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Et puis ce furent les carabiniers, des vrais, bien équipés, il y avait même une voiture blindée, des armes, des grésillements de radio. On passait d’un seul coup dans la technique guerrière à odeur d’ozone et de graisse d’arme, des regards lourds, soupçonneux. On emporta son passeport et elle dut attendre, comme les Allemands de la Volvo, en fumant un cigarillo. Là il y avait des popotes, une file de gens résignés qui venaient chercher de la nourriture chaude.

— Où allez-vous ?

— Là où les autres ne vont pas, dit-elle avec une certaine emphase.

— Vous ne passerez pas. Si vous visez les hameaux de montagne c’est inutile, même les hélicoptères avec cette neige ne peuvent les atteindre.

— Je vais essayer.

— C’est le Sénat américain qui a payé tout ça ?

— Non, seulement les démocrates américains de Rome, dit-elle.

De toute façon tout se savait malgré l’absence de moyens de communication. Mais depuis qu’elle était dans le Triangle de la désolation elle ne parlait plus du village de Dioni.

— Je ne devrais pas vous laisser repartir, dit l’officier.

— Je sais, mais je vais quand même aller là-bas. Si la caravane ne peut pas monter je prendrai la voiture, et si la voiture elle-même s’arrête j’irai à pied… Il faut quand même qu’ils voient quelqu’un après tant de jours.

Il soupira.

— Ici on a trop de tout mais c’est gaspillé, volé, revendu… Allez-vous-en très vite et désormais faites attention. Tout est possible maintenant. Même le pire.

— Je serai prudente.

Elle s’enfonça dans la nuit, la neige de plus en plus épaisse, les hauteurs qui formaient un barrage aussi inquiétant que ceux des hommes.

5

Ils devaient rencontrer un notable de la Démocratie Chrétienne au siège de Salerne et Peter était allé aux nouvelles, surveiller la jeep également. Si jamais on la leur volait ils devraient dépenser une fortune pour en retrouver une, peut-être la même. Depuis le tremblement de terre les voitures étaient volées dans les rues dévastées, lorsqu’elles pouvaient rouler, descendues vers Naples où les sans-logis les achetaient pour attendre qu’on veuille bien les reloger.

Kovask attendait et il vit venir le fameux notable qui se fraya un difficile passage parmi les gens qui attendaient là, d’autres notables moins importants venus de villages perdus pour savoir comment allait s’opérer la distribution des secours. On baisait la main de ces notables avec une déférence incroyable et Kovask gêné aurait voulu détourner les yeux mais le spectacle était fascinant.

Luigi Mapoli le repéra et lui fit signe. Dire qu’il allait avoir besoin de ce gros déplaisant aux yeux cernés et aux manières précieuses. Parce qu’il avait un parent habitant les USA qui était intervenu pour que les hommes du sénateur Holden jouissent de toutes les facilités. Mais on affirmait que Mapoli n’était pas compromis avec la Mafia napolitaine, la Camorra. Kovask en doutait mais faisait comme si c’était vrai.

Il fut enfin admis dans le bureau luxueux, dut supporter une interminable poignée de main. Le cousin américain était un ponte démocrate de New York. Un supporter du sénateur Holden. Depuis combien de temps n’avait-il pas vu le cousin resté en Italie ? Que penser de cette graisse suspecte, de ce regard flou et de cette main trop chaleureuse ?

— Vous allez dans le Sud, vers quel village ?

— Dioni.

— Dioni, quelle malchance !… Ah pourquoi faut-il que vous alliez là-bas… Le maire, vous comprenez…

— Communiste ?

— Non, pensez-vous, dans ce coin tous sont démocrates chrétiens, mais il est mort… Sous sa maison, comme la plupart des gens… Un coin si difficile mais charmant. Des châtaigniers et des oliviers en même temps, vous vous rendez compte ? Et des chasses aux sangliers superbes, les cochons se nourrissent aux châtaignes et sont d’une finesse… Vous partez demain ?

— Cette nuit.

— Mais pourquoi Dioni ?

— Nous recherchons une amie américaine qui doit s’y trouver. Elle est passée par le versant Est, vous comprenez ?

— Oui, je comprends… Je ne pense pas que vous ayez des difficultés majeures… Je vais vous donner cependant un mot de recommandation pour les maires des communes que vous traverserez… Vous verrez que mon nom est un véritable sésame.

Il en était très fier, trouvait ça tout à fait naturel. Il commença par écrire, se leva pour aller consulter un ouvrage dans sa bibliothèque. Un dictionnaire, pour ne pas faire de fautes ? Non, une sorte d’annuaire.

— Dioni… Il n’y a rien de bien caractéristique là-bas… Un ancien couvent sans intérêt mais inhabité depuis longtemps…

— Vous avez la liste des victimes ?

— Oh, je peux me la procurer.

Il sonna et un homme entra, l’air très empressé, furtif et fébrile à la fois, il courait avec un sourire niais sur son visage long.

— Dioni ? Oui, je vais chercher ça.

— Vous avez un camion ? demanda le notable entre-temps.

— Une jeep.

— Quel dommage, vous auriez pu emporter quelques cercueils, cadeaux personnels à cette population si éprouvée. Vous savez, plus que les couvertures, plus que la nourriture, ce sont les cercueils qui leur font plaisir. Ils ne peuvent supporter la pensée d’enterrer les leurs avec juste un linceul de plastique.

Il avait bonne mine. Le gouvernement accordait gratuitement les cercueils et dès lors tout le monde en trafiquait, pour de l’argent ou pour le prestige.

— Dites-leur que je leur en envoie trente dès que je peux.

Le furtif revint avec la liste et Kovask ne vit nulle part le nom de Macha Loven.

— Il y a un hôtel là-haut ?

— Attendez.

Une petite auberge mais qui l’hiver ne fonctionnait pas, en général.

— J’espère que vous rejoindrez votre amie.

— Bien sûr, dit Kovask.

Il montra le mot de recommandation à Peter, lui raconta la scène des baisemains. Le garçon ouvrait des yeux stupéfaits.

— Tu es sûr ?

— Mapoli est la fripouille sympa mais fripouille quand même… Je n’aime pas cette histoire. Tout le monde sait que nous allons à Dioni et doit bien se demander le but de ce voyage obstiné vers un hameau coupé depuis dimanche du reste du monde.

Ils ne savaient quelle route prendre. De la plus large à la plus étroite, elles étaient toutes saturées. Il aurait fallu un hélicoptère et encore… Il neigeait sur les hauteurs. Ils roulaient encore dans les faubourgs de Salerne à dix à l’heure et la température devenait glaciale.

— Le centre d’intérêt de Dioni, tu le connais ?

— Non, dit Kovask. Il n’y a rien. Et je ne vois pas ce que cette fille est allée faire là-haut pour le week-end.

— Rien peut-être, juste s’envoyer en l’air avec un copain.

— Non. Son véritable copain est mort dans l’attentat de Bologne et depuis elle n’a qu’une idée farouche… Tout porte à croire qu’elle allait chercher quelque chose, quelqu’un.