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Pas mécontent, le Mastodonte opine.

— Puisque ça me laisse un peu de répit, dit-il, je vais me commander une blanquette de veau !

Un car de touristes scandinaves vient d’amener une cinquantaine de vieilles dames jacassantes et le hall du Grand Carlos est plein comme un œuf dur. Il y a des valises partout. Quelques-unes des dames ont amené leur petit chien, quelques autres, plus rares, leur époux. Les unes et les autres tiennent les uns et les autres en laisse. Les premiers parce que c’est obligatoire, les seconds parce que c’est nécessaire, vu qu’ils sont gâteux. Je pense que vous avez déjà eu l’occasion de vérifier le bien-fondé de ce que j’avance. Dans les voyages organisés, les vieux messieurs sont toujours infirmes ou gâteux alors que les vieilles dames se portent comme le pont Alexandre III[3]. Elles sont joyeuses, rieuses, bavardes, gesticulantes. Un rien les amuse, tout les excite. Je contemple un moment leur troupeau bruyant. Dans le fond, voyez-vous, je suis un solitaire qui aime la société.

Pourtant, je me décide à aller interviewer l’homme aux clés d’or. Justement, il ressemble à Pierre Fresnay au point que je me demande si ça ne serait pas lui. Il a fort à faire avec les guides du Voyage organisé. Débordé jusqu’au menton, qu’il est, le pauvre biquet. Il m’accueille comme si j’étais un trou dans sa poche.

— Un instant, pas le temps.

Je lui mets ma carte sous le nez. Il n’y jette qu’un millimètre de regard.

— San Antonio, c’est au Texas, me renseigne-t-il. Vous timbrez soixante centimes jusqu’à vingt grammes.

— Ecoutez, mon vieux, m’impatienté-je, vous allez mouler cinq minutes vos Vikings et me les accorder !

Il devient gourmé comme un pierrot gourmand.

— Je vous demande pardon ? s’insurge-t-il.

— Police, écrasez. Je suis plus pressé que vos vieilles perruches. Elles sont en vacances et moi je travaille. La tour Eiffel et le tombeau de l’Empereur les attendront !

Il continue de ne pas aimer mon véhément langage, le roi des palaces.

— M’sieur Harry ! l’appelle à cet instant le réceptionnaire.

Je sens que si ça continue je vais me trouver dans cet hôtel comme au Grand Palais pour l’inauguration du Salon de l’auto. Alors je me fous à hurler vilain, les gars. Dans la gent hôtelière on se rend compte que le big scandale va éclater.

— Si vous jouez au dégourdi avec moi, vous vous retrouverez au chômage avant la fin de la journée, prophétisé-je, vu que vous aurez des coquards sous les châsses qui vous rendront inapte !

Cette fois mon ton mata Harry (lequel doit tout bêtement s’appeler Henri, mais on n’arrête pas plus l’américanisation que le progrès).

— Vous aviez un client, un certain Hans Burger ?

— Nous l’avons, oui !

— Non, vous l’aviez, car il est mort et j’ai toujours eu le souci du terme exact, mon pote ! On m’a surnommé le Mallet et Isaac de la Police !

— Mort ? fronce-sourcils-t-il.

— De la tête aux pieds.

— De quoi ?

— Si c’était de la typhoïde je ne serais pas là. J’ai besoin de certains renseignements à son sujet.

Une vieille Scandi (fleur de) nave s’approche et, dans un allemand plus guttural que celui d’un perroquet, se met à demander des trucs relatifs au Musée du Louvre.

C’est mécoince qui se charge de lui répondre, bien que mon allemand à moi ne vaille pas celui de Goethe. Je lui dis que depuis François Ier le Louvre n’est plus ce qu’il était et qu’elle ferait mieux d’aller au Casino de Paris. Ensuite de quoi je reprends le fil interrompu de mon interrogatoire.

— Depuis combien de temps était-il descendu dans votre gourbi, le Hans Burger ?

Son gourbi ! Il manque en avaler ses clés.

— Depuis dix jours, annonce-t-il.

— Il loge seul ?

— Oui.

