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«Voilà une agréable nouvelle, mademoiselle Catherine, dit-il. Vous êtes descendue de bien bonne heure!

– Oui, dit-elle, mais vous aussi, Peyrol. Michel est-il là? Dites-lui de venir aussi prendre du café.

– Michel est à la tartane. Vous ne savez peut-être pas qu’elle va faire un petit voyage.» Il avala une gorgée de café et mangea un morceau de sa tranche de pain. Il avait faim. Il était resté debout toute la nuit et avait même eu une conversation avec le citoyen Scevola. Il avait aussi travaillé dès l’aube avec Michel; à vrai dire il n’y avait pas eu grand-chose à faire, car la tartane était toujours maintenue en état de prendre la mer. Aussi, après avoir remis sous clé le citoyen Scevola, fort inquiet de ce qui allait advenir de lui, mais qu’il laissa dans l’incertitude, Peyrol était-il revenu à la ferme; il était monté à sa chambre, y était resté un moment à s’occuper de choses et d’autres, puis, redescendant furtivement, était allé au puits, auprès duquel Catherine, levée plus tôt qu’il ne pensait, l’avait aperçu avant d’entrer dans la chambre du lieutenant Réal. Tout en prenant son café, il écouta, sans manifester la moindre surprise, Catherine commenter la disparition de Scevola. Elle était allée regarder dans son galetas. Il n’y avait pas dormi cette nuit-là, elle en était sûre, et on ne l’apercevait nulle part, de tous les points d’observation aux alentours de la ferme, pas même dans le champ le plus éloigné. Il était inconcevable qu’il eût été jusqu’à Madrague où il détestait aller, ni jusqu’au village où il avait peur de se montrer. Peyrol déclara qu’en admettant qu’il lui fût arrivé quelque chose, ce ne serait pas, en tout cas, une grande perte; mais Catherine n’en parut pas tranquillisée.

«Cela vous effraie, dit-elle. Il est peut-être allé se cacher quelque part pour vous sauter dessus traîtreusement. Vous savez ce que je veux dire, Peyrol?

– Ma foi, le lieutenant n’aura plus rien à craindre, puisqu’il s’en va. Quant à moi, Scevola et moi, nous sommes très bons amis. J’ai eu une longue conversation avec lui, il n’y a pas longtemps du tout. Vous pouvez très bien, toutes les deux, vous arranger avec lui; et puis, qui sait, peut-être qu’il est parti pour de bon.»

Catherine le regarda avec effarement, si l’on peut appliquer ce mot à un regard de profonde contemplation. «Le lieutenant n’a rien à craindre de lui?» répéta-t-elle avec hésitation.

«Non, il s’en va. Vous ne le saviez pas?» La vieille femme continuait à le regarder attentivement. «Oui, en service commandé.»

Catherine resta encore une minute ou deux silencieuse, dans la même attitude contemplative. Puis elle triompha de son hésitation. Elle ne put résister au désir de mettre Peyrol au courant des événements de la nuit. Pendant ce récit Peyrol en oublia son bol de café à moitié plein et sa tranche de pain entamée. La voix égale de Catherine parlait avec austérité. Elle était debout, imposante et solennelle, comme une prêtresse paysanne. Il ne lui fallut pas grand temps pour raconter cette aventure dont son âme avait été toute secouée et elle termina par ces mots: «Le lieutenant est un honnête homme.» Et au bout d’un moment elle insista encore: «On ne peut pas le nier. Il a agi en honnête homme.»

Peyrol continua un moment à regarder le café au fond de son bol, puis, brusquement, se leva avec une telle violence que la chaise se renversa derrière lui sur le dallage:

«Où est-il, cet honnête homme?» cria-t-il soudain d’une voix de stentor, qui non seulement fit lever les bras à Catherine mais l’effraya lui-même; et il reprit sur-le-champ un ton simplement résolu: «Où est-il, cet homme? J’ai besoin de le voir.»

Le calme hiératique de Catherine en fut même perturbé.

«Eh bien», dit-elle, d’un air vraiment déconcerté, «il va descendre tout de suite. Voilà son bol de café.»

