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— Je serai là-bas, dit-elle.

Elle profita de cette heure-là pour étudier les derniers télex de Washington mais ils ne concernaient pas leur enquête. Margot envoyait les nouvelles politiques, les derniers ragots sur l’équipe Reagan. Seul Holden serait capable de voir s’il pouvait en tirer un parti quelconque.

Lorsqu’elle arriva au siège du syndicat des agences de voyages elle trouva plusieurs personnages en pleine effervescence. Exactement deux hommes, le secrétaire général Franceschetti, le secrétaire Canessa chargé des relations avec les USA précisément, et la secrétaire réceptionniste qui lui avait répondu au téléphone.

— Signora, très honorés.

On lui baisa la main et l’hôtesse fit presque une révérence. On avait préparé les dossiers et elle les consulta après quelques mots sans importance. Elle manquait de matière pour entrer dans le vif de la conversation, ne voulait pas aborder tout de suite le sujet de la V.E.C.

Dans le dossier elle releva quelques noms d’agences et commença à demander des explications sur elles. On les lui fournit avec empressement et inquiétude. Tout était net, tout était parfait. Il n’y avait pas d’embrouilles. Ils répondaient de l’honnêteté des opérations.

— Nous avons eu dernièrement des plaintes d’hôteliers, de transporteurs, de loueurs de voitures, disait-elle un peu au hasard… Nous voulons entendre les deux parties, vous comprenez ?

— Mais bien sûr, signora, bien sûr… Il peut toujours y avoir des brebis galeuses…

Il n’y avait, dans le dossier, rien sur le V.E.C. et il lui était difficile d’aborder le sujet sans savoir si elle ne commettrait pas d’impairs.

— Je dois vous dire que certaines agences qui n’englobent pas notre pays dans leurs programmes sont également dans notre objectif…

Ils ouvraient de grands yeux, ne comprenaient pas.

— Il fut une époque où l’Immigration tenait en suspicion les organisateurs de séjours en Russie ou dans les pays de l’Est, mais évidemment désormais tout cela a pratiquement disparu… À quelques exceptions près évidemment… Le Sénat a eu des informations comme quoi sous couvert de tourisme certains pays de l’Amérique du Sud recevaient des devises suspectes… Il y a parmi vous des gens sans scrupule qui utilisent ce système pour se livrer à des actions politiques que nous ne pouvons tolérer bien entendu…

— Nous comprenons, dit Franceschetti le secrétaire général du syndicat. Nous nous doutons de ces choses-là mais n’avons jamais eu la preuve matérielle de…

Edwige commençait d’être amusée en même temps qu’un peu écœurée. Ce type-là savait à quoi s’en tenir. Il n’était pas à la tête de cette association professionnelle pour rien.

— Par exemple, dit-elle, il y a une petite société, la V.E.C., vous connaissez ? Nouveaux échanges de regards consternés.

— Oui, bien sûr, mais…

Inquiets certainement. Plus qu’inquiets même, effrayés. Il y avait donc de gros risques à parler de cette agence de voyages.

— Nous savons qu’elle travaille avec certains pays d’Amérique du Sud comme elle a travaillé autrefois avec l’Espagne, la Grèce, le Portugal… Ses choix ne nous paraissaient pas suspects encore qu’ils ne concernent que des pays dont les régimes peuvent être taxés de musclés, n’est-ce pas ?

— Nous pouvons même dire autoritaires, ajouta Canessa.

— Ce sont des dictatures ou d’anciennes dictatures sanglantes, dit Edwige d’un ton tranchant qui la surprenait elle-même. L’activité de cette société nous dérange assez… Évidemment tout ce qui se dit ici doit rester confidentiel.

— Oh ! bien sûr !

Ils s’entre-regardèrent tous les trois avec des mines farouches, prêts à jurer n’importe quoi.

— Vous avez des renseignements sur la V.E.C., je voudrais vérifier s’ils correspondent à ce que je sais déjà.

