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Il s’ébroue lamentablement dans l’eau riche en mazout de la Seine. Le déplacement de baille est celui d’une centrale électrique ! Pour se saisir de lui il faut se frayer un chemin à travers ses moulinets. Sous l’eau, je lui tire un ramponneau princesse sur la nuque, dans la plus pure tradition du repêchage de noyés. Il est out. Je passe un bras sous l’un des siens et je le hisse. Mais, dans le mouvement : qu’aperçois-je, dans la flotte, attaché à un anneau extérieur de la barque ? Un panier. Je remonte Dulard à bord. Je lui fais recracher cette mauvaise eau et il rouvre ses beaux yeux bulbeux.

Il n’avait pas bu d’eau depuis l’année où, s’étant trompé, il avait avalé une gorgée d’eau de Vichy en croyant qu’il s’agissait d’eau-de-vie tout court (dans la pénombre il n’avait pas fini de lire l’étiquette). Il fait un bruit de pédalo en recrachant sa tisane, le pauvre cher gorille. Enfin, ça va mieux.

— J’ai raté la marche, clapote-t-il.

— J’ai vu !

— Et mon râtelier ! Replonge, Gars ! Mes dominos ont coulé à pic et c’est un damier tout neuf que j’avais, tout en porcelaine de Limoges !

— Te fais pas d’entorse à la cervelle, Gros. Il est sur le ponton, ton casse-noisettes.

Mais abandonnant mon coéquipier pour un temps très bref, je hisse le panier immergé. Il est plutôt lourd !

Un cadenas ferme le couvercle. C’est la journée qui veut ça, décidément. Je n’ai aucune peine à le démanteler.

— Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ? demande le Gravos.

— Puck ! fais-je.

— Ce serait donc un poisson ? fait-il, intéressé, en soulevant le couvercle.

Il regarde à l’intérieur. Ses yeux deviennent fixes et il s’évanouit.

Je me penche à mon tour sur le panier. Pendant dix secondes je refuse la réalité. Ensuite de quoi, sauf le respect que je ne vous dois pas le moins du monde, je me précipite à bâbord et je me mets à vomir au fil du courant.

Deux plombes plus tard, il y a réunion générale à la morgue de la maison bourremen. Sont présents : le Vieux, le chef du labo, Bérurier et le gars moi-même, fils unique et préféré de Félicie.

Nous sommes penchés sur le minuscule cadavre d’un homme mesurant une vingtaine de centimètres. Puck !

Car Puck était un homme authentique, merveilleusement proportionné, dû — c’est mon pape du labo qui nous l’apprend — au génie du professeur Mikaël, le fameux biologiste. La mort du professeur a interrompu ses travaux avant que ceux-ci fussent connus. L’existence de Puck, cette infernale création, a donc été gardée secrète. Le Vieux m’explique que les agents étrangers qui voulaient se l’approprier le destinaient à des expériences spatiales. Vous vous rendez compte d’un pilote idéal pour des fusées interplanétaires ! Un pilote qui peut faire dodo dans une boîte à chaussures et qui pèse trois kilos ! C’est formidable, non ? Virginie le conditionnait progressivement. D’où le minuscule gymnase découvert dans ses appartements lilliputiens.

— Dommage qu’il ait péri, lamente le zig du labo.

Mais le Vioque secoue la tête.

— Un monstre n’a pas sa place parmi nous, déclame-t-il. Tout est bien ainsi. Je me demande ce qui lui est arrivé.

— Je crois comprendre, patron : Monica avait placé le panier sur un banc de la barque en prenant soin de l’attacher à un anneau. Mais les femmes n’ont pas de jugeote. Elle aurait dû l’attacher au fond. Le petit homme a voulu sortir de sa prison d’osier, et il a fait basculer le panier en se démenant.

— Dieu l’a voulu ainsi, conclut le Boss.

Il me touche le bras.

— J’ai à vous parler, San-Antonio.

Comme au début de ce très surprenant ouvrage, il me drive à l’écart, me saisit le bras et me demande gentiment :

— San-Antonio, jusqu’ici vous ne m’avez jamais menti. Pourquoi m’avoir dit que vous aviez été l’amant de Monica Mikaël ?

