— Je vous ai fait venir ici parce que j’ai pensé que l’endroit en valait un autre pour discuter le bout de gras, mon petit cœur.
In petto, comme disent les pétomanes ayant une culture latine, je suis frappé par le fait que dans cette affaire, la souris polissonne abonde. Depuis ma séance chez Monica, en passant par la virée chez Mercédès, je peux dire qu’il y a eu des moments pleins d’agrément. C’est du reste ce qui fait l’enchantement de mes ouvrages. Outre la vigueur du style, la beauté du langage, la poésie latente, la richesse d’expression, la philosophie discrète, l’humour sous-jacent et le non-conformisme courageux qu’ils recèlent, on est frappé, en les lisant, par la sensualité qui en émane.
Excusez-moi, mais il est bon, de temps à autre, de vous rappeler que vous n’avez pas plongé votre nez morveux dans n’importe quel ouvrage. Déjà Nostradamus me prophétisait, qui disait :
« Lorsque l’homme du lac aura disparu, se lèvera l’astre au nom texan qui éblouira lecteurs et lectrices au pays du Grand C. »
Ce qu’il convient de traduire par « Après Paul Bourget, San-Antonio commencera la remarquable carrière que vous savez au pays du Grand Condé ».
Mais, bref, comme disent les gens qui ont le sens de l’ellipse, revenons à nos moutons.
Pour l’instant, ils bêlent mes moutons, figurez-vous.
— Mais, mais… fait Virginie.
— Vous avez eu raison de vous mettre à l’aise, ma jolie, car on en a long comme un projet de désarmement à se dire.
— Où est Hans ?
— Je ne le connaissais pas suffisamment pour vous renseigner, pourtant tout m’incite à croire qu’il serait plutôt en enfer.
— Qu’est-ce que vous me racontez ? Mais parlez !
Elle s’anime, laisse retomber le drap. Les deux seins ocrés qui lui servent d’enjoliveurs à poumons se dressent brusquement et me font les cornes.
— Je dis que votre ami Hans a eu un gros pépin en perquisitionnant chez Monica. Sa tête est entrée en contact avec un derrière de bouteille. Comme l’inspecteur Bérurier tenait le goulot de ladite bouteille et qu’elle était solide, c’est le crâne de votre copain qui a volé en éclats. Il aurait mieux valu que ce fût du verre blanc, ça nous aurait porté bonheur…
— Hans est mort ! crie-t-elle.
— Aussi mort que votre mari, oui, ma choute, mais ça n’est pas une prise de judo qui l’a tué.
Oh ! Pardon ! L’effet que ça produit sur la madame, des paroles pareilles ! Elle ouvre grand son bec, clappe à vide, éternue un sanglot et porte ses jolies mains à sa jolie tête en un joli geste qui me découvre son joli buste jusqu’au socle.
— Ça vous épate, hein, môme, que j’en sache aussi long ?
— Vous mentez, bredouille-t-elle.
— Mais non. Je n’avance rien que je ne sois en mesure de prouver.
— Vous ne pouvez rien prouver vous…
— Je peux prouver, car le corps de votre cher défunt est dans un tiroir frigorifique. L’urne qu’on vous a montrée au Columbarium ne contient que de la cendre de cigare.
Cette fois, elle prend la mine terreuse, Virginie.
— Mais tout à l’heure, Hans, au téléphone…
— Tout à l’heure, au téléphone ! ricané-je.
Je reprends l’accent de Burger.
— Ich liebe Sie, susurré-je.
Elle abandonne tout espoir et éclate en sanglots.
— Ce n’est pas possible ! trépigne la belle enfant. Pas possible ! Oh ! non… Je ne veux pas, je ne veux pas !
J’essaie de la calmer en lui caressant tendrement l’épaule. Moi, vous me connaissez : toujours le cœur sur la main et la main où il ne faut pas. Mais ça déplaît à Médème qui, à bout de nerfs, me balance une mandale carabinée. J’en ai les gobilles qui se décrochent.
