— Et alors ? re-insisté-je.
— J’ai tenu bon.
— Bien qu’elle vous tînt ? insinué-je.
Elle agite ses ramasse-miettes artificiels.
— Oui.
— Que s’est-il passé ?
— Elle m’a téléphoné ce matin pour me dire qu’elle se résignait à me laisser Puck et que le coup était arrangé vis-à-vis de Hans. Néanmoins je me suis méfiée et j’ai caché Puck.
— Vous avez fort bien fait, l’interromps-je.
— Elle est venue me chercher. Elle était d’une gentillesse qui m’a rappelé son attitude d’avant Burger. La perfide ! Elle m’a dit qu’elle avait préparé une série de traitements pour Puck et qu’elle voulait me les remettre pour que je puisse le soigner pendant son absence… Nous sommes donc venues ici…
Un quadrimoteur à réaction cherche son terrain au-dessus de nos têtes. Renseignements pris, il ne s’agit que du Gros qui continue d’en concasser comme un sonneur.
— Et alors elle vous a chloroformée ?
— Je ne me souviens de rien. Elle m’expliquait des choses. Je ne pensais qu’à ce qu’elle me dirait. Et puis, oui : elle m’a appliqué brusquement un tampon sous le nez. J’étouffais. Tout s’est brouillé.
Ses larmes y vont d’une nouvelle tournée.
— Voici toute l’histoire, soupire-t-elle. Vous savez tout.
— Oh ! que non, dévoilé-je-mes-batteries-je. Par exemple, j’ignore ce que vous cachez et qui permettait à ces plaisantins d’avoir barre sur vous. J’ignore également qui est Puck et où vous l’avez mis ! Vous voyez, ça fait encore de la conversation en perspective !
Ses larmes se tarissent soudain comme le verbe d’un représentant de commerce venant de s’apercevoir qu’il cherchait à vendre des gants de boxe à un manchot.
— Ah ! vous… vous ne…
— Non, dear dame. Je ne sais pas. Alors procédons par ordre : qui est Puck ?
Je commence à me traiter de ramolli. C’est mauvais de rompre un charme brutalement. Monica était prise dans le ronron de sa confession. Elle s’embaumait toute seule en débitant son historiette. Et puis, v’là, je la descends en flammes dans le ciel plombé de la réalité. Du coup elle a une contraction cérébrale, comprenez-vous. Elle se reprend, la vioque. Elle sent d’instinct que des secrets, ça constitue une espèce de monnaie d’échange, fût-ce vis-à-vis d’un poulaga. Et elle devient avare des chiens, je veux dire des siens, voilà que je cause auvergnat sous le coup de l’émochion.
— Eh bien, je vous écoute ! brutalisé-je.
Elle reste de marbre.
C’est alors qu’il se produit du neuf et du déraisonnable dans la strass. La porte du labo s’ouvre brutalement et trois messieurs aussi sympa qu’une épidémie de peste bubonique font irruption. Leur entrée est réglée comme une figure de ballet.
Il y a un gros, sanguin et chauve, au cou énorme, que j’identifie à la seconde même comme étant le chef de feu Hans Burger. Et puis deux ouistitis à figure d’ablette malade, qui ne m’impressionnent que parce qu’ils brandissent l’un et l’autre un pistolet mitrailleur.
— Mains levées, tout le monde ! ordonne le mahousse.
Monica hoquette ; plus maître de moi, je me contente de froncer les sourcils. L’un et l’autre cependant nous élevons nos bras. Béru a droit à un coup de latte dans les cerceaux. Il pousse une méchante beuglante.
— Qui c’est-y l’enviandé qui se permet des principautés avec un inspecteur principal ? commence-t-il.
Son regard couleur de fosse d’aisances agitée découvre le regard hostile des pistolets braqués sur lui. Le sens de la réalité réintègre son cerveau ramolli.
— Je vois, fait-il, le chabanais continue !
— Les mains en l’air ! commande le gros homme adipeux.
Et cette fois, le Vaillant se soumet.
