Выбрать главу

— Avec les boîtes de conserve et les couvrantes dans les poches peut-être ? Quand je pense que le notable de Salerne voulait nous faire emporter des cercueils pour sa gentille clientèle d’électeurs… Comme si c’était un cadeau personnel alors que le gouvernement les fournit gratuitement.

13

Ils virent l’appareil qui passait sur leur gauche alors qu’ils atteignaient le col. Stefan, comme par hasard, possédait des jumelles et il put suivre l’évolution de l’hélicoptère qui passa derrière une colline et atterrit. Du moins ils le supposèrent puisqu’ils n’entendirent plus le rotor.

— Ce n’est pas un militaire, dit-il, il portait des marques que je ne connais pas.

— Quelqu’un a pu louer un appareil pour profiter de cette éclaircie, dit la Mamma.

Enfin ils avaient atteint l’adret et progressaient sous un soleil assez chaud qui amollissait la neige et leur permettait d’aller plus vite. Ils n’avaient pas découvert le village de Dioni, mais supposaient qu’il se trouvait au-delà d’un contrefort en forme de falaise.

— Les Apennins sont comme une colonne vertébrale, dit soudain Stefan…

Il se mit à rire avec Olga et la Mamma comprit qu’il venait d’évoquer une réminiscence scolaire. La petite route bordait un précipice assez impressionnant et la Mamma, sujette au vertige, essayait au maximum de rouler à gauche. Ils ne s’étaient arrêtés que parce que la Volvo chauffait un peu par manque d’eau. Il avait fallu faire fondre de la neige pour refaire le plein du radiateur.

Les deux voitures approchaient de la fameuse falaise lorsque l’hélicoptère réapparut dans le ciel bleu et s’éloigna, en direction de Naples pensa la Mamma. Pourquoi un séjour si bref ? La nuit ne serait là que d’ici une heure, le temps s’éclaircissait. Que venait faire cet appareil en un tel endroit ?

Et puis elle découvrit Dioni et resta muette de surprise. Le village s’étirait sur une roche en forme de proue, surplombait le vide. Des maisons s’accrochaient à la roche, paraissaient nées de la roche. Elle descendit de voiture pour mieux voir et les deux Allemands la rejoignirent.

— Fantastique, dit la fille… Je n’imaginais pas que cela pouvait être ainsi. Les maisons sont dorées par le soleil.

— La grosse construction sur la droite, c’est le monastère… Il y a des jardins qui forment des sortes de grandes marches jusqu’au vide sur la vallée.

— Le terrain d’aviation doit être derrière, dit la Mamma, sur le plateau, mais vers le nord.

Stefan orienta ses jumelles dans la direction indiquée et jura en allemand. Il passa ses jumelles à Olga qui poussa elle aussi une exclamation. La Mamma essayait bien de jouer l’indifférente mais elle était dévorée de curiosité.

— Regardez, juste derrière ce pin qui penche drôlement.

La Mamma dut régler la lunette et vit une manche à air qui flottait dans le léger vent du nord. Une manche à air qui paraissait neuve, d’où la surprise exprimée par les deux jeunes Allemands.

— C’est curieux, dit-elle… Cette manche à air n’a pas été installée depuis le tremblement de terre… Mais pourquoi était-elle en place sur un terrain qui ne devait jamais servir, d’après les renseignements que nous avons ?

— Aujourd’hui il est très praticable pour les secours. Le gouvernement a réquisitionné les petits appareils de tourisme. Ils pourraient apporter des couvertures, du ravitaillement… S’ils l’ont fait notre voyage devient inutile.

La Mamma resta impassible. Pensait-il lui faire croire vraiment qu’il n’était venu que dans un but humanitaire ? La vue de cette manche à air l’avait troublé plus que de raison.

— Il y a autre chose, dit Olga… Je crois que la ligne téléphonique existe toujours…

— On se demande même si le village a souffert. Les maisons au bord du vide sont intactes en apparence.