— Arrête ta crise, môme ! tonné-je, sinon je vais t’administrer un calmant qui t’empêchera de t’asseoir pendant les quarante années que tu vas sûrement passer en prison.
Elle se dresse.
— Qu’est-ce que vous dites ?
— La vérité du Bon Dieu, comme l’écrivent si puissamment les romanciers américains. Complicité de meurtre sur la personne de ton mari, sans parler du reste, tu te figures pas que les jurés vont te voter la croix de guerre avec palmes ?
J’enchaîne, voulant profiter de son désarroi.
— Et le reste, c’est quelque chose, hein !
Je suis d’autant plus sincère dans cette affirmation que j’ignore absolument ce dont il s’agit. Seulement c’est en affirmant les choses qu’on ignore qu’on parvient à les connaître. Cette tactique semblera un peu spécieuse à d’aucuns, mais je m’en balance, et je dirai même que ça tombe bien, vu que ces d’aucuns-là je les utilise à l’occasion comme papier hygiénique.
Elle est hébétée, la jolie Virginie. Son rimmel part en brioche. Ça lui donne un regard à la Charlot. Son rouge à lèvres ressemble à de la confiture de groseille. Elle hoquette et renifle.
J’en remets un peu pour l’amener à composition.
— On n’exécute plus les dames, en principe, mais je suis certain que tu te farciras la peine maximum. Le restant de tes jours, tu vas rempailler des chaises et ta beauté disparaîtra comme rosée au soleil. Remarque que la comparaison est mal choisie, vu que le soleil, en taule, on te le sert au compte-gouttes ou à travers une passoire.
Elle me considère mornement, comme si je n’avais pas plus de réalité et de présence que la gravure fixée au mur et qui illustre la rêverie d’un garçon coiffeur sur le mont Chauve.
Tout à coup, j’entends l’eau déborder dans la salle de bains. J’ai ouvert les robinets trop grands et la bonde de la baignoire, entraînée par la pression, a dû se reboucher. Toujours est-il que ça bouillonne sur le carrelage. Pas la peine de saccager l’hôtel. Je cours pour stopper l’inondation. C’est mon côté génie ! Sapeur et sans reproche comme toujours !
Je marche dans une immense flaque de flotte. Je tourne les robinets. Puis je reviens dans la chambre.
Mais c’est trop tard.
Déjà des mecs hurlent dans la rue. Les rideaux de la croisée grande ouverte, happés par le courant d’air, flottent à l’extérieur.
Je me précipite à la barre d’appui.
En bas il y a une tache claire cernée par un essaim de badauds avides.
Je réprime un petit frisson. La môme a choisi la solution idéale. Seulement elle est morte avant d’avoir parlé.
Ah ! Il est au point, le San-Antonio ! Quelle truffe j’ai été de l’abandonner une demi-minute ! Le roi des policiers en carton-pâte, voilà ce que je suis.
Ça va faire une sacrée bouillabaisse, cette petite aventure. D’autant plus que les loufiats du hall ne vont pas piger que cette femme se soit défenestrée en étant à loilpé. C’est mauvais pour mon standing. Déjà je perçois la petite musique de Police-Secours qui joue sur deux notes « Ça va barder ».
Quelle explication vais-je fournir aux collègues ? La vérité n’est pas croyable. Je m’emmène devant la glace et je me flanque un coup de pied au prose pour m’apprendre à vivre.
On tambourine à la porte. Je vais ouvrir. C’est plein d’esclaves en gilet rayé qui me demandent si c’est bien d’ici que…
Je leur réponds que oui.
J’aimerais être ailleurs.
N’importe où, mais ailleurs.
— Ne me regardez pas avec ces yeux-là, les gars, fais-je, impatienté. Il s’agit d’un suicide. La dame a eu une petite crise de conscience et c’est pour ça qu’elle est allée bouffer le trottoir pendant que j’avais le dos tourné.
CHAPITRE X
DANS LEQUEL ÇA S’ARRANGE UN PEU !
Je tombe sur des archers tout ce qu’il y a d’incrédules et de féroces. Ils m’embarquent au commissariat, tout commissaire que je suis, sans égard pour mon grade et ma réputation.