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— On dira ce qu’on voudra, fait-il, t’as ton caractère ; pourtant tu n’as pas que des défauts, San-A.

M’ayant rendu cet hommage, il m’emboîte le pas.

La concierge, fait très exceptionnel pour une concierge, est dans sa loge. Elle tricote en écoutant la voix sucrée d’un chanteur ricain en train d’interpréter : You, You, You. Délicat hymne à l’amour dont les paroles sont I love you, you, you, you ! ce qui bouleverse littéralement toutes les règles de la chanson.

La pipelette est plutôt jeune, plutôt pas bête et plutôt accueillante.

— Mme Baume était-elle chez elle, tantôt ? m’enquiers-je.

— Non, la pauvre, me répond la concierge, être pitoyable à en juger à son exclamation.

— Savez-vous où elle se trouvait ?

— Non.

— Elle s’apprêtait à partir en voyage ?

— Oui.

— Pour où ?

— La Suisse. Elle a de la famille là-bas ; et après son grand malheur elle avait besoin, la pauvre, de se changer les idées.

Elle en avait tellement besoin de se les changer, les idées, qu’à peine débarquée à l’Hôtel du Grand Carlos, elle se dessapait plus vite qu’une marguerite fanée dans un typhon !

— A quel endroit exactement ? insisté-je.

— Je ne saurais vous le dire !

— Elle a une bonne à tout faire ?

— Oui, mais elle vient de la congédier.

— Vous pourriez me donner le nom et l’adresse de cette fille ?

La cerbère stoppe son tricot et me dévisage avec un air d’en avoir autant que moi, c’est-à-dire deux !

— Vous voulez en savoir des choses, vous alors !

Je lui produis ma jolie carte professionnelle avec photographie de l’homme et bande tricolore. Elle renifle.

— Oh ! La police. Quelque chose ne tourne pas rond ?

— Mme Baume est morte ! dis-je.

— Morte ! Pas possible ! s’exclame Bérurier qui sort de sa torpeur.

Admettez que ça ne fait guère sérieux un adjoint qui s’étonne des déclarations de son chef.

Mais la pipelette est trop commotionnée pour tiquer.

— Morte, répète-t-elle en écho. Comment ? De quoi ?

— Suicide, la renseigné-je. Le chagrin, comprenez-vous ?…

Elle opine, essuie une larme épaisse comme de la vaseline.

— Alors, reviens-je-à-mes-moutons-je. Le nom et l’adresse de la soubrette, please ?

Elle débite, d’une traite :

— Marinette Piépelus, 116, rue du Chemin-Vert.

— Bigre, quelle mémoire !

— Je n’ai pas grand-mérite, révèle la gardienne de l’immeuble. Elle m’a donné le renseignement ce matin afin que je fasse suivre son courrier chez elle. Cette petite a des tas d’amoureux et reçoit au moins une lettre par jour.

— En route ! décidé-je.

— Curieux qu’elle ait des coquins, soupire le Gros en montant dans l’auto ; avec sa frite, on dirait plutôt qu’elle s’approvisionne au zoo !

C’est Marinette qui nous ouvre. Le Gros n’a pas menti. Elle ressemble effectivement beaucoup plus à une guenon qu’à Sophia Loren. Elle mesure un mètre cinquante à peine, et ses cheveux roussâtres sont collés sur sa petite tête de pinceau usagé comme une calotte d’enfant de chœur. Elle crèche chez sa vieille maman, une dame blême et rhumatisante qui a eu des malheurs et qui s’en payera encore quelques-uns avant de lâcher la rampe. Je reconnais vaguement la môme pour l’avoir aperçue au Columbarium où elle assistait au feu d’artifice de feu son patron.

— Qu’est-ce que c’est ? fait la voix acide de la vieille môman.

— Qu’est-ce que c’est ? répète en direct la petite guenuche.

— C’est la police, ma poulette, renseigné-je.

— Seigneur Jésus ! crie la rhumatisante en faisant pleurer son fauteuil d’osier (c’est le seul osier qu’il y ait dans cet appartement vraisemblablement).

