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« Et puis un jour, les choses se sont gâtées. Virginie a fait la connaissance de ce Hans Burger et elle est devenue littéralement folle de lui. J’ai été tout de suite dans la confidence, car Virginie était une amie très chère et ne me cachait rien. Burger, qu’elle m’a présenté, ne m’était pas sympathique, mais j’ai caché à Virginie l’antipathie qu’il m’inspirait, me disant que, puisque après tout elle l’aimait…

« Pourtant je n’ai pas tardé à voir clair dans le jeu de Hans Burger. J’ai compris que c’était Puck qui l’intéressait, que c’était lui qu’il visait à travers Virginie.

Elle se tait pour essuyer la sueur qui ruisselle sur son front. Le Gros se radine, portant un verre plein de scotch. M’est avis qu’il a dû s’en envoyer quelques-uns derrière la cravetouse, car son regard flambe de nouveau comme un feu de sarments.

— Colle-toi ça dans le cornet, mémère ! qu’il dit irrévérencieusement à Monica. Ça ramone les voies… heug… respiratoires et ça te débouche l’évier en moins de… heug… rien !

Monica porte le breuvage à ses lèvres, avale une gorgée, fait la grimace et rend le glass.

— C’est trop fort ! minaude-t-elle ; je n’ai pas l’habitude de le prendre sans eau !

Ravi de l’aubaine, Béru chope le verre et le siffle d’un trait.

— De la came pareille, c’est autant dire du petit lait, mémé, assure-t-il. La flotte, garde-la plutôt pour tes abolitions.

Je lui fais signe de la boucler.

— Reprenons, fais-je. Donc, Hans Burger s’intéressait à Puck ?

— Indiscutablement !

— Qui c’est-y qu’est-ce ? demande Bérurier.

— Puck ! lui fais-je en ponctuant d’une œillade éloquente, tu sais bien ?

Mais il est trop beurré pour saisir des nuances. Les subtilités, c’est pas son blod.

— Comment veux-tu que je susse qui c’est Puck, vu que j’ai jamais connu de mec de ce blaze !

— Alors, tais-toi !

J’ai parlé comme un chien aboie. Il se renfrogne.

— Faudrait voir à pas trop chahuter le bonhomme devant des mea culpés, ronchonne l’Abominable.

Notre petit duo n’a pas échappé à Monica. Ses sourcils joints me renseignent sur son trouble.

— Poursuivons, je n’ai pas de temps à perdre ! tranché-je.

Elle hésite un peu mais repart.

— J’ai compris qu’Hans Burger était un agent secret. J’ai fait part de mes doutes à Virginie. Mais elle m’a dit qu’elle le savait. Elle trouvait un certain romantisme à la chose. A partir de ce moment, elle a commencé un traitement particulier sur Puck. Elle le conditionnait, c’était sa propre expression, en vue d’une importante expérience. Je ne voulais pas, mais elle me tenait, comprenez-vous ?

— Elle vous tenait ? ne puis-je m’empêcher de répéter.

Du coup, une expression rusée traverse sa physionomie. Monica a l’air ravi de quelqu’un qui découvre avec soulagement qu’un secret qu’il croyait divulgué ne l’a pas été.

— Enfin… Oui.

Je fais un geste désinvolte.

— Poursuivez !

— Son mari a fini par s’apercevoir de la situation.

— De sa liaison avec Hans Burger ?

— Oui, et des projets concernant Puck.

— N’aurait-il pas été prévenu par une lettre anonyme ? hasardé-je.

C’est à des détails pareils qu’on peut mesurer la perspicacité d’un poulardin, mes filles ! Monica rosit, se trouble. J’ai vu juste, preuve que je commence à savoir lire en elle. C’est un être faible. Elle a eu recours à ce moyen inélégant pour essayer de redresser la situation.

— Cela se peut, bredouille-t-elle.

Et, sous mon œil de larynx, elle se trouble comme un verre de pastis sous la pluie.

— C’est même, je crois, ce qui est arrivé.

— Et alors le docteur Baume a fait une scène terrible à sa femme. Il l’a menacée de signaler à la police les agissements de son Jules, n’est-ce pas ?

— En effet.

— Virginie a pris peur. Elle vous a prévenue ?

