— Pour le moment, oui.
Elle réussit à éviter d’avoir à donner d’autres précisions, mais di Maglio dut ruminer toute la journée car le soir même, au petit bistrot où elle le rejoignit, il lui fit un accueil assez froid.
— Il est possible, dit Macha, que nous ne soyons pas forcés à une vérification fastidieuse si de mon côté à la S.W.I.F.T. j’effectue quelques vérifications. Dès aujourd’hui j’ai commencé, d’ailleurs.
— Tu prends des risques.
— Pas tellement. De plus je vais passer tout de suite, ce soir même, à une phase que nous avions gardée pour la fin. Au lieu de progresser de façon logique, en obtenant le montant exact des sommes du terrorisme, nous allons essayer d’obtenir quelles banques reçoivent ces sommes. Nous opérerons à rebrousse-poil si tu préfères. Les banques, puis les conditions spéciales de ces transferts, les camouflages, et enfin la somme.
— Tu as l’air de vouloir en terminer vite.
— C’est exact, dit-elle.
— À cause d’Umberto Abdone ?
— À cause de lui bien sûr mais aussi parce que je crains que nous n’attirions l’attention, même s’il s’abstient de nous dénoncer.
— Tu sembles vraiment penser qu’il ne représente plus un grand danger pour nous.
Macha respira à fond. Elle avait décidé de ne rien cacher de ses relations avec Umberto Abdone.
— C’est vrai, dit-elle. Il est déjà venu deux fois chez moi entre midi et deux heures et nous avons fait l’amour… C’était tout ce qu’il demandait.
Paulo di Maglio ne parut pas réaliser tout de suite ou alors réussit à encaisser le coup mais cela ne dura pas.
— C’est… c’est une attitude irresponsable, bégaya-t-il… Un réflexe bourgeois… Je croyais que tu étais une femme libérée, incapable d’utiliser ta beauté, ton corps, ton sexe pour arriver à tes fins… Tu ne vois pas qu’en agissant ainsi tu enlèves toute pureté à nos recherches, que cette enquête devient malsaine, ressemble plus à de la vengeance qu’à une mise en accusation de la société et du système capitaliste ?
— Je ne vais pas si loin, dit-elle… L’attentat de Bologne m’a atteinte dans ma chair vive et j’ai décidé de savoir par qui, comment avait été perpétrée cette horreur. Au début j’agissais parce que j’étais frustrée dans mon amour, mais ensuite je me suis dépouillée de cet esprit de vengeance, dit-elle… J’ai utilisé Umberto à ma façon. Il aurait exigé que je lui fasse un plat de pâtes à la sauce tartempion je lui aurais fait des pâtes à la sauce tartempion. C’est tout. Nous ne pouvions le neutraliser autrement. Je l’aurais acheté si j’avais pu. La véritable pureté politique aurait voulu que nous le supprimions, non ? Mais nous n’en étions capables ni toi ni moi et nous n’en avions pas envie.
— Tu avais envie de te l’envoyer, ricana Paulo.
— Non, pas davantage.
— Il t’a fait jouir ?
— Pas la première fois, répondit-elle franchement. J’étais contractée, à la limite de l’écœurement mais hier je ne sais pas pourquoi, oui… Pourtant je ne voulais pas mais il est très habile, sait exactement ce qu’une femme peut vraiment désirer.
— Un amant de qualité, ricana Paulo, mais elle sentait combien il souffrait.
Elle aurait voulu trouver les mots réconfortants, poser la main sur son bras.
— Tu aurais préféré que je nie, que je joue la fille digne et dévouée qui a subi les derniers outrages pour accomplir sa mission sacrée, venger son amour et pourfendre le mal ? Tu te rends compte que je suis sur cette affaire depuis des mois, que j’ai dû te supporter toi, ton militantisme, ton étroitesse d’esprit, ton obstination dialectique, que j’ai dû aussi supporter d’autres avanies, supplier des gens pour obtenir d’eux un mot, une adresse, un débris d’information, tiens même le professeur Montello a exigé d’être payé.
— Tu couches avec tout le monde, alors ? Combien d’hommes t’es-tu envoyé pour poursuivre cette enquête ?