Peyrol allait sortir de la cuisine, quand Catherine l’arrêta. «Au nom du ciel, monsieur Peyrol», dit-elle, d’un ton à la fois de prière et de commandement, «ne réveillez pas la petite! Laissez-la dormir. Oh! laissez-la dormir! Ne la réveillez pas. Dieu sait depuis combien de temps elle n’a pas dormi convenablement. Je ne peux pas vous le dire. Je n’ose pas y penser.» Elle fut interloquée d’entendre Peyrol déclarer: «Tout cela est parfaitement absurde.» Mais il se rassit, sembla tout à coup apercevoir le bol de café et vida ce qui y restait.

«Je ne veux pas l’avoir sur les bras, plus folle qu’elle n’était», fit Catherine avec une sorte d’exaspération, mais en baissant pourtant la voix. Sous sa forme égoïste, cette phrase exprimait une réelle et profonde compassion pour sa nièce. Elle appréhendait le moment où cette fatale Arlette s’éveillerait et où il faudrait reprendre le fil des terribles complications de la vie que son sommeil avait un moment suspendues. Peyrol s’agita sur son siège.

«Ainsi, il vous a dit qu’il partait? Il vous l’a vraiment dit? demanda-t-il.

– Il a promis de partir avant que l’enfant ne s’éveille… immédiatement.

– Mais, sacré nom d’un chien, il n’y a jamais de vent avant onze heures», s’écria Peyrol d’un air profondément irrité, tout en s’efforçant de maîtriser sa voix, tandis que Catherine, indulgente à ses changements d’humeur, se contentait de serrer les lèvres et de hocher la tête pour le calmer. «C’est impossible de faire quoi que ce soit avec des gens comme cela, marmotta-t-il.

– Est-ce que vous savez, monsieur Peyrol, qu’elle est allée voir le curé?» dit tout à coup Catherine, dressée au-dessus de son bout de la table. Les deux femmes avaient eu une longue conversation avant que la tante pût décider Arlette à se coucher. Peyrol fit un geste de surprise.

«Quoi? Quel curé?… Dites-moi, Catherine», continua-t-il avec une fureur rentrée, «est-ce que vous vous imaginez que tout cela m’intéresse le moins du monde?

– Je ne peux penser à rien d’autre qu’à ma nièce. Chacune de nous n’a que l’autre au monde», continua-t-elle en employant les mots mêmes dont Arlette s’était servie en parlant à Réal. Elle avait l’air de penser tout haut, mais elle remarqua que Peyrol l’écoutait avec attention. «Il avait l’intention de la séparer de nous tous», et la vieille femme joignit ses mains maigres d’un geste brusque. «Je suppose qu’il y a encore des couvents dans le monde.

– La patronne et vous, vous êtes folles toutes les deux, déclara Peyrol. Tout cela montre quel âne est ce curé. Je ne m’y connais pas beaucoup dans ces choses-là, quoique j’aie vu des nonnes dans mon temps et même d’assez étranges, mais il me semble qu’on ne prend généralement pas des fous dans les couvents. N’ayez crainte. C’est moi qui vous le dis.» Il se tut, car la porte du fond venait de s’ouvrir et le lieutenant Réal entra. Son épée était pendue à son avant-bras par le ceinturon, il avait son chapeau sur la tête. Il laissa tomber à terre sa petite valise et il s’assit sur la chaise la plus proche pour chausser les souliers qu’il tenait dans l’autre main. Puis il s’approcha de la table. Peyrol, qui n’avait cessé de le regarder, pensait: «En voilà un qui a l’air d’un papillon qui s’est brûlé les ailes.» Réal avait les yeux caves, les joues creuses et toute la figure avait un aspect aride et desséché.

«Eh bien, vous êtes dans un joli état pour entreprendre de tromper l’ennemi, remarqua Peyrol. Ma foi! rien qu’à vous regarder, personne ne croirait un mot de ce que vous pourriez dire. Vous n’allez pas tomber malade, j’espère. Vous êtes en service commandé. Vous n’avez pas le droit d’être malade. Dites donc, mademoiselle Catherine, sortez-moi la bouteille – vous savez, ma bouteille personnelle…» Il arracha la bouteille des mains de Catherine, versa du cognac dans le café du lieutenant, poussa le bol vers lui et attendit. «Nom de nom» fit-il avec force, «vous ne savez pas pourquoi c’est faire? C’est fait pour boire.» Réal obéit avec une docilité étrange, automatique. «Et maintenant», dit Peyrol en se levant, «je monte chez moi me raser. C’est un grand jour, le jour où nous allons assister au départ du lieutenant.»