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— Il est arrivé un accident ?

— Au monsieur, mais pas à la voiture, rassuré-je. J’aimerais avoir des détails sur ce gars-là, mon petit cœur.

Le sourire réapparaît. Cette fois, c’est un sourire amusé.

— Un instant.

Elle fait coulisser le tiroir d’un classeur métallique et tripatouille dans les dossiers. Elle retire une fiche.

— L’auto a été louée il y a huit jours pour une durée d’un mois, dit-elle.

— L’adresse du client ?

— Hôtel du Grand Carlos, rue de Faubourg-Saint-Antoine ! Qu’est-il arrivé à ce monsieur ?

Elle essaie de prendre une mine grave, mais le cœur y est trop et son sourire subsiste sur ses lèvres.

— Il a glissé sur une peau de banane, ma petite âme ! Rien de plus traître que la peau de banane. Si on dressait la liste de ses victimes, on s’apercevrait que la bombe d’Iroshima c’était de la gnognote à côté !

Son beau sourire triomphe. Cette fois c’est un sourire conquis.

— C’est à se demander comment ils font dans les bananeraies pour garder leur équilibre, pouffe-t-elle.

— Pas dur : ils portent des chaussures à crampons et ils sont encordés. Tout est question d’organisation dans la vie.

Je tapote le passeport resté ouvert devant elle à la page de la photo.

— Rien de particulier à me signaler à propos de ce pèlerin, ma petite fille rieuse ?

— Heu… non. Je ne vois pas.

— Lorsqu’il est venu louer cette auto, il était seul ?

Elle réfléchit, tout en gardant les yeux braqués sur l’image.

— Non, un autre homme l’accompagnait. Beaucoup plus âgé que lui. Un homme corpulent, à la tête rasée. Son cou faisait des tas de plis. Et il avait des poils blonds sur le nez.

— Vous êtes précieuse comme l’eau du même nom, ma jolie.

— J’ai de la mémoire.

— C’est ce qu’un flic apprécie le plus chez ses contemporains.

— On ne dirait pas que vous êtes de la police, déclare-t-elle.

— On me l’a déjà dit souvent. Je trompe mon monde, hein ? Un de ces jours, il faudra que je me décide à acheter des souliers à clous, un parapluie, un chapeau de feutre au bord gondolé, et que je mette du jaune d’œuf sur ma cravate.

— Ce serait dommage, rigole la gentille enfant. Je vous préfère comme vous êtes maintenant.

Et friponne avec ça !

Je me hâte de l’arc-bouter afin de pousser mes avantages.

— Votre petit nom, c’est bien Véronique, n’est-ce pas ?

Elle ouvre la bouche de saisissement, ce qui me permet de constater que sa langue rose et ses trente-deux dents blanches sont bien à elle.

— Comment diable le savez-vous ? C’est pas écrit sur ma figure !

— Non, mais ça l’est sur votre médaille, petite étourdie.

Elle glousse. Ce que cette môme aime se marrer, c’est rien de le dire.

— J’avais oublié !

— Et si je vous donne rendez-vous au Fouquet’s ce soir à sept heures, vous l’oublierez aussi ?

— Je ne peux pas le savoir à l’avance. Et puis ça dépendra…

— De quoi ?

— Du retour de mon fiancé qui doit rentrer de voyage incessamment.

Bing. Servez chaud ! Avec les gonzesses, c’est toujours commak ! On a l’impression d’être le premier martien à débarquer d’un pas martial dans leur existence, et puis on découvre très vite qu’il faut prendre un ticket d’appel. C’est comme le téléphone des renseignements à la gare de Lyon : ça sonne toujours occupé. C’est à se demander à quel âge il faut les prendre si on veut s’assurer la priorité ! Je crois que le mieux c’est de les adopter à l’âge de deux mois et d’aller les élever au sommet de l’Everest. Et encore, je vous parie une place assise dans le métro contre une place de ministre des Finances que l’abominable homme des neiges vous ferait cornard. C’est pour ça que je ne me marie pas, mes choutes. Le San-A., il préfère être le complément des foyers meurtris plutôt que le brave homme de mari marri. Acheter des robes à une nana pour que ça soye les copains qui la lui enlèvent, c’est pas dans ma vocation. Je préfère le contraire. Je ne sais pas qui est le cornichon à pédale qui a inventé le mariage, mais il fait bien de conserver l’anonymat, because y aurait des trous d’épingle dans sa photo, espérez un peu ! Ce zig-là devait être un maniaque de l’exclusivité ! Ce serait maintenant, on lui ferait un traitement à l’Equanil pour le guérir et tout serait O.K., seulement à l’époque il s’est trouvé une bande de mous de la tronche pour lui emboîter l’anneau, et c’est comme ça que la société s’est fourvoyée.