— Mais bien sûr, dit la jeune femme, je cours chercher son dossier.

Durant son absence un silence un peu gêné s’instaura et Franceschetti demanda si elle avait vraiment tout en mémoire.

— Oui, dit-elle… L’habitude.

La jeune femme, Aida, revint en courant avec une chemise de carton et Edwige put l’examiner d’un air pénétré. Elle hochait la tête de temps en temps comme si ce qu’elle lisait correspondait à ce qu’elle savait. La V.E.C. faisait un chiffre d’affaires de deux milliards de lires, ce qui la classait dans le bas de l’échelle.

— Vous savez, dit Franceschetti, il ne faut pas trop vous attacher à ce chiffre, l’évasion fiscale dans notre pays n’est pas une invention de technocrate… Je ne le dirais pas à un fonctionnaire italien, bien sûr… Mais certains services sont payés de la main à la main sans laisser de trace… Vous pouvez multiplier ce chiffre par deux ou même trois…

— Certains charters partent de pays voisins, la Suisse, la Yougoslavie et il est difficile de comptabiliser ces opérations…

Enfin elle découvrit le nom de la banque qui servait de garantie à l’agence V.E.C.

— Credito Mobilo di Napoli, dit-elle à voix haute… Ce n’est pas une très grande banque, n’est-ce pas ?

— Non, signora, pas bien grande en effet… Juste une succursale à Rome… Le siège bien sûr est à Naples… Une ancienne affaire de famille mais il y a certainement, derrière, un groupe plus puissant. Le Cremodina prête pour l’achat de voitures, d’électroménager, de meubles et puis depuis quelques années pour les vacances à crédit… Ça a commencé pour les familles de travailleurs émigrés en Allemagne par exemple… Leur famille, femme, mère, versait chaque mois une somme à la Cremodina et touchait un intérêt… Au bout d’un an elles avaient la somme nécessaire au voyage… Une très bonne combinaison pour tout le monde et surtout pour la banque de Naples. Mais elle a dû avoir besoin de capitaux…

— Quel groupe garantit son découvert ?

— Nous l’ignorons, signora, dit Franceschetti d’un ton trop sûr pour que ce soit vrai.

Il était possible que ce soit la même banque qui garantisse la plupart de ces agences, pensa Edwige, et le secrétaire général du syndicat ne jugeait pas prudent, d’un point de vue affaires, de donner cette précision.

— Nous le saurons vite, déclara Edwige. Nous avons des renseignements bancaires quand nous le désirons…

— Que reprochez-vous à cette agence V.E.C. ? demanda timidement le signor Canessa.

— Eh bien, d’abord de mélanger un peu trop politique et tourisme, bien sûr. Il y a des gens qui vont en Argentine, au Brésil, à Haïti pour des raisons mystérieuses… Nous sommes un peu le gendarme de cette région-là.

— Mais, fit remarquer Canessa toujours aussi poli, je ne crois pas que la V.E.C. exporte des éléments opposés aux gouvernements en place ?

— Oui, dit Edwige, mais le Sénat voudrait bien savoir ce que ces éléments, comme vous dites, vont faire dans ces pays-là, quel enseignement, quelles instructions ils rapportent ensuite ici ?

Elle estima qu’elle s’engageait un peu trop sur des terrains mouvants mais il lui était difficile de tenir un autre discours.

23

La vieillesse lui donnait un avantage sur ces jeunes Allemands, car elle n’avait besoin que de quelques heures de sommeil et même lorsqu’elle se couchait fatiguée, comme ce fut le cas le soir de son arrivée à Dioni, elle se réveillait très tôt. Vers cinq heures du matin elle quitta son sac de couchage pour sortir.

Il faisait très froid et elle reçut au visage de minuscules flocons de neige. Deux femmes ranimaient déjà le feu le plus proche, avaient préparé du café. Les hommes étaient allés chercher du bois de charpente dans le village.