— Nous sommes très pressés, révèle le visiteur impromptu.
Il se tourne vers Monica.
— Où est Puck ? Allons, vite !
Monica crispe ses lèvres pour bien montrer au monsieur que lorsqu’elle tient le silence avec les dents, il n’est pas aisé de le lui faire lâcher.
Le zig en a vu d’autres ; des plus réticents et des plus coriaces.
Il fait signe à ses troupes aéroportées de nous emmener dans le laboratoire, c’est-à-dire à bonne distance de la rue.
Tout en cheminant, mains levées, je me rends compte que les pistolets sont pourvus de silencieux. Ces noix vomiques peuvent nous démolir comme des pipes en terre sans que le crémier du coin ait sa jouissance paisible et bourgeoise le moins du monde troublée.
— Je m’excuse, messieurs les policiers, fait avec une certaine courtoisie le gros suifeux. Je n’ai pas l’habitude d’agir ainsi avec les gens de votre profession, mais, je le répète, je suis talonné par le temps et je crois que j’interviens in extremis.
Ayant souscrit aux convenances, il se consacre à nouveau à la pauvre Monica.
— Puck, dit-il, sinon les choses vont aller extrêmement mal pour vous !
Elle ne moufte pas.
L’Adipeux fait claquer ses doigts. L’un de ses aides sort quelque chose de sa fouille. C’est un rouleau de fil terminé d’un côté par une fiche électrique, de l’autre par une sorte de petite lance métallique. L’affreux branche sa fiche dans l’une des nombreuses prises du labo. Puis il darde (comme dirait Frédéric) la lance sur Monica. Elle est d’un beau vert tirant sur le bleu, la pauvre chérie. Mais elle essaie de faire comme les tonneaux : c’est-à-dire bonne contenance[4]. D’un geste de bretteur, le gros sac se fend et pique sa lancette dans le bras de Monica. Elle pousse un cri terrible et s’affaisse.
Le tortionnaire retire sa dague.
— Parlez ! ordonne-t-il.
Elle suffoque, puis peu à peu, retrouve un rythme respiratoire plus conforme aux exigences de son organisme[5].
Pendant ce temps, que fait le joli petit San-Antonio d’amour de ces dames ? L’homme qui leur fait connaître l’extase et qui les emmène au septième ciel aussi normalement qu’une agence de voyage emmène des touristes au Musée du Louvre ? Hein ?
Eh bien ! le San-A. adulé, il regarde discrètement autour de soi. Il voudrait bien reprendre les choses en main parce qu’il a horreur de jouer les V majuscules trop longtemps. D’abord, ça fatigue et puis ça finit par être dégradant. Qu’est-ce qu’il avise, sur des rayonnages situés à la hauteur de ses jolies mains levées ? Des flacons ! Une théorie fantastique. Ils sont colorés par les liquides qu’ils recèlent. Et étiquetés soigneusement. Mine de rien, je déchiffre les étiquettes. A moins d’un mètre de moi je repère celui qu’il me faut et qui annonce — « Acide chlorhydrique. »
— Parlez ! répète Bibendum. Vous savez parfaitement qu’il est stupide de vous taire ! Vous finirez par parler ! A quoi bon reculer cet instant, puisqu’il est inévitable ?
Il la travaille par la logique.
Sa lancette braquée, il marche à nouveau sur Monica. Chouette mouvement, qui me permet de reculer d’un mètre pour éviter le sursaut de la pauvre vioque. L’attention de tout le monde — sauf de ma main droite — est braquée sur elle.
La lance électrique n’est plus qu’à quelques millimètres de Monica.
— Cette fois-ci je vous l’enfonce dans l’œil, promet le Salace.
Et on ne doute pas de ses promesses. Buter quelqu’un, l’énucléer ou l’eunuquer, ça ne lui fait pas plus que d’écraser un moustique sur sa fesse.
4
Je vous accorde que celui-là est particulièrement mauvais. Mais quand on est pris par le feu de l’action, on n’a plus le temps de feuilleter le Vermot.