— Juste Umberto Abdone… Montello c’est différent. À ses moments il se transforme en petit garçon vicieux qui n’a besoin que d’une main secourable.
— Je t’en prie, murmura-t-il.
Ils arrivaient devant l’entrepôt de l’entreprise et le gardien venait vérifier leurs visages avant d’ouvrir le grand portail. Il embraya brutalement et elle ne dut qu’à sa ceinture de ne pas aller cogner le pare-brise.
— Tu es déçu de quelle façon ? Politiquement ou sexuellement ? Si tu veux coucher avec moi je ne vois pas pourquoi je m’y refuserais, dit-elle un peu trop sèchement.
— Je viendrais en dernier, n’est-ce pas ?
— Je ne pensais pas que c’était nécessaire entre nous. Mais si vraiment tu as cette faiblesse, je ne peux te refuser ça.
Il sortit de la voiture arrêtée sur le parking, se dirigea vers les bâtiments. Elle ne fit aucun effort pour le rejoindre et cette nuit-là ils n’échangèrent que le strict nécessaire. Pourtant Macha obtint de l’ordinateur les noms de quatre banques internationales qui paraissaient avoir reçu des fonds destinés à l’action terroriste, et devant le visage fermé de Paulo, elle n’eut même pas la force de s’en réjouir.
— Évidemment ces banques-là ne conservent pas les fonds. Ce serait trop dangereux. Mais il nous reste à découvrir quelle filiale plus discrète en reçoit sa part, du moins pour l’Italie.
Deux banques américaines, une banque allemande et une banque française se partageaient, sur le sol italien, l’argent qui transitait par leurs succursales d’Israël et du Liban.
— Je crois que nous tenons quelque chose, dit-elle, mais Paulo di Maglio resta morose.
Elle n’aurait jamais pensé qu’il prenne à cœur cette histoire. Dans le fond de lui-même il restait italien, jaloux, pensant qu’une femme c’était d’abord destiné au plaisir de l’homme. Il ne l’avait jamais admise sur le même pied d’égalité et, malgré sa joie de ces résultats, elle gardait une amertume secrète.
— Avec ces renseignements le S.W.I.F.T. me fournira le cheminement de l’argent tant qu’il reste dans le circuit financier. Mais il y a tant de données en mémoire que j’ai confiance. Je peux aller certainement très loin. Et inversement je peux remonter jusqu’aux sources israélienne et libanaise, de là poursuivre dans n’importe quelle direction.
Paulo di Maglio finit par réagir.
— N’est-ce pas téméraire ? Ils finiront par te découvrir ?
— Pas tout de suite, mais d’ici plusieurs semaines lorsqu’il y aura un contrôle sur les opérations. Ou bien si je suis obligée de me procurer certains codes à usage très limité. Dans l’immédiat il suffira que je signe un bordereau et personne ne me posera de questions. Mais ce même bordereau sera fourni à l’ordinateur qui, lui, finira par révéler le pot aux roses.
— Dans combien de temps ?
— Nous sommes en ce moment très bousculés et je ne pense pas que ce soit fait avant un mois au minimum, deux mois au plus.
— Tu vas perdre ta situation, fit-il remarquer.
— Je m’y suis psychologiquement préparée.
— Mais du côté des banques américaines, que feras-tu ?
— On m’a parlé d’un sénateur américain qui enquête sur différentes choses et qui pourrait être intéressé par mes travaux. Je lui proposerai ma collaboration.
Paulo di Maglio se rembrunit.
— Un Américain, même soi-disant de gauche, qu’est-ce que c’est ? Un libéral du type Kennedy que l’on peut comparer à nos gouvernants de la D.C… Moi je n’aurais pas confiance.
— Je suis certaine qu’avec ce sénateur Holden l’affaire viendra au grand jour et ne sera pas enterrée. Holden est en lutte contre les major companies, les banques mondiales… Il ne se laissera pas faire. Il a les moyens de poursuivre le combat si jamais il devait m’arriver quelque chose. Ils peuvent me liquider, faire pression sur moi, menacer de s’attaquer à ma sœur par exemple. Je ne serai tranquille que lorsque Holden sera prévenu.