Pauvres bonshommes, va ! A peine rencontrent-ils une frangine qu’ils la drivent au trot jusque chez M. le Maire. Et comme M. le Maire est lui-même marida, vous parlez s’il biche derrière son écharpe de jouer la sale blague aux copains. Pour le meilleur et pour le pire, qu’il dit, M. le Maire ! Dans sa Ford intérieure il le sait bien que le meilleur c’est comme chez les artichauts : c’est sous les poils que ça se tient ; c’est pas gros et faut opérer un sacré numéro d’effeuillage pour l’atteindre. L’accès au pire est tout de suite plus fastoche. Y a qu’à attendre et ça se produit. La vie a le pire facile, j’ai observé. Les orties poussent mieux que les melons sur cette planète. Seulement, ça, M. le Maire, bon mec, s’abstient de le préciser dans son bla-bla. C’est un vicelard, il jouit dans ses bottes en couchant les zeureux époux sur le livre de l’état civil qui ressemble à une pierre tombale. Quelques lignes et c’est torché ! La levée d’écrou c’est pas pour demain. En général c’est au Père-Lachaise ou dans une de ses annexes qu’elle se passe.

— Je parie que c’est un garçon plein de tact, votre fiancé, sinon il ne vous intéresserait pas !

— Pourquoi dites-vous cela ?

— Parce que je suis certain qu’il aura le bon goût de ne pas rappliquer aujourd’hui, jour J de nos relations.

Elle devrait se fâcher, logiquement, si elle l’avait tellement dans le palpitant, son Julot, la fiarde ! Au lieu de ça, elle se marre encore.

Comme elle a les roberts affûtés au taille-crayon, bien drus, bien agressifs sous le pull moulant, on lui pardonne.

— Alors entendu pour le Fouquet’s ? insisté-je en la commotionnant avec mon œillade ensorceleuse numéro 89 bis.

A cet instant précis, un petit bonhomme malingre se pointe, venant du bureau voisin. Il ressemble à un rat auquel on aurait inoculé la fièvre jaune.

— Qu’est-ce que c’est ? exhale-t-il, car lorsqu’il parle, on dirait qu’il y va de son dernier soupir.

Je lui fais le résumé des chapitres précédents, en passant toutefois sous silence la manière dont est décédé Hans Burger.

— Comment récupérerons-nous le véhicule ? s’inquiète le cher raton.

— Vous pourrez le faire prendre où nous vous le dirons, lorsque nous vous le dirons !

— Charmant. Vous vous figurez que nous pouvons immobiliser un véhicule…

Je le stoppe du geste et de la voix.

— Ne perturbez pas votre système nerveux, cher monsieur. Votre zinzin plein de roues ne craint rien. Et puis il vous a été loué pour un mois, paraît-il, alors il vous reste de la marge.

Je sors après un ultime regard gourmand à Véronique.

Le Gros termine son plat de lentilles, crache la demi-douzaine de petits cailloux que le cuistot a collés dans cette espèce de brouet fluide pour prouver qu’il s’agit bien de lentilles, et déclare qu’il commence à se sentir mieux. Je suis bien aise de l’apprendre.

— Le temps de bouffer mon roquefort et mon baba et je suis t’à toi, promet-il.

— Rencart à la grande taule, m’impatienté-je. Moi, je vais faire une petite visite de politesse à l’hôtel du Grand Carlos.