— En apparence, dit la Mamma… Mais il est possible que derrière les façades il n’y ait plus rien. Et d’ici on a une impression encore imprécise. Dès que nous approcherons nous verrons mieux les dégâts.

Dès le tournant suivant ils découvrirent d’ailleurs un hameau de trois ou quatre maisons, peut-être plus, complètement éboulées. Il devait dominer la vallée comme un fortin avancé et ses vieilles pierres, son liant ancien fait de chaux et de terre, avaient coulé dans la vallée, imprégnant la végétation maigre de cette zone d’une longue traînée de couleur ocre. La pluie, la neige avaient achevé de faire disparaître les arêtes vives des ruines, avaient tout amolli, modelé comme le ferait un pouce de gosse sur des constructions en pâte à modeler.

La Mamma s’approcha des ruines le cœur battant et crut voir une forme sous une poutre mais ce n’était qu’un châle de femme. Y avait-il encore des cadavres, des gens emprisonnés sous les décombres ?

— Je ne pense pas qu’on trouvera quelqu’un, dit Stefan… Il était peut-être abandonné depuis longtemps…

Mais ce châle intriguait la Mamma qui enjamba des pierres, des débris de charpente pour le récupérer. Il était gluant d’humidité, paraissait pourri. Les deux Allemands essayaient de passer ailleurs, elle entendait leurs voix en contrebas. Non il ne devait y avoir personne.

Qu’allaient-ils trouver là-haut ? Elle pensait à la vieille Lancia de la jeune femme, ne se rendait pas exactement compte de quel modèle il s’agissait exactement. Elle aurait dû se renseigner avant de quitter Rome mais tout avait été si précipité.

Elle se retourna vers sa voiture, alluma un cigarillo et fixa le vieux village. Il ne restait que quelques kilomètres et la route paraissait dégagée. Peut-être quelques éboulements mais ils parviendraient à passer.

— Les fils continuent dans la vallée et ils paraissent intacts. Je suis sûr que l’on peut téléphoner depuis Dioni pour appeler au secours, dit le jeune Allemand.

C’était donc ça qu’ils étaient allés vérifier en descendant la pente. Elle qui croyait qu’ils examinaient les ruines emportées jusque dans le ravin. Et ils voulaient lui faire croire qu’ils étaient des sauveteurs bénévoles ?

— Il faut continuer.

— Bien sûr, dit la Mamma…

— C’est bien ici que vous vouliez venir ? demanda Stefan d’une drôle de voix.

La Mamma tira lentement sur son cigarillo et expulsa la fumée en petits nuages serrés.

— Oui, c’est bien ici que je voulais venir…

— Vous avez quelqu’un qui habite Dioni ?

Ils n’attendaient plus d’être sur place. Pourtant ils savaient ce qu’elle venait faire. Pourquoi lui poser des questions dans ce cas ?

— Je suppose que quelqu’un se trouvait ici le dimanche soir… Je n’en suis pas absolument sûre. Elle peut aussi bien se trouver ailleurs dans sa voiture écrasée sous des décombres. Il faudrait vérifier des kilomètres de routes pour être sûre.

14

Paulo di Maglio travaillait dans une entreprise de transports dont les entrepôts et les bureaux se trouvaient dans la banlieue nord. C’était une très grosse société dont les camions et les wagons roulaient de jour et de nuit dans toute l’Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Le programmeur avait très bien fait les choses. Il avait commencé par demander à travailler de nuit durant une certaine période, expliquant que son travail syndical en cette fin d’année le forçait à choisir cette solution pour quelques semaines.

Il obtint satisfaction. Pour introduire la jeune femme dans l’enceinte grillagée et surveillée par des vigiles et des chiens policiers ce fut un peu plus compliqué. Mais il avait présenté Macha comme préparant une thèse sur les transports italiens et sa présence dans les bureaux ne soulevait plus de curiosité, même la nuit. L’activité administrative était réduite des deux tiers mais une étudiante pouvait faire son profit du tiers restant.