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— Nous ne savons pas comment vous remercier, qu’elles font en chœur, ces merveilles.

En matant la petite blonde. je sais comment elle pourrait me remercier. En considérant la vioque je sais aussi : elle, ce serait en me refilant vingt balles.

— Je vous en prie, coupé-je, trop heureux d’avoir pu vous rendre service ; seulement vous n’avez plus de roue de secours, vous allez loin ?

— A Moisson.

Je me paie un émerveillement de l’hémisphère Nord.

— Pas possible ! moi aussi, exulté-je. Voilà ce que nous allons faire : vous roulez et je vous suis. De cette manière, si par hasard vous creviez de nouveau, je pourrais toujours aller faire réparer votre roue.

Re-roucoulements.

— Ce serait bien un comble si nous crevions encore ! déclare Monica Mikaël.

M’est avis que ce serait assez dans ses emplois.

— Madame, déclamé-je, les crevaisons se produisent fréquemment en série. On reste parfois des années sans percer un pneu, et puis on crève trois fois en une heure lorsque le mauvais sort s’y met !

Voilà qui clôt l’entretien. La DS repart. Je lui file le train (arrière). Je vois ces dames qui papotent. J’ai l’impression d’être vachement concerné par leur discussion.

Nous parcourons sans encombre les derniers kilomètres et elles stoppent devant leur carrée grand standing. Le moment délicat est arrivé. Je descends de ma charrette.

— Si vous voulez me permettre, je vais porter votre roue crevée chez le garagiste du pays.

Tant d’amabilité les émeut. Elles acceptent.

— Je passerai la prendre ! m’assure la plus jeune en me tendant une main douce comme la peau d’un chèque approvisionné.

Je m’incline. Puis je prends la paluche fanée de la daronne. En la saluant je lui court-circuite tout ce que je peux comme désir refréné. Le côté « O vous que j’eusse aimée, ô vous qui le saviez ! » Elle reçoit le message et je vois son regard qui fait tilt. C’est pas tous les jours qu’un beau gosse en parfait état de marche demande la communication avec son standard. Le dernier, ça doit dater de l’année où Antonin Magne a gagné son premier Tour de France.

Je cramponne leur roue à plat et je la roule dans ma tire. Un dernier salut de la main, un dernier regard fripon à la vioque et je décarre.

Le garagiste est occupé à réparer un tracteur lorsque je m’annonce dans son gourbi. Il a un masque de beauté en cambouis de la bonne année et il est en train de traiter un écrou de noms inimprimables, sous prétexte qu’il lui a glissé des doigts.

— Ce que c’est ? demande-t-il, furieux.

Car, vous l’avez remarqué, je pense, rien ne met plus en colère un garagiste que de voir arriver un client. Certains qui ont un grand empire sur eux-mêmes arrivent à se contenir. Ils s’enferment dans un calme glacé et s’abstiennent de parler. Ceux-là sont des gars méritants auxquels je tire mon bada. Mais tous n’ont pas des nerfs d’acier. Chez la plupart, ça éclate illico. Dès que vous apparaissez, c’est la grosse crise : les gros mots, les injures. Il paraît qu’il y en a qui frappent. Je veux bien le croire. Mettons-nous à leur place, à ces malheureux : c’est pas drôle d’ouvrir un garage et de voir arriver des clients, comme ça, bêtement. Reconnaissons pourtant que dans l’ensemble, il fait un effort, le client. Il comprend la situation. Il est humble, il est patient. Il ouvre lui-même son capot et son portefeuille en bafouillant des excuses, en jurant qu’il ne voudrait pas déranger, qu’il attendra son tour… Seulement le garagiste n’est pas dupe. Il déteste la soumission, ça le met davantage en rogne, le cher homme. Mais l’apothéose, le fin des fins, c’est lorsque vous lui proposez de reprendre votre voiture en échange de la nouvelle que vous lui avez commandée.

