint lui couper la respiration, pendant qu’il était là à méditer. Une minute plus tard, un second coup envoya une autre vague de bruit sourd parmi les rochers et les collines de la presqu’île. Le silence qui suivit fut si profond qu’il sembla pénétrer jusque dans l’intérieur de la tête de Peyrol et engourdir un moment toutes ses pensées. Mais il avait commencé de se traîner jusqu’au rivage. Le navire appelait son homme.

En fait, ces deux coups de canon avaient bien été tirés par l’Amelia. Après avoir doublé le cap Esterel, le capitaine Vincent vint mouiller court [92] devant la plage, exactement comme Peyrol l’avait supposé. Entre six et neuf heures environ l’Amelia resta là avec ses voiles larguées sur les cargues [93]. Juste avant le lever de la lune le commandant monta sur le pont et après un court entretien avec son premier lieutenant donna l’ordre à l’officier de manœuvre d’appareiller et de remettre le cap sur la Petite Passe. Il descendit alors et on fit aussitôt passer l’ordre que le capitaine demandait M. Bolt. Quand le lieutenant parut à la porte de sa cabine, le capitaine Vincent lui fit signe de s’asseoir.

«Je crois que je n’aurais pas dû vous écouter, dit-il. Pourtant, l’idée était séduisante, mais ce que d’autres en penseraient, je me le demande. La perte de notre homme est le pire de l’affaire. J’ai idée que nous pourrions le rattraper. Peut-être a-t-il été pris par des paysans, ou a-t-il eu un accident. Il est intolérable de l’imaginer affalé au pied d’un rocher avec une jambe cassée. J’ai donné l’ordre d’armer les canots numéros 1 et 2 et je me propose de vous en confier le commandement, pour entrer dans la crique, et s’il le faut, vous avancer un peu dans l’intérieur pour faire des recherches. À ma connaissance, il n’y a jamais eu de troupes sur cette presqu’île. La première chose que vous ferez, c’est d’examiner la côte.»

Il lui parla encore un moment, lui donnant des instructions plus détaillées, puis il monta sur le pont. L’Amelia avec ses deux canots à la remorque, au long du bord, s’avança à mi-chemin de la Passe et les deux canots reçurent, alors, l’ordre de continuer. Juste avant qu’ils ne débordassent [94], on tira deux coups de canon très rapprochés.

«Comme cela, Bolt», expliqua le capitaine Vincent, «Symons devinera que nous sommes à sa recherche et s’il se cache quelque part près du rivage, il ne manquera pas de descendre à un endroit où vous pourrez le voir.»

XIII

On sait quelle force motrice possède une idée fixe. Dans le cas de Scevola, elle fut assez puissante pour le précipiter jusqu’au bas de la pente et le priver momentanément de toute prudence. Il s’élança parmi les rochers en se servant du manche de la fourche comme appui. Il ne prit point garde à la nature du terrain jusqu’à ce qu’ayant buté, il se trouvât étalé de tout son long, face contre terre, cependant que la fourche le précédait bruyamment avant d’être arrêtée par un buisson. Cette circonstance évita au prisonnier de Peyrol d’être pris à l’improviste. Après être sorti de la petite cabine, simplement parce qu’une fois revenu à lui, il s’était aperçu que la porte était ouverte, Symons s’était trouvé bien ranimé par toute l’eau froide qu’il avait bue et par son petit somme en plein air. Il se sentait de plus en plus maître de ses mouvements et la maîtrise de ses pensées lui revenait aussi assez rapidement.

L’avantage de posséder un crâne fort épais devint évident lorsque, s’étant traîné hors de la cabine, il put reconnaître où il était. Son premier mouvement fut ensuite de regarder la lune pour évaluer à peu près le passage du temps. Après quoi il manifesta une immense surprise de se trouver seul à bord de la tartane. Assis, les jambes pendantes au-dessus de la cale ouverte, il essaya de deviner comment il se pouvait que la cabine fût restée sans verrou ni surveillance.

Il continuait à réfléchir à cette situation inattendue. Que pouvait bien être devenu ce scélérat à cheveux blancs? Se dissimulait-il quelque part en attendant une occasion de lui assener un autre coup sur la tête? Symons se sentit tout à coup très exposé, assis sur le pont arrière dans la pleine lumière de la lune. L’instinct plutôt que la raison lui suggéra de descendre dans la cale obscure. Ce but parut d’abord une énorme entreprise, mais une fois qu’il s’y mit il l’accomplit avec la plus grande facilité sans pouvoir éviter toutefois de faire tomber un bout d’espar qui était resté appuyé contre le pont. L’objet le précéda dans la cale avec un bruit retentissant qui donna des palpitations au pauvre Symons. Il s’assit sur la carlingue de la tartane et haleta, mais au bout d’un moment, il réfléchit que tout cela n’avait pas grande importance. Il lui semblait que sa tête était énorme: son cou lui faisait très mal et il se sentait une épaule assurément ankylosée. Il ne pourrait jamais tenir tête à ce vieux gredin. Mais qu’était-il devenu? Ah! oui, il était allé chercher les soldats! Parvenu à cette conclusion, Symons se sentit plus calme. Il essaya de se rappeler ce qui était arrivé. Lorsqu’il avait vu pour la dernière fois le vieux bonhomme, il faisait jour et maintenant – Symons regarda de nouveau la lune – il devait être près de trois heures du premier quart [95]. Sans doute ce vieux gredin était-il allé au cabaret boire avec les soldats. Ils ne tarderaient pas à arriver. L’idée de se voir prisonnier de guerre lui faisait un peu tourner le cœur. Son navire lui parût tout à coup paré d’un nombre extraordinaire d’agréments, y compris le capitaine Vincent et le premier lieutenant. Il aurait même été heureux de serrer la main du caporal, un fusilier marin hargneux et méchant qui faisait fonction de capitaine d’armes [96] à bord. «Je me demande où est le navire, maintenant», pensa-t-il tristement, en sentant son dégoût de la captivité s’accroître à mesure que les forces lui revenaient.

C’est alors qu’il entendit le bruit de la chute de Scevola. Cela lui sembla assez rapproché; mais ensuite il n’entendit ni voix, ni bruits de pas annonçant l’approche d’un peloton. Si c’était le vieux gredin qui revenait, alors il revenait seul. Aussitôt Symons se dirigea à quatre pattes vers l’avant de la tartane. Il avait l’idée qu’une fois caché sous le pont avant il serait en meilleure posture pour parlementer avec l’ennemi et que, peut-être, il trouverait là un anspect [97] ou quelque bout de fer pour se défendre. Au moment même où il venait de s’installer dans sa cachette, Scevola mettait le pied sur le pont arrière.

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[92] En anglais: dropped an anchor under foot. L’intention est de s’amarrer momentanément, sur une seule ancre et de façon précaire.

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[93] Les cargues sont les cordages servant à retrousser les voiles sur elles-mêmes.

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[94] Déborder: s’éloigner du flanc du navire.

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[95] Le texte dit near six bells in the first watch («près de six coups de cloche du premier quart»); à bord d’un navire, on sonne l’heure en frappant la cloche avec son battant d’autant de coups qu’il s’est écoulé de demi-heures depuis le début du quart (période de service pour une équipe).

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[96] Dans la marine de guerre, sous-officier chargé particulièrement de faire exécuter les ordres relatifs à la police du bord et de veiller sur les armes portatives.

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[97] Levier en bois de chêne dont l’extrémité peut être garnie d’une armature de fer.