— Des visites.

L’autre hésite. Son rêve, ce serait de pouvoir m’envoyer au bain turc avec des Grecs, mais il a pigé à ma mine valeureuse de boy-scout de la maison Parapluie qu’il n’aurait rien à y gagner.

— Oui, je crois.

— Quel genre ?

— Différentes personnes.

— Racontez-les-moi…

— Vous êtes bon, ronchonne-t-il.

— Je suis bon avec les gens bons et avec les pauvres, en exceptant toutefois les pauvres c… Réponse ?

Il réfléchit dans le sérieux et convoque sa mémoire professionnelle pour une conférence de presse.

— Il a reçu à plusieurs reprises une jeune femme blonde.

— Dans sa chambre ou au salon ?

— Je crois qu’il l’a reçue dans ses appartements.

— Lesquels se composent d’une chambre ?

— Oui.

— Alors inutile de rectifier et de vouloir me faire confondre père de famille avec paire de chaussettes. Vous dites qu’il a reçu cette personne à plusieurs reprises, qu’entendez-vous par là ?

— Elle venait tous les jours.

— Je pige. Et ils paraissent comment, tous les deux ?

— Au mieux.

— Je pige toujours. La dame est jeune, blonde, roulée comme une déesse avec un regard vert nil qui vous donne envie de visiter l’Egypte, non ?

— En effet.

— Vous avez eu l’occasion de connaître son nom ?

— Oui, au début, quand elle s’est présentée à l’hôtel, elle a dû me le dire.

— Baume ?

— Non. Elle a donné un prénom.

— Virginie ?

— C’est cela !

Il commence à se calmer. Il réalise que je suis un archer sérieux.

— Qui d’autre encore a-t-il reçu ?

— Un gros homme.

— Chauve, dont le cou fait des plis ?

— Oui.

Maintenant ça y est, je l’impressionne. Son bigophone retentit. Harry décroche.

— Grand Carlos Hôtel, j’écoute ! récite-t-il.

Cette phrase, il doit l’avoir en relief sur les muqueuses. Le matin, quand son Jaz carillonne, il doit se la balancer pour lui avant de faire surface.

Soudain, son visage impavide s’anime.

— Un instant, je vais voir, fait-il.

Il obstrue la partie inférieure de son combiné et murmure.

— Justement, c’est cette dame qui demande après M. Burger. Je n’hésite pas un dix-milliardième de seconde.

— Dites qu’Hans Burger vient d’arriver et passez-moi la communication.

— Les cabines sont au fond du hall, prenez la 3.

Je bondis. Ce que je tente là est vachement culotté, convenez-en. Et si vous ne voulez pas en convenir, servez-vous d’un paratonnerre comme d’un tabouret.

Je drope jusqu’à la cabine prescrite ; je décroche, je rassemble bien mes souvenirs et, en me composant un accent qui doit ressembler à celui de feu Burger, je murmure :

— Allô !

Ce qui ne m’engage que médiocrement sur la voie des responsabilités.

— Hans ?

— Ia ? fais-je, car je suis capable de prononcer ce mot sans accent.

— Alors ? demande-t-elle.

Que répondre à une aussi laconique question ? Je marche au pifomètre, en le mettant toutefois sur le grand développement.

— Tout va bien !

C’est une trouvaille, non ? Tout autre que le célèbre commissaire San-Antonio eût été pris au dépourvu. Mais grâce à sa profonde intelligence, à son esprit d’à-propos, à sa sagacité, à sa ruse, à ses dons variés, à sa confiance en soi, à sa fougue, à sa sûreté, à son éducation, à son courage indomptable, San-Antonio, le seul, le vrai, l’unique, celui qui fait trembler les criminels et frissonner les jeunes filles en flirt, celui qui fait vibrer les dames et qui fait traverser la rue aux aveugles, San-Antonio, dis-je, répété-je et confirmé-je, ne s’en laisse pas conter. Il sait ce qu’il faut dire et le moment où il faut le dire.

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3

Je suis pour une refonte des expressions toutes faites. C’est pourquoi je me refuse à me référer au Pont-Neuf.