Je vous mets au défi de ne pas sentir monter en vous une immense envie de vous suicider. Rien qu’à la façon dont il commence à faire le tour de votre tire, l’œil mort, la bouche tordue par un rictus abominable… Et quand il se met à parler, c’est la grosse panique. On se sent tout à fait incurable et honteux de l’être. « Vous appelez ça une auto, vous ? » attaque-t-il. Le reste, vous ne pouvez plus l’écouter. C’est tout juste si vous attrapez, çà et là, des mots, des bouts de phrase qui augmentent votre confusion. « Vis platinées bouffées aux mites… Joints de culasse pétés… Les chemises pleines d’accrocs… Le carburateur qui ne carbure plus… Des bruits suspects dans le pont arrière… Le parallélisme qu’est plus parallèle… » Quand il finit par vous proposer une reprise à soixante pour cent du prix de l’Argus, vous tombez à genoux en sanglotant et vous lui baisez les doigts de pied. Vous envoyez des fleurs à sa dame, des bonbons à son petit dernier. Vous êtes prêts à vous faire tuer pour cet être magnanime. Vous mettez vite fait cinq pneus neufs sur la chignole histoire de lui faire une bonne surprise. Vous lui faites cadeau du saint Christophe en or massif qui décore le tableau de bord et qui, s’il vous protège des accidents, ne vous protège pas pour autant des garagistes.

Celui d’ici écoute ma requête, en réprimant une terrible envie de me gifler.

— Laissez cette roue ici, qu’il dit, je la ferai à l’occasion.

— Quand ? osé-je insister.

Il réfléchit, tourne la tête vers un calendrier-réclame accroché à son mur et se perd dans des calculs vertigineux.

— Voyons, fait-il, nous sommes en mai… juin, juillet, août, c’est la saison… septembre, je pars en vacances… octobre, c’est la chasse… comptez dans le milieu de l’hiver.

— Je vais réfléchir, soupiré-je.

Je bombe jusqu’à Mantes. Là je trouve un garagiste stupéfiant, qui, pour une petite prime d’encouragement de dix francs, consent à abandonner un graissage pour réparer la chambre à air.

Une plombe plus tard, me voici devant la Sapinière. Je sonne. C’est Mme Monica Mikaël en personne qui vient m’ouvrir. Elle me flanque à bout portant son sourire en or massif.

— Comment ! s’exclame-t-elle, vous avez la gentillesse de…

Je lui raconte l’odyssée. Elle est couverte de confusion de la tête aux pieds. Elle me fait entrer dans sa carrée, ce dont je rêve depuis déjà quelques heures. La blonde est encore ici, qui joue avec un chat bleu. Ces dames m’offrent un whisky, me chouchoutent, me complimentent, me convoitent, m’admirent… Le livinge-rome est meublé avec un goût extrême — en Louis XIII (leurs chaussures sont des Richelieu).

Une vaste cheminée, des baies à petits carreaux, des boiseries… On est bien. L’heure des présentations est enfin arrivée. Monica Mikaël m’apprend qu’elle s’appelle Monica Mikaël, son amie se nomme Virginie Baume. Elle est docteur en médecine.

Mme Mikaël m’explique qu’elle s’est retirée à Moisson parce qu’elle a besoin de grand air et de calme vu que son gloméphore annexe a l’arbre à came qui prend l’eau. Elle adore ce charmant village, sa ravissante maison, son délicieux jardin, les merveilleux sapins, la douce Seine et le fabuleux ciel de l’Ile-de-France. Une seule ombre au tableau : elle ne peut conserver de domestiques, car ceux-ci s’ennuient ici. C’est une bonne dame du pays qui lui sert de femme de ménage. Mais elle vit si paisiblement que ça lui suffit.

Moi, naturellement, je leur raconte un tas de bobards à mon sujet. Vous me faites confiance, n’est-ce pas ? Je leur bonnis que je suis romancier. Je m’appelle Paul Kenny et j’écris des romans d’espionnage à forts tirages. Je suis venu à Moisson pour préparer le prochain, car j’ai besoin de m’isoler.

Ça les intéresse. Je leur explique que le bouquin en question nécessite une minutieuse préparation, car c’est l’histoire d’une bombe à retardement dont le mécanisme prend deux minutes trois secondes six dixièmes de retard par vingt-quatre heures. Cette bombe est destinée à un attentat. Le cortège officiel doit passer à une heure précise, mais il a vingt-quatre minutes d’avance. Etant donné que la bombe a été placée cinquante-quatre heures seize minutes huit secondes avant d’exploser et que la cérémonie doit durer trente-cinq minutes, mais que le souverain reçu est bègue et que par conséquent son discours, qui ne devrait pas excéder sept minutes, les excédera — ainsi que les spectateurs —, dans quelle condition l’attentat aura-t-il lieu, et portera-t-il ses fruits ? Suspense ! Elles sont très admiratives, les nanas. Elles ne savaient pas qu’il fallait sortir de math-élem, pour écrire des romans d’espionnage. Ça bouleverse leurs idées préconçues.