Je rougis et me trouble.

— Mais…

Il m’impose silence d’un geste. Puis d’un autre il tire un tiroir contenant les restes de Monica Mikaël.

— Regardez !

Je regarde. Pour la deuxième fois de la journée, une nausée me noue les tripes et le gosier. Monica Mikaël est un homme !

— Le mot « amant » possède une signification très précise, mon cher, conclut le Vioque. Une autre fois, ne vous contentez pas d’à peu près.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Boss ?

Il repousse le tiroir et sort de sa poche un morceau de papier journal jauni.

— Lisez ceci !

C’est un papelard qui relate la mort de Mikaël. J’y apprends que le biologiste n’est pas mort seul. Le frère de sa femme qui vivait chez lui a été également déchiqueté par l’explosion et…

— Bon Dieu, patron, je comprends ! C’est Mme Mikaël qui est morte en compagnie de son mari. Et cézigue, qui était une joyeuse pédale, a eu l’idée de prendre l’identité de sa sœur à laquelle il ressemblait afin de profiter des biens du savant ?

— Exactement.

— Vous vous doutiez de la chose ?

— Le doute m’est venu fortuitement. Nos services de contre-espionnage nous ont signalé la présence en France de Hans Burger et de sa clique. Ces gens rôdaient à Moisson. J’ai fait faire une petite enquête sur les habitants de la localité. C’est ainsi que j’ai découvert que la veuve du fameux biologiste y résidait. J’ai cherché dans le passé ce qu’avait été la vie de Monica Mikaël. C’est alors que certains aspects de son personnage m’ont frappé. J’ai appris que Monica Mikaël participait aux travaux de son époux. Qu’elle eût tout abandonné à la mort de ce dernier m’a paru bizarre. Un être qui se passionne pour la vie de laboratoire ne décroche pas brusquement, fût-ce à la suite d’un gros chagrin. J’ai voulu en avoir le cœur net et c’est pourquoi je vous ai confié cette étrange mission.

— Si au moins vous m’aviez fait part de vos doutes, protesté-je.

Il hausse les épaules.

— Je voulais que vous procédiez tout naturellement. Jamais vous n’auriez fait la cour à la fausse dame de la Sapinière si vous vous étiez douté qu’elle pût être un homme vrai ou faux.

— C’est vrai, admets-je.

— Vous voyez bien ! Lorsque vous m’avez dit que vous aviez… heu… rempli votre mission, j’ai classé l’affaire. C’était un tort. Il a fallu la mort du docteur Baume pour que je tique à nouveau. J’avais lu le nom de sa femme sur le rapport que vous m’aviez fait. Enfin, soupire le Vieux, tout est bien qui finit bien.

Il a de drôles d’oraisons funèbres, le Bossuet de la Poule, admettez !

Je rejoins Béru.

Il me désigne tous les morts entassés dans le macabre local.

— Tu parles d’une affaire saignante, dit-il. Ç’a été un vrai gala, hein, Gars ?

Nous remontons dans le burlingue. Je suis triste, d’une tristesse à la fois viscérale et métaphysique. Cette histoire d’un petit bonhomme surnaturel, mort bêtement après avoir allumé tant de louches convoitises, me hante. Je vais avoir du mal à récupérer.

Dans le bureau, Pinaud se réveille. Il s’étire, bâille et nous considère aimablement.

— Ma parole, fait-il, j’ai dû piquer un petit somme.

— Avec la drogue que t’as avalée, c’est normal, ricane Béru.

— Quelle drogue ? demande Pinuche.

Béru se tourne vers moi.

— Va falloir qu’il change de potion, soupire-t-il, de potion ou de médecin. J’ai idée que sa manière grise continue de faire des bulles !

GRACIEUX EPILOGUE

Il est huit heures moins le quart lorsque je pousse la porte du Fouquet’s. Véronique, la môme de l’agence de location de bagnoles, est là, qui se morfond sur une banquette.