— Non, c’est Hans Burger qu’elle a prévenu. Moi j’étais venue chez elle comme je le faisais souvent. Elle m’a demandé de réclamer une consultation à Alexandre. Ce que j’ai fait, sans comprendre où elle voulait en venir. A peine me suis-je trouvée dans le cabinet de consultation que Hans est entré par la porte donnant sur les appartements. Le docteur a compris qu’on lui voulait du mal. Il y a eu une brève lutte à laquelle j’ai assisté sans pouvoir intervenir. Mais Burger a fait une prise à Alexandre, par-derrière. Une prise curieuse. Le docteur n’a plus résisté. Lorsque Hans l’a lâché, Alexandre est tombé sur la table d’auscultation. Je pensais qu’il n’était qu’évanoui ; mais en fait il était mort. J’ai cru que j’allais devenir folle. Hans m’a dit de me tenir tranquille. Il m’a même giflée !

Elle se frotte la joue.

— Et puis Virginie est arrivée, qui m’a suppliée de ne rien dire. Tout ça était un vrai cauchemar. Un cauchemar… J’ai fait ce qu’ils ont voulu. J’ai dit à l’assistante que le docteur avait eu une crise… Heureusement, un médecin appelé d’urgence a confirmé. Je pensais que… que…

— Que la police ne saurait rien ? ironiqué-je.

— Heu… oui.

Un violent ronflement nous fait sursauter. C’est l’Eminent qui en écrase avec application. Il produit un bruit de course de hors-bord. Il se tient assis sur un coin de la malle d’osier. Et il a le front appuyé contre le mur.

— Il a profité de votre reliquat de chloroforme, l’excusé-je.

Elle fronce le nez, assez méprisante.

— Ensuite ? impitoyablé-je.

— Cette pauvre Virginie ! élude-t-elle.

Plus pauvre encore qu’elle ne se l’imagine ! Mais il sera temps de lui apprendre, après sa confession, la fin tragique de sa petite camarade.

— Qu’a-t-elle fait, cette pauvre Virginie ?

— Après l’incinération d’Alexandre, elle était joyeuse, vous entendez ? JOYEUSE ! Elle m’a dit que désormais il serait impossible de prouver quoi que ce soit, qu’elle était libre et qu’elle allait partir pour l’Allemagne de l’Est en compagnie de Hans Burger. Elle voulait emmener Puck avec elle. C’est alors que j’ai refusé. Vous comprenez, Puck, je n’ai que lui au monde. Depuis des années, je m’y suis attachée ! On s’attache bien à un chien ou à un chat !

Je donnerais tout ce que vous avez sur votre compte en banque pour savoir ce que c’est que ce damné Puck dont elle me rebat les étagères à mégots ! J’ai beau me poser des questions, je ne me fournis pas de réponse satisfaisante.

— Ben voyons, réponds-je à sa tirade. Vous lui avez donc dit que vous n’étiez pas d’accord ?

— Oui. Je lui ai signifié que tout était fini entre nous. Elle s’est mise dans une rage folle. Elle m’a dit qu’il ne fallait pas aller contre les décisions de Hans. Que lui-même avait des comptes à rendre à ses chefs et que, de gré ou de force, elle emmènerait Puck !

De belles larmes bien rondes coulent sur ses joues fanées.

— Et alors ? insisté-je encore, sans le moindre égard pour ce chagrin plein de noblesse et de dignité.

Impitoyable, votre San-A., mes poules bleues, lorsqu’il est à l’établi. Les larmes des dames ne l’émeuvent plus. Il ne pense qu’à son turf, San-Antonio. C’est un mordu du boulot bien fait. Il suit sa mission coûte que coûte. Sa devise ? « Jusqu’au bout ». Ou bien « Dieu et mon petit doigt » presque kif-kif la devise de la british family, mais qu’importe, malgré Jeanne d’Arc et le Marché commun, on l’aime bien, la famille anglaise. Depuis que nous avons expédié nos kings à nous chez saint Pierre ou chez Plumeau, elle est devenue la nôtre. On la suit partout : aux sacres de Westminster, au derby des psaumes, en vacances, en croisière, chez le photographe ou le gynécologue. On participe à ses soucis, à ses nuits de noces, à ses déboires matrimoniaux, à ses préoccupations domestiques. Quand la Queen renvoie sa cuisinière, ça fournit cinq colonnes à la une de nos hebdos. Quand le Prince change son secrétaire, idem. A ce titre-là, la France fait partie du Commonwealth à part entière, comme disent les journalistes sportifs.