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Il en laisse tomber son mégot, lequel mégot grésille sur sa blouse grise.

— C’est une plaisanterie ? demande le pauvre monsieur.

— Du tout, fais-je. Il ne m’en faut que trente centimètres.

Le marchand de gonds n’en croit pas ses étagères à cigarettes.

— Mais on ne détaille pas.

— Quelle est la plus petite quantité que vous puissiez me vendre ?

— Vingt mètres !

— O.K., j’achète un rouleau de vingt mètres !

Je le lui paie, puis, avec une aimable mais démentielle obstination, je murmure :

— Pouvez-vous m’en couper trente centimètres ?

Il obéit.

Je chope mon petit morcif de barbelé comme une rose, en faisant gaffe aux épines.

— Vous offrirez le reste aux rosières de la commune afin de protéger leur vertu, dis-je en m’en allant.

Une fois encore, je redrague près de la Sapinière. Tout en marchant, j’ai roulé mon petit bout de barbelé de manière à constituer une couronne ayant une dizaine de centimètres de diamètre. La DS noire est toujours stationnée devant la grille… Avant d’atteindre la voiture, je la jette sur le sol comme un palet ; ce, sans me baisser. Mon adresse professionnelle (Maison Poulagas, Paris) est telle que la couronne d’épines de cheval de frise tombe à quelques centimètres du pneu arrière gauche. Je n’ai qu’à la glisser sous le pneu, de la pointe du soulier, en passant. Ce travail accompli, je regagne le patelin, mais sans repasser devant la Sapinière afin de ne pas attirer l’attention. Je m’installe à la terrasse de mon auberge et je dis à la petite Maryse de me servir un double whisky avec un cube de glace. J’allonge mes cannes sur la chaise voisine, je croise mes mains sur mon ventre et j’attends.

J’occupe une position clé. D’où je suis, aucune bagnole ne peut traverser l’agglomération sans que je la voie.

Au bout d’un moment, la petite serveuse profite de ce que sa patronne prend son bain de pieds de moutarde quotidien pour venir draguer à la terrasse.

Ça n’est pas miss Europe mais elle est gentillette. Sans en faire ses beaux dimanches, on peut tout au moins en faire ses vilains mardis. Je lui place mes astuces-relaxes pour pique-nique dans les bois. Elle biche. Ma physionomie et ma Jaguar lui sont allées droit au jardin d’acclimatation. Elle rêve de monter dans l’une et d’être montée par l’autre. A mon avis, les deux choses peuvent se concilier.

Nous sommes en plein flirt lorsque la DS noire qui stationnait devant la Sapinière traverse le carrefour ayant les deux dames à son bord.

— C’est pas le tout, dis-je en me levant et en caressant la poitrine de Maryse histoire de m’assurer qu’elle n’est pas en fibrociment, mais il faut que j’aille jusqu’à Mantes pour câbler à mon éditeur de Djakarta qu’il peut imprimer mes œuvres sur Japon et non sur Hollande comme autrefois.

— On peut télégraphier d’ici, hasarde la gosseline qui voudrait bien me conserver à portée de croupion. Il y a une poste auxiliaire.

Les bergères, c’est tout du même : dès que vous leur faites une risette, elles se croient obligées de vous mettre sous clé.

— Pas possible, expliqué-je, dans les bureaux auxiliaires, les câbles du télégraphe sont trop petits pour supporter les messages internationaux.

Elle comprend et hoche la tronche. Le gars Bibi remonte dans son carrosse et quitte très provisoirement Moisson.

Je sais — et j’ai toujours su — que vous avez une poignée de cheveux en guise de cerveau, pourtant je pense que vous avez pigé ma tactique, non ? Le barbelé sous le boudin de la chignole, c’est le pneu à plat garanti. Je nourris toutefois deux craintes : la première, c’est que ce pneu se soit dégonflé trop vite et que ces dames aient changé la roue avant de gerber, la deuxième, c’est qu’au contraire la fuite y aille molo et qu’elles aient le temps d’atteindre Mantes avant de stopper. Je me mets donc à pédaler avec un point d’interrogation gros comme ça à la place de lotion capillaire.