— Seigneur Jésus ! balbutie docilement la petite bonniche.

— On peut causer ? demandé-je.

Elle se décide à nous faire entrer dans une pièce grande comme la cabine téléphonique du coin et qui réussit pourtant à héberger une cuisinière à gaz, deux lits, une table, une garde-robe, un vélo de dame, machine à coudre, trois chats, une tortue, un fauteuil d’osier, quatre chaises de salle à manger, un portrait de Jean XXIII un autre de Paul VI et un troisième de Johnny Hallyday.

La dame blême et blette blèse en parlant et est affligée de surcroît d’une blennophtalmie.

— Qu’est-ce que vous nous voulez ? lamente-t-elle comme si nous étions deux tortionnaires de la Gestapo.

— Quelques menus renseignements, chère madame.

— Ma fille n’a rien volé !

— Oh ! maman ! proteste le ouistiti femelle.

— Rassurez-vous, rassuré-je d’une voix rassurante.

« Nous aimerions seulement savoir où Mme Baume devait aller, dis-je. Possible ou pas possible, Miss ?

La môme Marinette cligne ses paupières farineuses.

— En Suisse, répond-elle.

— A quel endroit ?

— Je ne sais pas !

— Autre chose ; les Baume possédaient-ils une maison de campagne ?

— Non.

— Réfléchissez bien, dis-je. C’est très important. Ils n’avaient pas un pied-à-terre quelque part ? Un pavillon de chasse ? Un chalet ? Une ferme rebecquetée ? Tout le monde, en ce moment, a une maison de campagne.

— Pas nous, affirme aigrement la vieille môman.

— Eux non plus, affirme Marinette. Le docteur avait horreur de la nature.

— Elle le lui rendait bien, soupiré-je en évoquant la trombine du défunt. Ecoutez, mon petit, vous m’avez l’air bougrement éveillée pour votre âge.

— Elle a eu son certificat d’études à dix-huit ans ! s’enorgueillit la mère.

— Ça ne m’étonne pas, chère madame. On sent tout de suite chez votre enfant la forte personnalité qui s’appuie sur un caractère solide. C’est pourquoi, mademoiselle, je vais vous poser une question à laquelle je vous demande de réfléchir. Faites abstraction de son aspect insolite. Voilà : supposons que Mme Baume, pour une raison ou pour une autre, soit dans l’obligation de cacher quelqu’un ou quelque chose en dehors de son appartement. Selon vous, où le mettrait-elle ?

— Qu’est-ce qu’elle pourrait bien cacher ? proteste la vioque.

Elle fait craquer son fauteuil, à moins que ça ne soit ses articulations : impossible de savoir, les deux bruits étant semblables.

— Là n’est pas la question, madame. Laissez réfléchir votre ravissante jeune fille.

Je vois son visage éveillé qui s’éclaire tandis qu’une intense lueur pétille dans ses yeux.

Effectivement, ma bonniche murmure :

— Elle pourrait le cacher dans son laboratoire.

Je tressaille, marchant ce faisant sur un pied du Gros. Ce dernier qui somnolait pousse un barrissement.

— J’ai mon ongle en carnet qui me faisait déjà souffrir ! proteste Sa Majesté.

Mais je passe outre à l’incident.

— Mme Baume possède un laboratoire ?

— Vous savez qu’elle est docteur aussi ?

— Je sais, mon trésor !

— Pas de familiarités ! coupe la môman, ma fille est sérieuse. Elle a été rosière en 1938.

— Quel âge qu’à donc-t-elle ? ânonne l’âne bérurien.

— Quarante-six ans, fait la maman rhumatisante.

— On lui donnerait pas, tranche péremptoirement le Gros. Comme quoi, ces naines, ça trompe leur monde !

— Dites donc, malotru ! glapit la vioque.

Si je n’y mets pas le holà, les choses risquent de s’envenimer.

— Où se trouve ce laboratoire ?

— A Boulogne-Billancourt, rue du Général-Hévacuay, 17. J’y suis été pour faire le ménage un jour avec Madame.