Je bombe sérieusement, sans parvenir à rattraper ces dames, et j’arrive dans Mantes absolument écœuré. Je me mets à musarder dans les artères de la ville, scientifiquement, les parcourant les unes après les autres avec une obstination de toutou recherchant son maître, mais en vain ! Qui mieux est, je n’aperçois pas la moindre DS noire. Pour un coup fourré, c’est un coup fourré, non ? Enfin, dans la vie, il faut savoir accepter les déconvenues. Après une heure d’exploration, je prends le chemin du retour. Et c’est alors que ma bonne étoile se met à briller. A deux kilomètres six cent vingt-sept mètres et quatre-vingt-douze centimètres de Rolleboise, qu’aperçois-je, au bord du chemin ? Ça y est : vous avez déjà deviné, petits futés. Noix mais astucieux, hein ? Oui, c’est la DS noire (j’ai un copain de la Poule qui a une DS thé). Elle est sur le bas-côté et mes deux donzelles regardent le pneu à plat avec une grande affliction.

La plus jeune tient un cric à la main. C’est pas un cric du cœur ! Elle a l’air désespéré d’une planche à repasser à laquelle on offrirait un soutien-gorge. C’est, de toute évidence, la première fois qu’elle se trouve devant un problème aussi épineux. Elle ne sait pas si on doit placer le cric debout, à l’envers, de profil, sous la pédale de débrayage ou dans la boîte à gants. Ça la rend perplexe, cette gentille. Et c’est fortement dommage vu qu’elle est plutôt pas mal de sa personne. Je vous ai dit qu’elle était blonde, n’est-ce pas ? Ai-je précisé qu’elle l’était comme les blés mûrs ? Non, car j’évite les clichés en général, la puissance de mon style se passant fort bien de ces accessoires. Elle a de beaux yeux veloutés, dans les vert Nil, une bouche extrêmement charnue, faite pour dire oui (et pour en supporter les conséquences) et une poitrine comme j’en souhaite une à toutes les femmes et même à quelques hommes pour peu qu’ils veuillent faire carrière chez Mme Arthur. La vioque, par contre, est plus vioque encore que je ne l’imaginais. Autour de ses yeux, les rides se marchent sur les pieds. Elle a les bajoues un peu flasques, les lèvres molles et si elle était trop jeune pour servir en qualité de cantinière pendant la guerre de 70, du moins était-elle trop vieille pour le faire à celle de 14–18.

— Des ennuis, mesdames ? fais-je en stoppant à leur niveau.

Le regard de reconnaissance que me propulse la fille au cric ferait déraper un rouleau compresseur.

J’utiliserais une ligne à haute tension comme hamac que ça ne me ferait pas le même effet.

— Nous sommes à plat, dit-elle.

— Un instant, fait le San-A., très doctoral en stoppant sa brouette un peu plus loin.

Je reviens, vif comme le papillon du matin vers les naufragées.

— Donnez-moi cela, fais-je en lui prenant le cric.

En deux coups de cuillère à pot (d’échappement), j’ai réparé le désastre. Ces dames me roucoulent des remerciements. Monica Mikaël (la plus vioque) a son rouge labial qui ressemble à une glace framboise qui s’est attardée au soleil. Quand je pense que le Vioque m’a donné l’ordre de me farcir cette relique, j’en ai des frissons dans les endosses. Je suis pas du genre chichiteux, notez bien. Et c’est pas parce qu’une dame a du carat que je la branche fatalement sur les services de la voirie municipale, oh que non ! Des mêmes, j’en ai piloté au septième ciel sans prendre l’escalier de service, croyez-le bien !

Mais celle-là est duraille à encadrer. Pour la grimper il faut drôlement se raconter des histoires. Et pas les Contes de Perrault je vous jure ! Du croustillant ! Le Kama Sutra, Gamiani, les Mémoires du garde champêtre amoureux, les Confidences d’une femme de chambre, les Souvenirs de la sœur Lanturlu, les Polissonneries de M. le comte et les Ebats d’une jeune fille volage. Toute la bibliothèque rose-ballet, quoi ! Ça aide !